Récapitulons, pour conclure, les idées essentielles de ce dossier pleinement inscrit dans la continuité de mon travail depuis quinze ans. Confrontée à des problématiques environnementales, sociales et économiques croissantes, faute de cohésion gestionnaire entre ces trois secteurs fondamentaux de notre existence sur terre, l’Humanité doit rétablir entre eux des liens vivifères, du plus local au plus global, en tenant précisément compte des disparités entre les nations. Une telle démarche nécessite tout d’abord une promotion résolue de la Société civile, désormais comprise en partenaire à part égale du Public et du Privé « enfin conscients de leurs limites respectives » ; puis une réorganisation politique distinguant clairement la citoyenneté et la nationalité.
Les premiers acteurs du durable ce sont les gens ; à chaque instant, au lieu même où ils se trouvent, quels que soient leur nationalité, leur sexe et leur âge. Leur capacité d’action dépend de leur niveau de compréhension du milieu et de l’époque où ils vivent (1), impliquant des devoirs et des droits en conséquence. Gérés dans une collaboration étroite entre le Privé, le Public et le Civil, via des Solidarités de Proximité (SP) soutenues par des Immobilisations Pérennes de la Propriété (IPP), ces enseignement et gestion du lieu constituent la base de la vitalité et du pouvoir régénérant de nos communautés. Bien évidemment, lesdits devoirs et droits dépendent d’abord de la durée de la présence de chacun en son lieu de vie. Ils s’échelonnent en degrés, du simple transit à la pleine nationalité, en passant par le séjour, la résidence et la citoyenneté.
Un des rôles majeurs des États – organisations humaines pérennes, s’il en est – consiste à soutenir, harmoniser et surtout poursuivre sans relâche les efforts à élever progressivement, le long de cette échelle, les devoirs et les droits humains. On doit distinguer ici l’action internationale propre à réduire les écarts de PNB/ha entre les pays et établir en conséquence des normes réglant partout les différents temps de présence d’une personne au lieu où elle se trouve (2), d’une part ; et, d’autre part, les actions strictement nationales les mettant harmonieusement en œuvre avec celles concernant la seule nationalité. On peut ainsi aisément comprendre que le Luxembourg soit autrement obligé que le Burundi, à l’égard des disparités engendrées par l’organisation mondiale de la marchandise, et que celui-ci ne puisse, en la conjoncture actuelle, exiger les mêmes devoirs ni garantir les mêmes droits à ses nationaux que celui-là…
Dynamiques associées…
Pour une meilleure lisibilité de mon propos, je garderai à nouveau les dénominations spécifiquement mauritaniennes que j’ai précédemment proposées pour distinguer les trois structures démocratiques indispensables, selon moi, à l’établissement d’une dynamique constructive entre la citoyenneté et la nationalité. Également représentés, le secteur privé et la Société civile y conjuguent leurs efforts à construire une administration publique au service de tous, en référence variablement critique du projet politique de son chef, le président de la République. L’élection d’un nouveau, tous les cinq ans – ou dix, au terme des deux mandats autorisés par la Constitution – est immédiatement suivie par celle de l’Assemblée de la solidarité citoyenne (ASC). Élue au suffrage universel (3) par tous les citoyens adultes, en tenant compte de divers collèges – plus de quarante ans, majeurs de moins de quarante ans, hommes, femmes, nationaux de l’extérieur et, en Mauritanie, non-musulmans – l’ASC légifère sur la politique intérieure du pays à partir des propositions du gouvernement dont le chef est nommé par le président de la République sur proposition du parti – ou de la coalition de partis – majoritaire au sortir de ce scrutin.
Intégralement musulman en Mauritanie, l’effectif de l’Assemblée de l’honneur national (AHN) est un reflet équilibré de la composition ethnique, tribale et statutaire de la Nation, à part égale de ses secteurs civil et privé. Il est renouvelé au tiers (4) à la suite des élections municipales et régionales organisées dans la dernière année de chaque mandat présidentiel. Élu à la majorité de ses pairs, son président assume, en cas de besoin, l’intérim de celui-ci. L’AHN légifère sur les droits et devoirs spécifiques des nationaux, résidents ou non dans le pays, et sur la politique extérieure de la Nation. Elle est également chargée de vérifier si les lois votées par l’AFC ne contreviennent pas aux droits et devoirs des nationaux ; et amendent si besoin celles-là, à l’instar d’un Sénat classique. Elle propose au chef de l’État un de ses membres pour la représenter au gouvernement, au titre de ministre des Affaires étrangères.
Composée sans aucune distinction de partis politiques (5), à parts seulement égales de membres des secteurs privé et civil, à partir des mêmes collèges électoraux que l’AFC mais au sein d’un électorat évidemment spécialisé : le corps des diplômés juridiques, toutes disciplines confondues ; l’Assemblée de la justice éclairée (AJE) assure la plus complète cohésion possible entre l’arsenal juridique national et international mis à la disposition de ses deux consœurs et du gouvernement. Elle propose au chef de l’État un de ses membres pour la représenter au sein de celui-là, au titre de ministre de la Justice qui organise en suivant son département afin de rendre celle-ci selon le Droit de chaque communauté sur tout le territoire national.
