Des droits fondamentaux aux droits nationaux
Déjà inclus dans les deux pactes et les sept conventions onusiennes sur les droits humains (2) au sein de listes très complètes… mais non-contraignantes et dénuées de modalités d’application – notamment dans la nécessité d’organiser l’appui des pays riches aux pays pauvres, comme en témoigne l’éloquent tableau ci-joint – un tel programme implique non seulement l’engagement des premiers auprès des seconds, au prorata de leur PIB/ha respectif, mais il nécessite surtout une orientation soignée des aides afin de donner à la Société civile la plus localisée possible – les SP (3) – les moyens objectifs de le réaliser sur le terrain. L’enjeu n’est pas le renforcement de l’État mais celui de la solidarité concrète, quotidienne, de chacun envers autrui, en promouvant en ce sens, du plus global au plus local, une symbiose active entre le Privé, le Civil et le Public. On pressent ici un processus d’enrichissement progressif de ces droits fondamentaux, avant acquisition de plus divers, selon des paliers clairement repérés dans le temps : reconnaissance de la domiciliation principale, après six mois de séjour « sage » (4) en une même SP[P1] ; puis de la citoyenneté, après cinq années de résidence tout aussi sage en une ou plusieurs de ces organisations civiles de base.
Tableau : Le Monde appartient toujours aux riches des pays du Nord
RUBRIQUE |
NORD |
SUD |
TOTAL |
Part de la population mondiale |
20,6 |
79,4 |
100 |
Part de la richesse des milliardaires du Monde |
74,2 |
25,8 |
100 |
Part du nombre de milliardaires dans le Monde |
65,0 |
35,0 |
100 |
Part des richesses mondiales totales |
69,3 |
30,7 |
100 |
Source : https://www.oxfamfrance.org/app/uploads/2024/01/Oxfam_Multinationales-et...
Il ne s’agit évidemment pas ici de préciser cette gradation qui doit faire l’objet d’études et de débats adaptés aux réalités de chaque pays mais on peut tout de même en situer déjà quelques limites. Tout d’abord supérieures, distinguant les droits et devoirs citoyens de ceux strictement nationaux. Électeur de l’AFC et éligible en son sein, un citoyen ne l’est de l’AHN que s’il dispose également de la nationalité. Il peut à ce titre postuler à toutes les fonctions de l’État et à tous les avantages inhérents à celles-ci. Non pas, remarquons-le au passage, qu’un simple citoyen ne puisse accéder à certains de ces emplois mais il n’y parviendra, au-delà de son éventuelle élection populaire, qu’à la grâce de l’autorité régalienne. De même, un simple citoyen ne peut prétendre à la protection de l’État sitôt qu’il quitte le territoire géré par celui-ci, alors qu’un national demeurant à l’étranger doit en être assuré (rapatriement, en autres) en cas de danger. C’est dire que l’État n’est pas seulement nanti d’une souveraineté territoriale, il est également obligé envers tous les membres de la Nation, où qu’ils se trouvent.
Le rappel d’un tel truisme parfois négligé dans les faits repose la question des critères assurant la nationalité d’un individu. Nous notions plus haut (5) l’ambigüité que pose la combinaison de conditions objectives, comme la naissance sur le sol de la nation, avec d’autres plus subjectives, comme l’appartenance à une religion. Le trouble paraît consécutif à des associations souvent abusives – parfois sciemment entretenues… – entre concepts voisins mais certes pas synonymes : pays et nation, république et État. Un pays est un territoire géographique ; une nation, un peuple ou une communauté de peuples ; un État, un ensemble d’institutions publiques gérant le pays ; une république, un mode d’organisation et de débat mis en place par la nation pour diriger l’État. Mais un pays peut abriter plusieurs peuples, à l’instar de la Chine ou du Brésil ; un peuple ne pas disposer de territoire spécifique ou se retrouver réparti en plusieurs ; tout comme un État être composé de plusieurs États fédérés, à l’instar de l’Inde ou des USA ; et une république lieu de débats beaucoup plus oligarchiques que démocratiques…
On voit ici encore ce que peut apporter la distinction entre citoyenneté et nationalité (6). En tel discernement, le lieu de naissance d’une personne implique la reconnaissance de sa citoyenneté par l’État gérant celui-là mais la nationalité ne lui est reconnue qu’à condition d’adhérer formellement (7) aux valeurs constitutionnellement définies par la Nation, via referendum. C’est encore dire que la citoyenneté est une obligation universaliste et doit être traitée en conséquence, dans une collaboration active entre tous les États, tandis que la nationalité est une qualité spécifique protégée par celui seul qui en a la garde. On perçoit ici la ligature entre la Nation et l’État. Un lien à ce point puissant qu’on parle même, en certains pays – c’est la cas de la France – d’« État-nation » et c’est en définitive celui-ci qui définit les critères de la nationalité, plus que le peuple lui-même ou les peuples qui habitent celui-là. Abus de pouvoir d’autant plus en perspectives que les concepts de nationalité et citoyenneté sont confondus…
Tout tient alors à la qualité et à la profondeur du débat censé diriger l’État. Obnubilé par l’organisation politique que désigne le terme « république », on a tendance à oublier sa racine : la discussion entre les gens. Sous sa forme démocratique présumée manifester la volonté souveraine du peuple : entre tous les gens. Au 16ème siècle – en pleine guerre de religions, donc – le français Jean Bodin assimilait la république au « droit de plusieurs ménages à gouverner ensemble ce qui leur est commun, avec puissance souveraine » ; une communauté d’idées, donc, à la recherche du bien commun. Politiquement interprété, par les oligarques, comme l’expression de l’« omnipotence du prince dans l'ordre de la loi naturelle », le terme se cristallise au 18ème siècle sous la plume de Jean-Jacques Rousseau dans la formule suivante : « Tout gouvernement légitime est républicain ». Puis allègrement synthétisé dans la lapidaire déclaration ouvrant l’article 1er de la Constitution mauritanienne : « La République islamique de Mauritanie est un État républicain indivisible, démocratique et social », à l’instar de nombreuses autres dans le Monde.
