1/ L'ancien président Mohamed Oud Abdel Aziz: de 1980-2023
"Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, la face du monde aurait changé". Pour le penseur B. Pascal, les petites causes peuvent produire de grands effets, comme le jeu de dominos. Mais ce qui importe pour nous aujourd'hui, c'est la prédiction du destin de l'être humain, même si ça et là des prémices tantôt palpables, tantôt dubitatives traversent nos esprits des plus luminescents. Souvent une conscience clairvoyante, de brillantes humanités, ou des transgressions à l'adolescence sont autant de facteurs qui concourent à des interprétations divinatoires. Alors on dit: "ce garçon finira mal, s'il ne prend garde" ou cette "fille a de l'avenir, si elle continue comme ça"... Mais ces prédispositions divinatoires voire incantatoires ne prennent pas en compte "l'accident ou l'incident de parcours, qui peut vite arriver et changer ainsi la trajectoire des événements". Sans prendre la mesure du principe de causalité des événements, on met tout sur le compte du hasard, comme si ce déterminisme ne relèverait pas d'un cheminement transcendantal. Ce qui veut dire en définitive qu'aucun être humain ne détient l'inéluctabilité de sa destinée. Sinon comment faut-il comprendre les agissements à charge de Oud Abdel Aziz depuis 2019, date de son départ du pouvoir?
Personnellement, lorsque j'ai connu le sous-lieutenant Mohamed Ould Abdel Aziz à Kaédi en novembre 1980, je n'avais jamais imaginé qu'un jour il serait le premier citoyen de Mauritanie, et ce, pendant plus de dix ans. En 2019 également, je pouvais laisser mon imagination vagabonder, mais sans penser une seule fois que l'alter ego de l'actuel président Mohamed Ould Cheikh Gahazwani pendant au moins quatre décennies, irait en prison en cette fin de l'année 2023. Qui pouvait cracher la mantique et prédire un destin d'abord des plus éloquents mais qui devrait, hélas... aboutir à la fin ignominieuse de Mohamed Ould Abdel Aziz? Une fonction régalienne de plus de dix ans et qui s'est soldée par une chute inattendue du sommet de la gloire à l'horrible escalier du supplicié, menant droit le "président des pauvres" aux gémonies !!! Qui pouvait l'imaginer? Sans doute l'épitaphe de Ould Abdel Aziz suscitera un jour chez les visiteurs des interrogations d'ordre philosophique quant au sens même de la vie sur notre planète. A quoi servent finalement les milliards engrangés, les paillettes arborées, les bolides, les somptueuses villas qui agressent la sensibilité du modeste citoyen normal, si un jour le nom et la date de décès du protagoniste..., pardon du défunt seraient inscrits sur une pierre tombale ad vitam aeternam? Cher lecteur, "hypocrite lecteur", aidez-nous à savoir....
Personne ne connaît le pourquoi de la descente aux enfers de Ould Abdel Aziz. Parce que la question "pourquoi" est tout simplement dogmatique, elle nous transcende, elle n'est ni rationnelle, ni gnoséologique, elle relève plutôt de l'idée de Dieu. Par contre Allah nous a donné la latitude de connaître comment les catastrophes arrivent et comment elles peuvent nous affliger si nous ne prenons pas garde à vouloir, soit les juguler soit les éviter. Alors, Mohamed Ould Abdel Aziz pouvait-il éviter sa détention ? Si oui, comment n'a-t-il pas anticipé sa soustraction à cette posture désobligeante, qui, avouons-le, ne sert en définitive personne, ni Aziz lui-même, ni Ghazwani, deux amis de longue date. Comment en est-on arrivé là?
A/ Mohamed Ould Abdel Aziz: au commencement étaient la franchise et la sincérité
Qui a dit que :"l'Homme naît bon, c'est la nature qui le corrompt" ? Toujours est-il dit qu'Aziz appartient à ce qu'on peut appeler la 2ème génération d'officiers dont la majorité n'a pas fait la guerre du Sahara (à partir de décembre 1975). Une génération qui se veut plus "intellectuelle, mais encore plus cupide" que la 1ère composée d'officiers de valeur, des pionniers qui se souciaient plus de la grandeur de l'âme, de la notoriété publique plutôt que la quête obsédante de victuailles. Ils avaient épousé leur devise nationale, à savoir le sens de l'honneur, de la fraternité et de la justice. Aziz en 1980, dont l'âge à peine un quart de siècle, est un très beau garçon blond, calme et de bonne moralité. Si selon les dires, il a eu une enfance tonitruante de bohémien, il est sorti cependant de l'Académie de Meknès nanti de tous les enseignements éthiques ou vertueux. Autrement la formation militaire l'avait alors transformé. Il n'était ni flagorneur, ni tenté par le mensonge; au contraire il cultivait l'attitude d'un officier droit, certes limité au plan intellectuel mais qui se cherchait un nouvel élan spirituel. Cependant, il avait l'ambition de sortir de la misère, comme nous tous, mais dignement avec pour autant un salaire, seulement de 11500 MRO. Son mode de vie était peu expansif, mais sa vision tournée vers un avenir radieux, d'où l'achat de sa première berline juste après la régularisation de ses salaires de sous-lieutenant, en Mars 1981. En Septembre de la même année, il obtient un stage d'officier Auto en Algérie et 1982 à son retour, il est muté comme chef de section à la Dirmat (Direction du Matériel) à l'Etat-Major, dont les bureaux n'étaient que des "préfabriqués" en bois, avec une indemnité de 6000 MRO, imposables. Jusque-là Aziz veut voler de ses propres ailes, même avec "intérêts et principal" de moins de 20 000 MRO par mois.
