Le mandat de la jeunesse marquera-t-il la fin des régimes militaro-civils ? Par Mehla Ahmed Talebna*

25 June, 2024 - 17:17

Il est communément admis que la démocratie est le meilleur parmi les pires systèmes politiques qui ont été expérimentés tout au long de l’histoire. C’est pour cette raison que l’homme l’a adoptée comme un système de gouvernance qu’il défend de façon énergique. Pourtant, elle demeurera en réalité un simple moyen moderne par lequel les humains se font injustice les uns les autres comme ce serait le cas actuellement en Occident, alors que l’Occident est le parrain de la démocratie. Le système démocratique qu’ils ont inventé ne représente qu’un accord entre les parties politiques stipulant que le vaincu doit faire preuve d’un fair play le poussant à accepter la victoire de son concurrent appelé à prendre les choses en main tout en préservant les droits fondamentaux de la partie vaincue.
Pour nous Mauritaniens, l’opposant est souvent en position d’accusé car il pourrait être en mission d’espionnage pour le compte du pouvoir en place ; il ne nous parait en effet pas logique que le responsable ait des principes ; de même, il ne fait pas preuve de sagesse en s’opposant au pouvoir. Toute personne soutenant le gouvernement est également perçue comme un flatteur et un hypocrite, surtout si elle change son allégeance politique.

Retour à la case départ

J’évoquerai ici le succès (relatif) de la première période de transition 2005- 2007 où la transition démocratique a réussi malgré ses défauts après l’organisation d’un deuxième tour entre les candidats d’alors et ce pour la première fois dans l’histoire du pays. Nous n’oublierons pas – tant que nous vivrons- la déception des assoiffés de changement après la victoire du candidat des militaires et des chefferies traditionnelles; après le refus de toutes les concessions présentées par le candidat du changement d’alors, Ahmed Ould Dadah, qui méritait plus que tous la victoire en raison de son historique et de son rôle proéminent dans l’opposition responsable. Depuis lors, l’opinion publique ne croit plus en une alternance démocratique pacifique dans le pays. En dépit de l’amertume d’alors, j’étais personnellement parmi ceux qui ont souhaité à l’agréé par la Grâce d’Allah, Monsieur Sidi Ould Cheikh Abdallahi, d’achever calmement son mandat présidentiel, afin de créer une opportunité de renforcer la démocratie en Mauritanie, même s’il disait,- qu’Allah l’agrée- qu’il fut poussé dans une affaire pour laquelle il n’était pas bien préparé. Puis est advenu ce qui est advenu et la Mauritanie a pâti du recul d’une démocratie déjà fragile après le coup d’état du 6 août 2008 qui nous ramena malheureusement à la case de départ.
Aujourd’hui, je pourrais comprendre que l’alternance démocratique attendue n’ait pas lieu après le prix exorbitant que nous avons payé avec le revers constitutionnel de 2008-2009 avec son corollaire, la célèbre décennie passée.
Parmi les questions les plus difficiles qu’attend le citoyen mauritanien figure la réforme du système judiciaire, la justice sociale en plus d’une retouche éthique à travers la moralisation de la gestion des deniers publics, exactement comme à l’image de ce qui a été accompli dans les domaines politique et social. Tous les mauritaniens pourraient ainsi bénéficier des programmes sociaux et économiques pour les faire sortir de la précarité socio-économique et du chômage dont pâtissent les jeunes dans tous les foyers ; après que le président candidat a réussi à garantir la sécurité et la paix civile à travers l’apaisement par son discours conciliant et par l’attention qu’il accorde aux catégories les plus nécessiteuses, en plus de son empreinte morale qui a impacté positivement le processus démocratique.