Pays du Sud exemplaires ?
De tels distinguos sont de nature à élargir la liberté d’expression – et la capacité d’écoute, en conséquence… – de toute personne, à l’endroit même où elle se tient, respectueuse de celui-ci et des règles imposées par la nation à l’État chargé d’en administrer le territoire. Liberté d’expression… et d’action, au service d’un bien commun non pas défini à l’avance mais toujours perfectible, au gré de la confrontation des expériences et des points de vue de chacun. Une telle démarche « situe le travail administratif à l’écoute réelle du peuple, repoussant l’activité réglementaire en aval de l’expérimentation et non pas le contraire, admettant donc, en permanence et dans la pratique, le principe de l’adaptation de l’État aux contingences du vivant (9) ». Peuple ici en son plus large sens, impliquant tous les citoyens, nationaux ou étrangers, dans la quête des meilleures conditions possibles d’existence, ici et maintenant. Ce n’est pas seulement dans la Nature que rien n’existe seul. C’est aussi un principe de culture, argumentant l’idéal de « la » Civilisation dans un perpétuel débat entre toutes, unanimement convaincues de ce que chacune n’acquiert de sens et de pouvoir qu’en ce qu’elle interagit avec les autres.
Plus encore : nous sommes tous citoyens du Monde et à ce titre individuellement responsables de l’état de celui-ci ; à chaque instant, au lieu même où nous séjournons, fièrement porteurs des valeurs que nos familles nous ont léguées mais également – au final, d’autant plus – conscients de ce que la source de tout équilibre, de la vie et de la richesse, c’est la diversité. Elle irrigue d’autant mieux nos existences que nous nous distinguons clairement les uns des autres : le vivre ensemble ne signifie pas syncrétisme insipide ; une femme n’est pas plus un homme qu’un jeune un vieux, un juif un musulman, ni un beydane un négro-mauritanien et c’est justement l’enjeu de la cité, en quelque pays soit-elle, de leur donner à tous et toutes l’opportunité de valoriser leurs différences, en arrondir les angles au coin de chaque rue. Un challenge certes compliqué par les intérêts privés et les nécessités des États à quadriller les espaces, les règlements et les lois. Mais d’autant plus relevable que les uns et les autres donnent à la Société civile les plus franches coudées à relever son exploit humaniste. Les pays du Sud à l’avant-garde de ceux du Nord ? Ce n’est en effet pas une question de richesses mais tout simplement d’honneur national, en son plus noble sens…
NOTES
(1) : Rappel : Assemblée de l’Honneur National (AHN), Assemblée de la Fraternité Citoyenne (AFC) et Assemblée de la Justice Éclairée (AJE).
(2) : Voir www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/politique-exterieure/organisations-internationales/nu/onu-droits-homme/conventions-droits-homme.html ; entre autres.
(3) : Rappel : Solidarité de Proximité (SP), base de la citoyenneté.
(4) : C’est-à-dire non-entaché de la moindre condamnation judiciaire, suite à procès équitablement instruit, en plein respect des droits humains fondamentaux.
(5) : Note 11 du premier article de la série.
(6) : Un souci certes pas nouveau, comme en témoigne la floraison, ininterrompue depuis des décennies, de travaux internationaux sur ce thème. La thèse de doctorat, en 1997 à l’European University Institute, du professeur Benoît Guignet : « Citoyenneté et nationalité, limites de la rupture d’un lien » ; en semble un recueil particulièrement exhaustif. Voir https://core.ac.uk/download/pdf/45672396.pdf ; plus particulièrement en ses pages 349 à 363 et son abondante bibliographie pp. 375-410.
(7) : à l’âge adulte, donc.
(8) : Voir notamment le chapitre « Entre culture et nature, déconcentration et partage », in « D’ici à là », Éditions Joussour Abdel Aziz, Nouakchott, 2023.
(9) : Ibid, p. 164.
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