Élu, comme dit tantôt, au suffrage universel par tous les nationaux – ou, plus simplement, leurs représentants et représentantes à « l’Assemblée de l’Honneur national » – le président de la République est le phare du débat démocratique. C’est donc en soutien ou opposition à son projet et à ses résultats que s’organise toute la vie politique… sous la protection (le contrôle ?) de l’État qu’il dirige. L’ambiguïté de cette situation est de nature à amener la Nation – toutes, à terme d’une politique internationale réellement démocratique ? – à limiter les pouvoirs présidentiels. Élu pour concrétiser un projet en cinq ans – dix tout au plus – le chef de l’État doit certes avoir les coudées suffisamment franches pour le réaliser : ses droits de révocation de tout ministre et de dissolution de l’AFC vont en ce sens. Mais des bornes nettes et solidement défendues doivent être établies pour éviter les abus. Aura-t-on ici définitivement admis que le développement de la Société civile et sa présence assurée dans toutes les instances politiques, du plus local au plus global, est le meilleur chemin en ce sens ?
… pour une solidarité désormais impérative
Bien évidemment, il reste beaucoup à dire et affiner – critiquer au mieux ; signaler sans ménagement les éventuelles tares – d’une telle vision. Mais on aura eu au moins le mérite d’en avoir exposé les grandes lignes – et parfois divers détails importants – à un moment où notre humanité commune est singulièrement interrogée par les désordres qu’elle a infligés à son environnement. La réponse à ce défi vital ne peut être ni sectorielle ni réservée à une élite. Procédant d’une démarche systémique – une qualification qui souligne la nécessité de contester en profondeur le système qui nous a conduit à ces égarements – elle nous impose un débat suivi, entretenu à tous les niveaux de nos organisations sociales, ouvert et attentif aux expérimentations localisées en amont de toute généralisation. Ce n’est pas seulement qu’il faille laisser le temps au temps en dépit de l’urgence : il faut donner de l’espace à la vie, en se pénétrant de l’évident constat de ce que celle-ci a forcément besoin d’un lieu pour apparaître et se développer.
« Les personnes les plus appropriées – et les moins coûteuses – à explorer et exploiter un environnement quelconque », rappelais-je ailleurs (6), « sont celles qui y résident. Cela suppose évidemment qu’elles soient suffisamment bien informées, formées et exercées à la lecture et l’entretien de celui-ci. » Toutes les personnes, enfants et adultes, femmes et hommes, étrangers et nationaux. C’est le devoir de l’État chargé d’administrer le territoire de la Nation de les aider en ce sens. C’est le devoir de tous les États chargés d’administrer notre petite planète bleue de s’entraider en ce sens. Certes, chacun voit d’autant plus midi à sa porte que s’intensifient les dérèglements engendrés par le système en cours. Mais ce midi ne s’en obscurcit pas moins pour tous, sans exception, annonçant de toujours plus noirs lendemains… jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à voir à la porte de chacun. Le constat est sans appel : si la compétition est un moteur essentiel du développement, c’est bel et bien la solidarité qui est le maître d’œuvre du durable. L’Humanité pouvait, hier encore, ne faire aucun cas du second terme de ce truisme, elle n’en aujourd’hui plus le choix.
Ian Mansour de Grange
NOTES
(1) : Et cela demande, on ne le répètera jamais assez, une révision profonde des systèmes d’enseignement, intégrant l’enseignement du lieu à toutes les composantes d’âge de la population, au plus près de leur domicile.
(2) : À commencer par le prix, le délai de délivrance et la durée de validité du document permettant aux personnes concernées de vivre sur le territoire national [P1] ainsi que d’en sortir et revenir à leur guise. Délivré selon les voies classiques ou dans le mois suivant le constat de la présence de la personne sur ledit territoire, le permis de séjour, payé en numéraires ou en travaux d’intérêt général, aurait ainsi une durée maximale de trois mois et serait renouvelable dès la fin de l’échéance. Tout comme le statut de résident, délivré chaque année après constat du domicile principal (six mois pleins au cours de ladite année) établi en une même SP, tandis que celui de la citoyenneté serait accessible après cinq années successives de « sage » résidence principale en une ou plusieurs SP (et renouvelable à la même condition)…
(3) : Ou à partir des SP, comme je le suggérai dans mon ouvrage « D’ici à là », op. cité, p. 355.
(4) : Un système ailleurs éprouvé qui assure, à cette assemblée relativement éloignée des contraintes gouvernementales, un certain détachement envers les conjonctures politiciennes. Notons ici qu’un tel propos laisse en suspens la question du mode d’élection de l’AHC excluant la mobilisation de partis politiques…
(5) : Tout comme l’AHN, l’AJE n’a pas à mettre au point un programme de gouvernement…
(6) : « Un contrat social en actes », in « D’ici à là », op. cité, p. 400.
[P1]Ainsi que