C’est juste un avis. Pas plus. Sincèrement, parler du dialogue politique, en Mauritanie, est tout simplement fastidieux. Incolore. Inodore. In-n’importe quoi. Mais, comme on dit, si tu vois les gens aveugles, « casse dans ton œil », en faisant semblant d’être borgne. Ces derniers jours, tout le monde ne parle que de dialogue. D’un certain dialogue qui serait imminent, entre une opposition requinquée par une subite disposition officielle et un pouvoir cafouilleux qui ne sait plus où mettre de la tête, face aux défis de tous ordres qui s’accumulent de jour en jour. Un dialogue, en Mauritanie, est tout, sauf inédit. C’est même de la réédition. Dialogue de Dakar, pour sortir du cou de la bouteille, après le coup d’Etat qui mit fin à la première véritable expérience démocratique nationale. Petite éclaircie. Organisation de l’élection présidentielle de 2009. Légitimation des autorités issues du putsch du 6 août 2008. Reconnaissance en dents de scie du président élu, l’ancien général-putschiste, Mohamed ould Abdel Aziz. Compte à rebours. Pas de dialogue inclusif. La page semble tournée. Dakar, c’est au Sénégal. Ici, c’est la Mauritanie. Très forte tension, entre le Président et une partie de l’opposition. Invectives de part et d’autre. Tout y passe. Division de l’opposition dont quatre partis (APP, El Wiam, Hammam et Sawab) « redialoguent », en 2011, avec le pouvoir. Grand tapage médiatique. Un mois de discussions. Amendements constitutionnels dont les plus emblématiques resteront la loi d’incompatibilité et « l’élévation », au grade de crime contre l’humanité, de l’esclavage. Ce n’est pas que je veuille minimiser les résultats de ce dialogue-là. Loin s’en faut. Mais, c’est juste que mon propos est ailleurs. Organisation d’élections législatives et municipales auxquelles les partis de l’opposition « dialoguiste », devenue Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP) et Tawassoul participent. Déluge de contestations. Comme après chaque consultation électorale. Nouvelle élection présidentielle. Nouvelle victoire, sans appel, du président sortant. La majorité jubile. Toute l’opposition dénonce. Le second mandat de Mohamed ould Abdel Aziz commence, sur fond de crise sociale et communautariste. Les caisses de l’Etat tarissent. Les scandales financiers se suivent et se ressemblent. Les tensions intercommunautaires s’exacerbent. Les prestations gouvernementales frisent la médiocrité, dans tous les domaines. Les slogans de l’espoir, comme la lutte contre la gabegie, la consolidation et l’ancrage des valeurs démocratiques, l’équité dans le partage des ressources nationales, l’amélioration des conditions de vie des citoyens et autres, s’estompent peu à peu. Les prix du fer dégringolent dangereusement. De 180 dollars la tonne le voilà flirtant avec les 50 dollars. Chute du prix des autres minerais. Incompréhension, entre les négociateurs nationaux et l’Union Européenne, pour la convention de pêche. Conséquence : cent millions d’euros de manque à gagner au Trésor public. Pillage des côtes nationales, par des opérateurs insouciants qui ont versé de fortes commissions à des intermédiaires sans scrupule. Plus personne ne diverge sur la réalité de la crise que vit le pays. Alors, dialogue ! Le Président y semble entièrement disposé. Il l’aurait même dit à son gouvernement, lors du dernier conseil des ministres. La majorité y semble réticente. Normal. Ses cadres préfèrent « gérer » seuls le pays. Toute intrusion les gênerait. Un avis que certains ont clairement manifesté, au cours d’une rencontre avec l’actuel Premier ministre. Les intérêts égoïstes vaudraient-ils plus que l’intérêt général ? Quant aux deux oppositions, elles seraient d’accord sur le principe. Mais les conditions du dialogue et les garanties pour sa réussite font problème. Véritable amalgame. Les partis du FNDU et ses autres composantes (personnalités indépendantes, organisations de la société civile et syndicats) n’ont pas la même approche. Autant certains de ses segments marchent sur des braises, impatients d’engager les discussions, autant d’autres préfèrent prendre leur mal en patience et attendre des assurances, faisant leurs les adages populaires « Celui qui a été mordu par le serpent craint la corde » et « Chat échaudé craint l’eau froide ». La thématique du dialogue constitue, elle aussi, une autre paire de manches. Les aspects politiques sont certes importants, voire incontournables. Mais d’autres questions de fond, comme la cohabitation entre les différentes communautés ou la justice sociale, doivent figurer, en bonne place, dans l’agenda du probable dialogue qui se profile entre le pouvoir et l’opposition. C’est connu, jamais deux sans trois. Du coup d’Etat du 6 août 2008 à aujourd’hui, il y eut deux dialogues où à chaque fois, le pouvoir a « dialogué l’opposition », pour s’en tirer à bon compte. Cette fois, l’opposition « dialoguera-t-elle le pouvoir » ? Pour une fois. Entre les deux, la Mauritanie semble toujours passer entre les dents d’un peigne.
Sneïba El Kory