En 1965, le président tunisien Habib Bourguiba s’exprima sur l’exaspération croissante des musulmans envers l’entité sioniste oppressant les Palestiniens. « Cette haine », redoutait-il, « conduit à confondre antisionisme et antisémitisme, ce qui engendre […] un fanatisme qui sera dangereux le jour où il faudra négocier ». Soixante ans plus tard, on sait qui n’a cessé et ne cesse d’entretenir cet amalgame : les Sionistes eux-mêmes. On a vu ces derniers temps, notamment en France, comment le moindre soutien aux droits des Palestiniens s’est vu immédiatement taxé du plus nauséeux antijudaïsme. Une ligne de défense sioniste parfaitement illustrée par les outrances délibérément provocatrices du trouble député Meyer Habib (1), censé représenter les Français de l’étranger en neuf pays méditerranéens (2). Est-ce en la défense de son faciès indubitablement maghrébin ou de sa religion juive que cet intime de Benyamin Netanyahou ne cesse de hurler à l’antisémitisme, croissant, selon lui, dans l’Hexagone ?
Si la question soulève déjà celle de qui est sémite – arabe, maghrébin ou autre, au sens racial du terme ; et juif, en ce que cet adjectif désigne un peuple, aussi imaginaire soit-il (3) – elle pose également celle de l’utilisation politique d’un sémitisme on ne peut plus sélectif (4). Lors de l’élaboration, en France, de la loi contre la haine en ligne, dite « Loi Avia », Meyer Habib déposa un amendement exigeant que soient ajoutés, dans la caractérisation de la haine, l’expression « notamment à l’égard de l’existence de l’État d’Israël ». Cet amalgame entre antisémitisme et antisionisme fut vivement contesté, en ce que criminaliser l’antisionisme, défini entre les lignes comme la remise en cause de la politique de cette entité, rendrait potentiellement illégale toute critique de celle-ci. Dénonçant un amalgame « hautement problématique » et affirmant que « de nombreuses victimes de l'Holocauste étaient antisionistes », un appel de cent vingt-sept intellectuels juifs du monde entier fut alors lancé aux députés français et l’amendement rejeté.
Il faut saluer cet effort des intellectuels juifs à refuser de telles confusions de sens et inciter vigoureusement leurs homologues musulmans – plus largement tous les croyants en Dieu, quelle que soit leur religion – à en faire de même, en le proclamant à haute et intelligible voix. En entretenant celles-là, Meyer Habib fait paradoxalement le jeu de l’extrême-droite européenne raciste, notamment française, qui a troqué son traditionnel antisémitisme strictement judéophobe contre sa version islamophobe. Une opportuniste entente de « bon » aloi pour les uns et les autres… mais pour combien de temps ? On peut certes comprendre que les Sionistes n’aient, comme les fascistes, qu’un goût très circonstancié pour la démocratie. Plus limité encore, cela va sans dire, pour l’émancipation des peuples et la richesse de leurs interconnexions dépourvues de tout syncrétisme, projet divin par excellence : « Ô gens, Nous vous avons créés d’un homme et d’une femme ; Nous vous avons répartis en peuples et en tribus pour que vous vous apportiez mutuelle connaissance. Et certes le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est Omniscient et bien Informé. » Saint Coran, sourate 49 verset 13.
Tawfiq Mansour
Notes
(1) : Pour plus de détails sur le personnage, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Meyer_Habib
(2) : Chypre, Grèce, Italie, Malte, Saint-Marin, [Sionie], Turquie, Territoires palestiniens et Vatican.
(3) : À l’instar des musulmans dont à peine un tiers sont arabes ou maghrébins, les juifs réellement sémites ne forment actuellement guère plus de 30% des membres de la communauté judaïque. À l’inverse, un nombre important de juifs se distinguant en tant que peuple revendiquent un athéisme parfois militant, tout comme certains sémites arabes, maghrébins ou autres…
(4) : Monsieur Habib ne semble en effet guère préoccupé par le sort de ses concitoyens d’origine tout aussi maghrébine que la sienne…