Chapitre 4 : Les marginaux célèbres
S’sangue (Mederdra) avait bien, elle aussi, ses personnages marginaux mais illustres par leurs aspects et comportements plaisants, souvent très moqueurs et anodins.
Ils avaient, chacun et chacune, son histoire derrière leur personnage rébarbatif. Et justement, pour découvrir cette énigme, il fallait être très habile, très patient et très prudent pour pouvoir parvenir au mystère…
C’était bien à l’époque où le kilogramme de viande de mouton ne coûtait que « quinze » ouguiyas chez Ahmed ould Cheddad et Ahmedou ould Sabar …
La plupart des malades mentaux avaient leur asile chez madame N’diaye, mère des Tar Diop, au même titre que des élèves non boursiers à la cantine scolaire et dont les parents étaient en brousse.
Au pensionnat de la vieille dame il y avait : Mohamed ould Barke, Noumah Naghouze, Sidi Gobi, mint Emen-he, Bayeni Fouge, etc.
Une armada de fous, sans parents, ni repères et en perdition complète…
Chacun avait son coin dans la cour, avec ses chiffons crasseux et ses affaires et personne ne pouvait le déranger !
Noumah s’était faite, elle-même, appelée Naghouze et, était victime d’une crise de jalousie qui l’avait complètement déboussolée… Et personne ne savait ce que Naghouze ronchonnait tout bas et tout le temps…
Ould Barke, lui, avait la main gauche éternellement enfouie sous son boubou, au niveau du pubis. Il avait un amour idyllique pour deux dames, Khadaje l’infirmière et mint el Wennane l’enseignante. Son béguin pour les deux femmes, il le chantait dans un quatrain bucolique boiteux mais très célèbre où l’enseignante devait manger l’infirmière !?...
Il paraît qu’il fut un grand monsieur assez opulent, victime d’un maléfice (sort) qui l’avait atteint sous une tente en laine (khaimet loubar) et que depuis lors il n’était jamais rentré sous un toit en laine… A plusieurs reprises, certains l’avaient pris par les bras et jambes pour l’introduire sous ‘’loubar’’, pourvu qu’il guérissait, mais en vain, ils échouèrent avec assez de dégâts…
Sidi Gobi était l’apprenti-chauffeur de la GMC. dont la charpente était abandonnée à l’Est de Boueir Toress sur la dune qui porte son nom. Il était jeune et beau, très fort et élégant. Il était très calme et portait une carrure mâle. Sa manie était la confection des lance-pierres qui ne rataient pas l’objectif, et puis il ne rigolait jamais malgré qu’il était inoffensif…
Mint M’monhé, femme fine, un peu claire, qui passait sans se retourner mais, gare à celui ou celle qui prononçait le mot « SARBEGNE », là c’était la foudre ! Les sales injures, jets de pierres, course-poursuite avec tous ses habits balancés le long du trajet !
Sarbegne (déformation de Charbonnier) n’était autre que l’un des administrateurs coloniaux qui avaient défilé à Mederdra. Il s’était arrogé la très belle mint M’monhe, mais comme concubine qu’il avait beaucoup gâtée, la môme ; et il rentra en France sans l’avertir ni laisser d’adresse !! Et depuis ce jour, telle la coccinelle zébrée, elle avait fini sa vie, à la recherche de la pupille de ses yeux…
Bayeni était dissident ‘’écorché’’ par quelqu’un, très proche des cieux, disait-on et, Dieu seul savait ce qu’il en était…
En tout cas, le mot ‘’FOUGE’’ (faux jeux) était interdit à moins de 2000 mètres, sinon gare au cou ! L’athlète – butteur était très féroce !
Bayeni prétendait qu’il était imbattable aux jeux des cartes mais personne n’en voulait comme partenaire…
Medine, au Nord, avait les deux plus grands personnages de la scène sangoise : Mohamed Ghariouke et Yembe.
Mohamed n’était pas fou mais distrait et penaud, il souffrait aussi d’un relâchement physique dû certainement à un problème neurologique. Il était marié, à la différence de tous les autres qui ne manifestaient aucune pulsion vis-à-vis de la féminité…
Le problème de Ghariouke était qu’il ne pouvait plus et c’était ce que le cadi ignorait !
Il y avait surtout le Négus Yembe, le célèbre et incroyable, mais vrai, sosie de Hailé Sélassié Said empereur (Négus) d’Ethiopie ! Le visage have et ridé, la grande touffe de cheveux crépus et bouclés, la ligne de taille frêle… Il est impossible qu’ils ne soient pas jumeaux, Yembe et Hailé… En tout cas, personne ne savait l’origine du nôtre (empereur) … Sauf qu’il était rescapé venu du grand désert parmi des populations qui s’étaient ruées vers le Sud fuyant les grandes disettes qui avaient tout ravagé au milieu du siècle dernier…
Il chuta alors à Mederdra, sourd-muet, sans origine et sans nom, ni âme… chez N’diaya qui le légua à sa fille Dadou. A son arrivée, Yembe était déjà assez vieux et il le resta jusqu’à sa mort.
A la différence de son jumeau Hailé qui avait empêché les colons d’occuper l’Oromia (son pays) et grâce à une armée d’enfants peulhs, sans chaussures… Yembe lui, avait excessivement peur de l’obscurité. Il ne sortait jamais de nuit, même au niveau de la porte d’entrée de la cour… Il passait toutes ses nuits à trinquer ses trois ou quatre dizaines de verres bien remplis de thé et, à fumer sa grosse pipe-canari. Et gare au ‘’sekak’’ qui osait demander un verre de thé ! Aussitôt des injures en refrain : « yahrag beyak.. dha… keuuul… gouchatt… ! etc. et ça continuait jusqu’au matin…
Notre Négus fut aussi notre Polichinelle de l’Iguidi. Il tenait à dénoncer un ‘’lascar’’ mais il avait peur. Il le décrivait exactement et allait même jusqu’à dire sa fonction et le nom de son patron… puis après, un coup d’œil vers l’arrière disait à demi-mot : « je ne le dirai pas »… Bravo Polichinelle est parti dans l’autre monde, sans jamais dire son secret légendaire parce qu’il a toujours peur.
Quant à Brahim ould Boukah, il était bien fou, inoffensif et extrêmement mobile. Il attendait incessamment un convoi de véhicules chargés de gomme arabique ! Personne n’a jamais vu ce cortège venir. Pourtant, il le montrait du doigt, mais, à travers son os à fumer (ENCHICH). Cet homme intéressant fut un grand commerçant au Sénégal. Spontanément, il avait tout perdu, la tête aussi !!