Avec le temps, la mode évolue. C’est normal. Le monde est dynamique. Ça bouge. Heureusement, d’ailleurs, que ça bouge. Sinon, personne n’aurait eu de la place. Là où se caser. Là où caserner. Ou bivouaquer pour jargonner un chouïa. Imaginez un peu si les militaires n’avaient pas eu l’intelligence, le courage, le nationalisme, sinon fait la connerie, la bêtise, la grossièreté – tout dépend d’où vous placez-vous, par rapport aux militaires – de reprendre, comme disait leur communiqué du 10 Juillet 1978, le pouvoir. Où en serions-nous aujourd’hui ? Seul Allah le sait. En avant ou en arrière. En haut ou en bas. A droite ou à gauche. Les habits changent. Les pantalons, ce n’est plus des pattes d’éléphant et les fentes des vestes ne sont plus « à la laisse-moi trembler » immortalisé par le super danseur noir américain James Brown, bien debout sur ses chaussures tête de nègre. Les coiffures ont changé aussi : Les yéyés d’hier sont les zéros d’aujourd’hui. Tout évolue. L’école a changé. Les porteplumes, les buvards, l’encrier, la cantine, la journée discontinue, Bled, Auriol et Amis lisons ensemble…. Où s’est passé ? Tout le monde ensemble : fils de riches commerçants, de hauts gradés, de ministres, du Président même, du planton, du chauffeur, de la vendeuse de couscous, du charbonnier, du boulanger… Tous ensembles dans les mêmes écoles, sur les mêmes bancs, avec les mêmes maîtres, les mêmes curricula. Pas de région, pas de tribu, pas de communauté. La santé a changé. Tab Mosy, « Lebitan », Tab El Haj. C’était pour tous. Rien d’autre : Ni Chiva ni maladie. Les cliniques privées, connais pas. Les équipes médicales mobiles, très connues de la Mauritanie des profondeurs, faisaient le reste, à travers campements, villages et adwabas, sans dépasser ni khayma, ni hutte ni « thiehli » (hangar d’(in)fortune). Plus question, aujourd’hui, de parler du célèbre beefteak de la fin des années soixante-dix ni de la rafraîchissante « limounade » déformation de limonade auxquels n’avaient droit, généralement, que les étrangers de marque ou, très exceptionnellement, certaines personnes venus en haut (avoir raté un repas). Aujourd’hui, ce sont les hamburgers et autre pizzas. Même le langage a changé. C’est la mode. Grand existait. Aujourd’hui, c’est « Ok » ! On est ensemble ! Hartani. Kowri. Bidhani. Les Soninkés ont dit. Les Wolofs s’organisent. Et encore. : les ministres ont changé. C’est comme dimanche. C’est pas tous les jours, un ministre. Leurs impeccables 504 noires ne se voyaient que rarement. C’était quelque chose, un ministre de la République. Ils avaient quelque chose à faire, ces ministres-là. Et en plus, c’étaient les meilleurs. Ça ne tombait pas du ciel. C’était le temps où le ciel ne pleuvait pas encore les ministres. Ça n’envahissait pas. Ça ne venait pas de partout. Même l’équipe nationale a changé. Ce n’était pas encore les Mourabitounes. C’était l’équipe nationale de Mauritanie. Certains descendaient, peut-être, d’Abdallahi ibn Yacine. Mais d’autres étaient les petits-fils de quelque anonymes du Fouta ou du Toro, d’une pauvre famille de soninkés du Gorgol ou du Guidimakha, d’une famille wolof de Rosso ou du Ksar. Les résultats étaient là. Pour la Mauritanie. Les équipes nationales de basket et de volley comptaient en Afrique. Où sont-elles aujourd’hui ? Inconnues dans la sous-région. Inconnues même en Mauritanie. Des fédérations sans équipes nationales ? A quoi servent les budgets ? C’est juste pour dire que les choses ont changé. Vers l’arrière. Ça me rappelle les « chefs d’œuvre » de mon ancien ami, un garde retraité qui ne trouvait pas mieux, pour nous demander de faire le rang, que de nous hurler : « Faitez le rang ! » et, pour signifier à un autre ami qu’il n’avançait pas, d’ironiser, à moins qu’il ne s’équivoquât, faute de vocabulaire : « Petit, les gens avancent, toi tu progresses ». Si mon ami, malheureusement expulsé en 1989, pouvait savoir que combien « Petit, les pays avancent, la Mauritanie progresse ». Terrible confusion : une véritable marche à reculons, oui… Ainsi va la Mauritanie. Salut.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».