Le week-end n'est sûrement pas le moment idéal pour s'engager dans une polémique, puisqu’on est censé faire quelque chose de plus agréable, pendant ce court moment de répit hebdomadaire, que de lire des articles incohérents sans grand apport intellectuel ni divertissement. Mais, comme on dit, il n'y a pas de coïncidences, il n'y a que des rendez-vous.
En fait, j’ai suivi vos publications un certain moment, surtout depuis que vous avez commencé à écrire à propos des différents soubresauts qui ont accompagné la naissance de la nation mauritanienne, puis j'ai suivi les réactions diverses que vos écrits ont suscitées. Figurez-vous que j'ai même pensé publier quelques remarques sur les incohérences de vos articles, en particulier quand vous vous essayez à écrire ce que vous pensez être l'Histoire ou quand vous vous hasardez à vous étendre sur d'autres questions où vous avez fait montre de si peu d’impartialité.
Comme quand vous traitez une problématique aussi complexe que la question nationale de manière émotionnelle, vous mettant du coup dans le périmètre du règlement de ce qui ressemble à des comptes avec certains. J’ai alors jugé cela pas très correct, surtout quand il s'agit d'un sujet aussi sérieux et primordial. Mais des occupations m'ont empêché de le faire à ce moment-là.
Je découvre aujourd’hui votre nouvel article commémorant Breidelleïl. Là, je suis surpris par le peu d’exactitude de votre récit sur la fondation des FLAM, les motivations qui y ont mené et la justification du choix de la violence par le gouvernement d’Ould Taya dont nous payons encore aujourd’hui le prix. Car ce que vous avez écrit ressemble plus à un récit romancé sur une période dramatique de l'histoire politique contemporaine du pays, alors qu’elle mérite plus de précision et d’honnêteté. Mais ce qui m'a poussé en définitive à commenter votre récit, c'est le choc de vous voir présenter le regretté Saïdou Kane comme un infirmier d'origine sénégalaise. C’est en soi dangereux.
Cependant et quels que soient les motifs qui vous ont poussé à lui enlever sa « mauritanité » par hostilité à son égard, sinon à celui du mouvement d’idées qu’il représente ou tout simplement par ignorance, j'ai pensé à vous le présenter. Car il n'est pas quelqu’un qu’on peut ignorer dans ce pays.
Qui est Saïdou Kane ?
Á Atar, il y a des décennies, lorsque l’agent du service national de météorologie, Mamadou Fadoume, présenta Saïdou Kane à Ahmed Bezeïd ould Ahmed Miské, ce dernier déclara, après les salutations d’usage : « je suis maintenant devant le descendant de l’Élimane Boubakar Kane à propos duquel Cheikh Mohamed El Mamy a écrit, dans son livre Al-Badya, qu’il appliquait la loi d’Allah à Dimatt ».
Sachez, pour votre gouverne, que Saïdou Kane accomplit d’abord ses études à Moscou puis à Bruxelles où il fut l’un des principaux leaders de l’Union Générale des Étudiants Africains. En bon militant croyant au droit des peuples à l’autodétermination, il partit par la suite au Sahara occidental et fut de ce fait le premier mauritanien à introduire la « question du Sahara occidental » dans le domaine académique, lorsqu’il en fit le sujet de sa thèse à l’Université Libre de Bruxelles. Un débat où n’apparaissent plus aujourd’hui, côté mauritanien, le moindre participant peul, comme si cette question ne concernait qu’un seul groupe ; ce qui parait plausible puisque c’est en effet l’un des résultats de l’activisme de tous les nationalistes.
Avec la chute du régime d’Ould Daddah et dans un contexte où la question nationale fut posée de manière plus flagrante avec l’arrivée à la surface de nouvelles problématiques, comme l'esclavage de façon expresse, Saïdou Kane apparut alors comme l'un des principaux leaders portant la lutte des afro-mauritaniens contre l’exclusion et les chauvinistes qui caractérisèrent cette époque. Il le fut du fait de ses incontestables connaissances en sciences humaines (histoire, sociologie, anthropologie et linguistique) et politiques. Son rôle sera déterminant plus tard, lors de la mise en place d’un Institut des langues nationales, à côté du regretté Oumar Ba qui est, comme lui, descendant de Tafsirou Bakel, le plus grand historien du Fouta au 18ème siècle.
Après avoir fondé le mouvement des FLAM qui, selon ce qui est apparu plus tard dans les écrits du regretté colonel Oumar ould Beïbakar, n’était pas ce que les services de renseignements et les élites chauvines d’Ould Taya nous ont fait croire et après le lot de sévices qu’il vécut en prison, Saïdou Kane reviendra comme acteur de premier rang dans toutes les intervalles politiques qui ont suivi. Il défendait les droits de l’Homme, tant à travers le MND que, plus tard, Conscience et Résistance. Et poursuivait son travail scientifique sans relâche, au sein de l’Institut mauritanien des recherches scientifiques (IMRS) où il supervisait le programme de préservation des villes anciennes.
Honorons Saïdou Kane !
Nous lui devons aujourd’hui de l’honorer et le décorer, certes pas lui dénier son appartenance nationale. Cet homme a porté des convictions et les a défendues, dans un pays où les convictions importent si peu. Il a enrichi notre vie politique, partagé les peines des Mauritaniens et les a défendus tous, beïdane, soninké ou harratine, militant avec eux, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, pour un avenir meilleur pour tous ; nous tous. Sa famille a joué des rôles religieux reconnus qui font aujourd’hui partie de notre histoire, de notre patrimoine et de notre mémoire nationale. Pourquoi donc toute cette hostilité ?
Il ne faut pas oublier que c’est l’alliance intime entre Bakar ould Sweïd Ahmed et Abdi Bakary Kane portant ensemble les armes contre les colons qui nous a sauvés jusqu’ici, malgré la domination de la race et de l’ethnie sur la cartographie de la violence dans la sous-région. Et il est de notre devoir à tous de préserver cet héritage de la versatilité des élites chauvines qui refusent les différences. Á la fin, nous devons prendre conscience que la Mauritanie appartient à tous ses fils et que personne n’est plus mauritanien qu’un autre qu’à la faveur des services rendus à la Mauritanie.