Dans sa première sortie médiatique au lendemain de sa réélection, le président Mohamed Ould Ghazouani a déclaré qu’il sera le président de tous les Mauritaniens, ouvert au dialogue avec tous les acteurs politiques du pays. Une espèce de sermon qui interroge les observateurs et les autres mauritaniens désireux de voir impulsée une nouvelle dynamique dans la gouvernance et les rapports entre tous lesdits acteurs. Un nouvel système est attendu de tous les patriotes qui ont attendu, durant cinq ans, la fumée blanche des toits du palais de la République. L’annonce du Président présage-t-il un coup de pied dans la fourmilière ? Le réélu ira-t-il jusqu’à secouer le mammouth ? Une thérapie de choc est-elle envisageable pour débarrasser le pays de ses grosses pesanteurs, comme Ghazouani s’y est engagé dans sa déclaration de candidature ? C’est dans cette perspective qu’il pourrait mettre en place un gouvernement d’ouverture. Ouverture à la jeunesse, ouverture aux autres partis politiques.
… à la jeunesse
Le président de la République a pu mesurer et constater de visu, lors de ses tournées à l’intérieur du pays, ses visites de chantiers Taahoudaty et, plus récemment, pendant la dernière campagne électorale, l’énorme gap entre la réalité du terrain et ce que proclament les responsables de projets et autres techniciens. Les uns et les autres forment un écran entre les populations censées profiter des « somptueuses réalisations » et les dirigeants ; les populations sont presque obligées de chanter, dans les media publics et les meetings, les louanges du pouvoir, sous peine de se voir privées de toute retombée politique et économique. Lors de la dernière présidentielle, à l’instar d’ailleurs de toutes les précédentes, les acteurs politiques exercent du chantage sur les gens : « si vous ne votez pas pour le pouvoir, vous serez privés des projets et autres appuis ».
C’est dire combien ils sont médiocres, incapables de convaincre les citoyens par les faits et réalisations… réelles. Ceux qui ont été battus ou mis en mal dans « leur fief » doivent méditer sur leur incompétence, particulièrement dans la Vallée où le fossé ne cesse de se creuser entre la nouvelle génération politique du pouvoir et la jeunesse. Est-ce pour cette raison que le candidat Ghazouani a décidé de dédier son second mandat aux jeunes? Bon nombre de ceux-ci pourvus de hautes qualifications en sont encore à ronger leurs freins devant les guichets des agences de l’emploi ; ceux qui ne disposent que de petits diplômes (formations professionnelles) condamnés à se rassembler aux bords des grands carrefours – Polyclinique en particulier – guettant le moindre client potentiel en quête d’installation de plomberie, électricité, menuiserie ou autres…
Le président de la République vient se rappeler et nous rappeler qu’en dépit des phénoménaux financements qu’elle a absorbés, l’insertion chantée depuis des années n’a pas donné les fruits escomptés. Quelle nouvelle stratégie peut-il donc mettre en œuvre pour faire de la jeunesse un véritable acteur de notre développement national ? Les structures mises en place doivent être auditées, leurs missions corrigées et adaptées ; leurs dirigeants soigneusement choisis, plutôt que réduire ces structures à des éponges de clients tribaux ou pontes du pouvoir.
Quelle place la jeunesse peut-elle occuper dans les sphères du pouvoir où règnent des caciques et faucons inamovibles depuis des décennies ? La composition de la commission politique du directoire de campagne du candidat Ghazouani a révélé combien la jeunesse devra encore attendre. Certes, on a observé depuis peu la promotion de quelques jeunes propulsés à des postes de responsabilité mais force est de constater que la majorité d’entre eux sont des fils à papa ou pistonnés par des hauts placés civils, militaires et autres corps habillés, ou par des chefs de tribu. Certains postes sont réservés à une seule catégorie de gens. Ceux qui n’ont pas la chance de s’offrir ces services ne peuvent s’attendre qu’à user leurs diplômes, vivre dans la misère ou tenter l’exil. Beaucoup sont incapables de se tailler une place dans un marché étroit, fonder une entreprise ou ce qu’on appelle depuis peu startup. Le possible est marqué du sceau de l’interventionnisme, du clientélisme, de la tribu et, hélas, de l’exclusion…
… à certains partis politiques
En se présentant à un second mandat, le président Ghazouani a donné l’impression d’être un candidat indépendant, au-dessus des partis de la majorité. Une manière de ratisser large, très probablement. Ainsi a-t-on vu plusieurs de ceux-ci, des groupements et des personnalités indépendantes accourir pour le soutenir, en l’espoir d’en récolter à l’arrivée quelque dividende. En plus des partis de la majorité, les observateurs lorgnent du côté du parti non reconnu de Mohamed Jemil Mansour, le Front pour la Citoyenneté et la Justice (FCJ).