Une campagne terne

Nous avons remarqué que cette campagne est terne, en raison principalement du phénomène mondial de désaffection pour la chose politique et la résignation face à la volonté des politiciens.
Cette campagne électorale est en effet la plus calme, ou disons la moins tendue parmi toutes les précédentes. Le président en fin de mandat a en effet requis de n’offenser aucun candidat, quelle que soit la virulence ou la violence de son discours. Or, Dieu Seul sait combien nous avons souffert lors des deux précédentes élections où la scène fut remplie de discours de racisme et de haine qui ont approfondi le fossé entre les différentes composantes sociales et politiques dans la société mauritanienne; dont les principales causes de ce fossé étant la mauvaise gouvernance publique dans les domaines social et économique lors des décennies précédentes.
Nous les Mauritaniens, nous sommes une nation modérée et pacifiste qui n’aime pas l’extrémisme, même en matière de religion. L’un des candidats a d’ailleurs réalisé cela et a mesuré les risques que cela lui fait encourir et la difficulté pour lui d’obtenir le soutien des autres compostantes. Il a ainsi oeuvré récemment à policer son discours politique dans l’espoir de rattraper ce qu’il a perdu en raison de ce discours abominable.
En ce qui concerne le mandat de la jeunesse tant attendu, j’espère qu’il le sera vraiment, et qu’ils seront plus à même d’honorer leurs soeurs et de leur garantir l’équité; car il parait que nos hommes âgés ne sont pas encore convaincus de l’importance d’impliquer la femme. Cependant, les jeunes doivent comprendre que ce qui est attendu c’est leur autonomisation professionnelle, en matière de formation, d’emploi et de financement, en plus de la nécessité de changer les mentalités. Même si la majorité des postes demeurerait avec la minorité des personnes âgées, il n’est pas seulement question d’âge. Il semble étrange d’entendre certains affirmer que celui qui envisage un mandat de jeunesse ne doit pas faire asseoir des personnes âgés comme Ahmed Ould Daddah, Messoud Ould Belkheir et d’autres au premier rang de l’estrade du stade Cheikha Ould Beydiya, lors de la soirée d’ouverture de la campagne électorale? Quelle logique pourrait exiger d’écarter les personnes expérimentées et sages!?
Il est connu que l’âge est un simple chiffre. Une personne jeune peut être mature, responsable et apte à gérer la chose publique. De même, une personne âgée peut être à l’inverse immature et imprudente. Il n’y a aucune sagesse chez une personne âgée qui n’implique pas les jeunes; et il n’y a rien de positif chez un jeune qui ne respecte pas les personnes âgées et les anciens fonctionnaires.

Le bâton et la carotte

Personnellement, je crois à la nécessité de remettre la conduite de la chose publique aux jeunes compétents et mûrs afin qu’ils assument la mission de former et d’autonomiser les catégories les moins autonomisées parmi les jeunes et les femmes. Et ce à condition de mettre les anciens fonctionnaires dans des conditions leur garantissant la liberté d’agir et de continuer à pouvoir contribuer à travers les activités qui leur conviennent dans le cadre d’une vie décente. Il n‘est certainement pas interdit de leur confier des postes consultatifs.
Nous pouvons, par exemple, constater l’existence actuellement des jeunes (et des personnes âgées) capables de dirger le pays parmi les candidats actuels à la présidence, qu’ils soient opposants ou pro-gouvernement. Le gouvernement actuel compte aussi également au moins un jeune capable de diriger le prochain gouvernement si l’on décide d’injecter de nouvelles énergies pour susciter le changement dans la stabilité.
Ce qui ne saurait vraiment pas perdurer, c’est de refuser le vrai changement; de continuer à engager des générations qui ne sont plus en mesure de contribuer à l’essor du développement en continuant d’exclure les générations probes et capables de construire et de développer. Il est très souhaitable que nous nous rassemblions autour du président candidat Ghazwani pour l’aider à mieux atteindre ses objectifs en terme de réforme en veillant à déterminer les points de défaillance et en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il accomplisse sa mission au mieux.
Pour conclure, j’espère que le président candidat  gagnera et réussira à paracherver son programme réformateur. En ces temps qui courent, il est le plus capable de poursuivre le projet de développement qu’il a promis; avec la nécessité de revoir certains aspects de sa stratégie afin de renouveler les énergies en vue d’atténuer l’impact, voire d’éradiquer les racines de la vulnérabilité et du chômage lors de son dernier mandat. Ce dernier pourrait aussi être le dernier de l’ère militaire d’une façon plus démocratique et plus soucieuse de l’émergence d’une élite plus jeune, plus mature et capable de recevoir le pouvoir des mains du dernier leader ayant un background militaire. Il est en effet le dirigeant le plus approprié pour dire: “Aujourd’hui, j’ai accompli ma mission, mis fin au règne des militaires et renforcé la démocratie pour vous.”
Pourquoi pas? Pouvons-nous exclure cela de la part d’un homme qui nous a surpris par sa manière de gouverner sagement et d’interragir avec les gens. Il a ainsi bien su allier le bâton et la carrotte, la rigeur et la souplesse, surmontant jusqu’à présent les obstacles les plus saillants sur la voie de la défense du pays contre les soubresauts et les menaces internes et externes.

*Experte en gouvernance publique, ancienne ministre