Au temps où j’étais petit – ça fait un bail : quasiment un demi-siècle… – l’instituteur, c’était quelque chose de très important. Tellement important que je me rappelle encore des noms de tous ceux et celles qui m’ont enseigné. Feu Ahmed Hamed, Octobre 72/73, feu Mohamed Lemine ould Bewbe, CM2 de l’école 1 d’Atar 78/79… Je me rappelle même du problème qui nous fut proposé à l’épreuve de calcul de cette année-là. Au temps où j’étais petit, un simple gendarme, un simple garde, un simple agent de n’importe quelle structure, c’était important. Je me rappelle encore du menuisier de l’école 1 d’Aleg, le vieux feu Oumar Bâ. Je me rappelle de nos surveillants dans les écoles fondamentales de Rosso 1 et de l’école Justice. Ces fonctionnaires étaient très importants, des personnalités sacralisées par l’autorité de l’État. Même jusqu’à il y a encore quinze à vingt ans, les gendarmes et les hommes de treillis étaient encore « considérés ». Un inspecteur m’a raconté une croustillante anecdote. À l’époque, il était instituteur dans un lointain bled de l’Est de la Mauritanie, là-bas vers Gualb Ejmel, aux environs de Oualata. Evidemment le seul fonctionnaire de la localité qui comptait à peine une vingtaine de familles. La cheffe du campement était une femme gentille et autoritaire chez qui logeaient tous les instituteurs et tous les hôtes de passage. Un jour qu’il était en classe avec sa trentaine d’élèves, un envoyé de la grande cheffe vint lui annoncer qu’elle lui demandait de libérer les enfants et de venir rapidement à elle pour un besoin urgent. Mon ami instituteur s’exécuta aussitôt et rejoignit sa bienfaitrice. Approchant, il aperçut sous la tente trois gendarmes, très haut perchés et déjà bien installés. La cheffe dit à l’instituteur qui deviendrait plus tard un brillant inspecteur : « Viens vite me préparer un bon thé pour ces étrangers ! » Et mon cher ami se fit bien sûr un plaisir de répondre à son invite. Aujourd’hui les fonctions sont complètement dévalorisées. « Général » maintenant ne résonne plus comme résonnait « lieutenant » dans les années 80. Ministre des temps anciens, ce n’est plus comme ministre des temps présents. Un professeur du lycée national de 1978 et un de 2024. Un commissaire de police des autres temps, un autre avec un bac O. Les anciens magistrats, les anciens gouverneurs et préfets du milieu des années soixante-dix,même les anciens présidents (ou du moins un certain ancien président)... Maintenant, moi, je vais me présenter à la prochaine présidentielle. Déjà plusieurs sont entrés dans la course : une femme, un jeune, un vieux, un long, un court, un bédouin, un citadin, un fauché, un riche. Et voilà, vous n’avez que l’embarras du choix. Un président d’aujourd’hui, ce n’est plus comme avant. La dévalorisation est partout : elle est ambiante. Un président au rabais, en veux-tu, en voilà ! Salut.
Sneiba El Kory