Depuis son départ de Tawassoul qu’il présida des années durant, Mohamed Jemil n’a cessé de se rapprocher du président Ghazouani. Les très bons rapports qu’entretiendraient, dit-on, les deux hommes ; le soutien déclaré du premier à la candidature du second ; la présence en bonne place de celui-là dans la commission politique du directoire de campagne de celui-ci : autant de signes annonciateurs de la probable entrée de membres du FJC dans le prochain gouvernement. Dans une interview accordée au Journal le Calame, à la veille du démarrage de la campagne présidentielle, Jemil Mansour évoquait le soutien de son parti en gestation aux projets et programmes du candidat Ghazouani. Tout en reconnaissant les réalisations du premier mandat de celui-ci, le président du FCJ souhaitait voir le président de la République corriger les manquements enregistrés lors de son premier quinquennat et ledit FCJ y contribuer.
Autres entrées possibles, quelques membres du RFD. En effet, une crise interne au parti d’Ahmed Daddah avait conduit à sa scission et certains avaient choisi de soutenir le président-candidat. On se souviendra ici que plusieurs hauts responsables du RFD avaient bénéficié de nomination de la part du président Ghazouani et ce fut probablement une prémisse à la division au sein d’un des plus anciens partis de notre arène politique nationale. L’entrée de quelques-uns de ses membres au gouvernement ou en divers autres établissements publics serait une récompense et, plus encore, un « geste appuyé envers le président Ahmed Daddah », selon l’hypothèse que nous a soufflée un observateur averti de la scène politique.
Toujours dans le même cadre, le gouvernement doit poursuivre la décrispation lancée par le président de la République. En commençant par reconnaître les partis de l’opposition – notamment le RAG et les FPC – qui attendent depuis des années leur récépissé ; et laisser ainsi aux Mauritaniens le dernier mot, celui de voter ou non pour leurs candidats. Faute de quoi les prétendants accuseront le pouvoir de « discrimination » alors qu’ils disent avoir réuni toutes les conditions pour obtenir le sésame. Une telle intégration pourrait inciter au final le président de la République à dissoudre l’Assemblée nationale – pourquoi pas ? – et à convoquer des élections locales afin de permettre, moyennant un effort important d’inclusion et de transparence des scrutins, à certains partis d’entrer ou de revenir au Parlement.
Rétablir des liens conviviaux
L’ouverture politique ne doit pas s’arrêter là. Même s’ils ne sont pas tous mauvais dans les grandes villes et la Vallée, les scores du candidat Ghazouani méritent une particulière attention. La jeunesse reste toujours réfractaire aux pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays et peut-être plus que jamais. Les cadres ont beau essayer de l’embrigader, ils se sont toujours heurtés à une résistance tenace. Et pour cause, l’ignorance du terrain pour nombre d’entre eux qui ne descendent en leur fief qu’en de très rares occasions : visite présidentielle, campagne d’implantation, décès, etc. ; ainsi que leur excès de zèle et souvent de chantage exercé sur les citoyens et opposants. Ces messieurs ne passent que très peu de temps dans leur terroir et s’empressent de le quitter sitôt « leur mission accomplie ».
Revenus à Nouakchott ou ailleurs, ils y sont difficilement accessibles ; certains se barricadent : vigile à l’entrée de leur demeure, caméras de surveillance et autres instructions de ne laisser personne entrer sans autorisation ou invitation. Ainsi guère enclins à répondre aux sollicitations de leurs concitoyens : emploi, aide financière en cas de sinistres, etc., les voilà dans une incapacité chronique à convaincre des jeunes dont les préoccupations ne sont que très peu, sinon jamais, prises en charge par les pouvoirs publics ; jeunes que l’administration ignore, que les forces de l’ordre malmènent au coin des rues ; jeunes au chômage, jeunes peinant à obtenir leurs papiers d’état-civil, à disposer de bonnes écoles et de centres de santé de proximité dotés de personnel et d’équipement adéquats…
Dans la Vallée, trop de citoyens ne savent pas comment profiter des services du CSA et de Taazour ; même certains de leurs élus peinent à user de leur statut pour régler les problèmes quotidiens de leurs administrés. Voilà comment des mauritaniens se considèrent-ils en oubliés de leur république. Le gouvernement doit tenter de renouer avec la jeunesse au lieu de la stigmatiser en cherchant des boucs émissaires. Le drame de Kaédi est une parfaite illustration de la méfiance, voire du mépris dont font montre les forces de l’ordre, l’administration et les cadres locaux. En recourant à certains anciens notables et cadres chez qui beaucoup de la nouvelle génération « chômaient » hier – c’est -à dire, se comportaient en pique-assiettes – le gouvernement contribuerait à rétablir des liens de solidarité et de partage aujourd’hui presque tous disparus. Des clefs existent, il suffit d’avoir la volonté politique de s’en servir et de trouver les bonnes personnes à cette fin.
Dalay Lam