La Mauritanie a vraiment besoin d'une nouvelle approche de développement (suite et fin)

14 February, 2024 - 08:24

Il est évident que le modèle actuel a épuisé sa validité, voire échoué, et s'est effacé, incapable de répondre aux besoins croissants d'une grande partie des citoyens et de fournir des solutions radicales aux problèmes économiques et sociaux, se contentant de proposer des palliatifs et des solutions temporaires. Cet échec avant tout celui des grandes orientations adoptées par les régimes successifs depuis des décennies. Ces choix ont échoué car ils n'étaient pas adaptés à la réalité du pays ni aux besoins du peuple. Ils ont été exécutés dans le cadre d'un système opposé à la production, avec une flottaison totale de la responsabilité et l’impossibilité de rendre véritablement les comptes.

 Tout ce qui précède nous confronte à la nécessité urgente de préparer un nouveau modèle pour faire face aux grandes transformations, en tête desquels les changements profonds qui affectent le système mondial sur les plans géopolitique, économique et sanitaire. Le modèle proposé nécessite une volonté politique sincère d’entreprendre les réformes nécessaires et de rompre avec les orientations politiques centrées sur la fabrication de cartes politiques et une approche sécuritaire réduisant toutes les formes d'expression, ainsi que la corruption, les gains illicites et autres systèmes de monopoles et de privilèges du passé. Il doit également reposer sur l'écoute du pouls du peuple et de ses aspirations, assurant l'intégration entre le « rôle de l'État » et « l'efficacité de la société ». Il doit émerger à partir des composants de notre société, des acquis de notre nation, des besoins croissants et renouvelés, de nos caractéristiques culturelles, historiques et civilisationnelles, ainsi que de nos ressources matérielles et humaines, afin d'améliorer la position de notre pays dans son environnement international et de restaurer la confiance des citoyennes et citoyens envers leur patrie, ses institutions et ses élites.

La nouvelle approche de développement doit faire, du politique et du sécuritaire, des moyens pour relever et renforcer la question économique et sociale – pas l'inverse – et se caractériser de la manière suivante. En un, une réforme politique profonde permettant l'émergence de partis et d'organisations politiques bien structurés, présentant un discours clair et des programmes réfléchis autour desquels leur public et leurs militants sont encadrés.  Tout[P1]  ceci accompagnant le réajustement du comportement politique de l'État pour garantir l'abandon de toute politique diluant la vie publique, établissant des entités partisanes, et fabriquant des cartes politiques sur mesure. En deux, une réforme constitutionnelle reconnaissant explicitement le droit de chaque citoyen à l'éducation, aux soins de santé, à l'emploi et à un logement décent. Et la refonte des plans et des programmes de développement pour garantir que chaque citoyen jouisse de ces droits.

Troisièmement, refondre les politiques publiques pour assurer la transition d'une société basée sur le compromis, les privilèges et les cercles fermés vers une société de droits garantis pour tous sur un pied d'égalité. Quatrièmement, constitutionnaliser les mécanismes de lutte contre la corruption, protéger les finances publiques et les éloigner des calculs politiques et des obstacles imposés par l'Exécutif. Cinquièmement, éliminer les pratiques rentières et définir des limites claires entre les privilèges politiques et les questions économiques et sociales ; criminaliser l'octroi de licences, terrains et autres privilèges économiques sur des bases sociales et politiques ; établir des critères de transparence fondés sur la compétence et la concurrence ; renoncer à leur gaspillage qui accordent ces privilèges aux politiciens, aux leadeurs traditionnels et autres de même acabit.

Sixièmement, entreprendre une réforme administrative profonde garantissant un changement et une modernisation des méthodes de travail, éliminant les foyers de corruption multiples et établissant des critères clairs pour la sélection des postes de haut niveau. Septièmement, adopter une vision économique pour le pays incluant la réduction de la dépendance à l'extraction de minerais, la modernisation des secteurs ruraux et la réduction du secteur informel, tout en proposant des solutions de réforme radicale, notamment des secteurs fondamentaux qui entravent le développement économique tels que le foncier, le système bancaire, l’assurance ; rompre les monopoles et promouvoir la concurrence équitable, entre autres. Huitièmement, équilibrer les investissements publics dans les infrastructures, le capital humain et la production, pour assurer la transition d’un modèle basé sur la construction d'installations à un modèle axé sur la compétitivité.

 

Fiscalement parlant

Réformer le système fiscal pour assurer un niveau acceptable de justice en limitent les taxes indirectes sur la consommation et en les remplaçant par des impôts ciblés sur les riches, tels que la taxe sur la fortune, par exemple. Réformer les programmes de protection sociale pour continuer à soutenir les catégories vulnérables, sauver la classe moyenne urbaine et développer une classe moyenne rurale, avec un programme spécial pour impliquer les résidents à l'étranger « afin de bénéficier de leurs connaissances, de leurs réseaux et de leurs expériences ». Enfin, revitaliser les valeurs nationales et la mobilisation générale autour d'elles, criminaliser les conflits d'intérêts et l'exploitation des positions de pouvoir et des privilèges, lutter contre les mentalités et les pratiques tribales et familiales étroites.

L’implémentation de telles solutions nécessite une nouvelle génération de projets, une nouvelle élite de compétences en divers postes et responsabilités et l'introduction d’une nouvelle dynamique au niveau des institutions, des entités politiques, économiques et administratives. Il nécessite également un consensus et un engagement entre les composantes de la scène politique, les forces nationales et les experts, etc., visant à établir un pacte de développement qui fait de la prospérité économique et sociale une fin et de l'activité politique un moyen – et non plus l'inverse – pour constituer un engagement politique et moral envers le peuple et une référence commune garantissant la participation de tous au développement pour donner une nouvelle ambition au pays que nous nous efforcerons de réaliser dans les années à venir, quel que soit le changement des gouvernements.

Ce diagnostic qui peut sembler fort sévère émane de manière sincère et responsable du cœur d'un citoyen indépendant, non politique, non affilié, non tribal ni régional, et qui n'appartient de fait qu'à son pays. La Mauritanie appartient à tous les Mauritaniens, c'est notre maison commune qui devrait accueillir tous ses fils et leur donner à jouir, tous sans exception, des mêmes droits et des mêmes devoirs, dans la liberté et la dignité humaine.

 

Boubacar Ahmed

Consultant et expert en gestion

  [email protected]