En 1984, sa vie va changer après le coup d'Etat de Maawiya contre Ould Haidalla. Aziz sera aide de camp du nouveau président en décembre 1984. En 1991, il sera muté au BCS à l'Etat-Major. En 1993, il est désigné pour faire un cours d'Etat-Major au Maroc. En la faveur du différend frontalier Mauritanie-Sénégal de 1989, le Basep qui a été créé en 89-90 passe sous le commandement de son adjoint, le colonel Mohamed Mahmoud Ould Eyoub, tandis que feu le colonel Mohamed Ould Abdi sera muté comme aide de camp de Maawiya en 1991. Aziz a été "chassé" de la présidence, diront certains. En cette période il est comme tous ses collègues officiers, bientôt un commandant à l’abri du besoin, et surtout pas encore trop porté sur l'argent facilement gagné. A noter que durant toute sa carrière militaire Aziz a subi les coups et le poids de l'adversité, à cause de son caractère, disons...impérieux pour les uns, incongru pour les autres, sans jamais courber l'échine. Toujours est-il que les deux décennies de Maawiya, l'argent mal acquis a coulé à flots. A son retour du Maroc en 1994, c'est la traversée du désert. Il est adjoint chargé des opérations à la 6ème région militaire, un poste pas mieux qu'un vendeur de poulets au PK 10. Ghazwani, qui était au BB (Bataillon Blindé) et pour la petite histoire l'a beaucoup soutenu matériellement, psychologiquement et moralement. J'en ai des preuves émanant de Aziz lui-même.
De 1994 à l'an 2000, Ould Abdel Aziz qui "était à la touche", n'avait aucun rapport avec ceux qui exerçaient le pouvoir. En dehors de quelques rares parents et amis tels Ghazwani, ou feu le sage et imputrescible colonel Mohamed Abdi, Aziz était presque seul, tout le monde l'a lâché, et selon les propos de son innocente épouse "c'est depuis qu'il ne porte plus le sac de Maawiya". Cet éloignement lui a permis de faire un flash-back et de penser à l'avenir, en courant tous les jours au stade olympique; là où il va nouer de nouvelles amitiés peu orthodoxes, avec ceux qu'on appelle "les coureurs du stade", de mauvais conseillers dont les relations ne seront basées plus tard que sur des intérêts matériels. Pendant ce temps, le pouvoir de Maawiya faisait couler l'argent facile encore et Aziz se résignait à voir certains "cousins" ou connaissances s'enrichir, au moment où il lui fallait apporter à chaque fois des fagots de bois à son hammam. Et pourtant c'était noble de pouvoir vivre de sa sueur de manière licite. N'est-ce pas? Je suis persuadé que si Ould Abdel Aziz avait maintenu le contact d'avec ses amis d'antan, il ne serait probablement pas de nos jours en train de lutter contre l'acharnement du destin. Ah si Mohamed Ould Abdel Aziz n'était pas porté sur l'argent, comme la dimension du nez de Cléopâtre, la Mauritanie aurait changé...
B/ L'"ascension" de l'an 2000:
Le commandant du Basep sortant désigné pour un stage au Maroc, il fallait trouver un autre officier à la tête de l'unité d'élite et le destin s'est porté à nouveau sur Mohamed Ould Abdel Aziz, malgré la réticence de plusieurs parents militaires ou civils de Maawiya. Sept ans "dans la rue, balancé comme un chien, après avoir tout fait pour mon pays" comme il aimait me dire, ont transformé Mohamed Ould Abdel Aziz. Sans doute il voulait s'enrichir rapidement, rattraper les banquiers, hommes d'affaires ou autres thuriféraires du palais... Mais les maigres ressources du Basep n'offrent pas cette opportunité. Le 8 juin 2003 fût une aubaine car depuis ce jour, l'on a constaté que le président Maawiya était déstabilisé pour ne plus maîtriser la situation. Le 3 Août 2005, Aziz aidé de son alter ego Ghazwani renversèrent Ould Taya. Le cousin feu Ely Ould Mohamed Vall dirigera le pays pour une transition qui devrait durer 2 ans. Aziz l'a écourtée en accusant le pouvoir de gabegie. L'homme est pressé et plaça au pouvoir feu Sidi Cheikh Abdallahi, qu'il croit pouvoir manipuler, avant de le renverser, le 6 Août 2008. Le litige d'avec feu Sidi Ould Cheikh Abdallahi, qualifié de "faible" au début mais qui refusera de partager le pouvoir, devrait être plus tard en 2019 une leçon pour Aziz. Mais l'homme n'a rien retenu. Le 1er mandat obtenu 2009-2014, le détournement méthodique des immenses richesses de la Mauritanie peut commencer, puisqu'il est seul maître à bord. A-t-il trouvé quelqu'un qui lui dise que ce qu'il a fait à savoir le Ghanagate, la vente des Ecoles primaires, d'un pan de l'Ecole de Police, l'affaire Senoussi, l'Or, le fer, le poisson, le foncier, les périmètres agricoles etc...risque de se retourner contre lui un jour? Certains hommes du pouvoir, certains généraux, surtout à la retraite maintenant ont eu tendance à oublier, comme Ould Abdel Aziz leurs camarades d'enfance ou leurs collègues de promotion, croyant que l'argent facile peut combler toutes leurs insuffisances, qu'elles soient morale, intellectuelle, sociétale ou matérielle à la base. Ils ont choisi d'autres amis, le curseur calé, cette fois à la "pointure financière". Ils oublient que le pouvoir et l'argent sont des moyens limités dans le temps, destinés à assouvir certains besoins, pas tous les besoins, mais ils ne sont en aucun cas une fin. Un homme sage, surtout venant d'un milieu modeste comme la majorité des officiers de l'Armée, devenu riche des biens publics, doit à chaque fois se remémorer son passé. Et il saura toujours qu'il n'est ni invulnérable, ni intouchable, encore moins immortel. Dans l'Histoire moderne de la Mauritanie, quel président a amassé autant de richesses et montré autant d'impériosité que Mohamed Ould Abdel Aziz? Et où est-il maintenant?
C/La confiance et l'estime de soi peuvent tromper:
C'est la fin catastrophique après les deux mandats de Ould Abdel Aziz qui nous contraint à prendre en compte quelques signes du destin. Aucune adéquation, aucun allant patriotique, aucune obligation morale ne devraient pousser Ould Abdel Aziz à revenir sur la scène politique, après avoir rendu le pouvoir à son successeur. S'il l'a fait, c'est à cause de deux alibis. La caractériologie de Ould Abdel Aziz ne le destine pas à jouer les seconds rôles, surtout quand le 1er est désormais détenu par une personne qui l'avait servi longtemps auparavant. Le quotient psychique de Aziz a mal évalué le quotient intellectuel de Ghazwani. La mauvaise évaluation de l'ancien président feu Sidi n'aurait pas servi de leçon à Aziz, quant à sa deuxième erreur concernant un autre "marabout". C'est mal connaître Ghazwani que de le prendre pour un homme faible. Ghazwani est un homme calme, sérieux, éduqué et qui ne ferait jamais de mal à qui que ce soit. Tous les critères de la bonne gouvernance sont réunis chez lui. Mais cela ne veut pas dire qu'il sera le meilleur président, car servir son pays dépend de plusieurs facteurs politiques, géopolitiques, sociaux, sociétaux, économiques etc...Parfois il suffit d'une prise de décision qu'on croit bonne pour la nation, comme celle adoptée en 1975 par feu Moktar Ould Daddah pour "réunir la mère patrie" pour que le chaos s'installe... Le 2éme alibi est financier. Aziz voulait sa part du gaz, dont l'exploitation prochaine, a semé chez lui l'idée du 3ème mandat. La ficelle étant grosse, Aziz a choisi de passer par l'élection de Ghazwani, en pensant au dédoublement. Aziz a vu toutes ses prévisions offensives échouer. Il ne lui restait plus que la fronde. S'il avait pris une autre tangente, il aurait été le chouchou du pouvoir actuel. Comme quoi la confiance et l'estime de soi peuvent être souvent des baromètres trompeurs. Les événements auraient dû se passer autrement, mais chacun suit son destin. Qu'Allah Guide nos petits pas.
2/La retraite des généraux, pas comme les autres
A suivre inchAllah la semaine prochaine/