Aux cours des dernières années, la pêche mauritanienne s’est imposée en acteur majeur de la sécurité alimentaire du pays et de la diversification des sources de financement de son économie. Elle est devenue un secteur structuré à la faveur de plans successifs, basés essentiellement sur l'augmentation de la production halieutique nationale, la multiplication des ports, le développement de leur mode de gestion, l'amélioration des conditions socio-professionnelles des pêcheurs, ainsi que le développement d'une industrie locale de bateaux adaptés.
Le nombre de pêcheurs est aujourd’hui supérieur à cinquante-deux mille, tandis que celui de leurs navires dépasse le millier, réparti entre huit différents ports, ce qui a permis de promouvoir et d’intensifier l'activité de la pêche le long de la bande côtière et de mieux encadrer le métier. La production est de l’ordre de la centaine de milliers de tonnes distribuées sur tout le territoire national, grâce un réseau logistique qualifié, alors que seuls les marchés proches de la côte étaient couverts par le passé. On ne saurait nier le rôle essentiel joué par la filière de l’aquaculture pour atteindre ce résultat. D'opérations limitées au niveau des barrages, elle est devenue un des projets les plus importants, rencontrant un véritable engouement auprès des jeunes entrepreneurs dans le cadre de divers dispositifs d'aide à l'emploi.
Désormais pilier reconnu de la sécurité alimentaire, le secteur de la pêche est soutenu par diverses incitations de l'État, notamment l’annulation de la TVA. Compte-tenu de l'importance croissante accordée à ses activités, l'accent a été mis sur la prise en charge de la ressource humaine, en améliorant les conditions de travail et en assurant une couverture sociale à toutes les activités connexes. Aujourd'hui, le pêcheur et tous les professionnels inclus dans cette activité jouissent de leurs droits socioprofessionnels. Le secteur a été de surcroît renforcé par quatre centres de formations spécialisées, placées sous la tutelle du ministère des Pêches.
La construction navale a également connu de grands progrès grâce à l'encouragement de l'investissement, en offrant du foncier et autres facilitations aplanissant les obstacles, en particulier dans la construction de pirogues à Nouadhibou. Ces changements rendent cependant nécessaires une réévaluation de la validité des approches conventionnelles du développement et de l'aménagement du secteur. Alors que de nombreux projets de développement continuent à insister sur l'utilisation de bateaux et d'engins améliorés pour permettre aux pêcheurs d'adopter des techniques nouvelles, on note en effet un surcroît notable de la pression sur la vie marine, une réduction progressive du nombre d'emplois au fur et à mesure que l'aide à l'équipement réduit la main d'œuvre, le tout sur fond de conflits entre la grande et la petite pêche, jusqu’au sein même des communautés d'artisans pêcheurs.
Je m'attacherais ici à trois aspects de la pêche artisanale. Le premier touche à la mise en œuvre de mesures d'aménagement. Le second concerne l'équilibre entre la pêche artisanale et la pêche industrielle. Le troisième a trait aux dispositifs institutionnels touchant les droits de propriété et les systèmes de réglementation qui cèdent l'aménagement.
Mesures d'aménagement des pêches
Le caractère « propriété commune » de la plupart des ressources halieutiques accentue, c’est généralement admis aujourd'hui, les problèmes qui surgissent dans la pêche. Cependant, même dans le cas où l'accès est limité par règlement ou par des systèmes de droits de propriété, il semble difficile d'en arriver à une exploitation parfaitement rationnelle des ressources. En matière d'aménagement, la réponse classique à l'épuisement des stocks est la réduction de l'effort de pêche. Ce qui peut se traduire par la limitation des intrants (le nombre de pêcheurs, d'embarcations ou d'équipe). Si nous réduisons le nombre de pêcheurs, les prises seront réparties entre un nombre moins élevé de personnes et les recettes de chacun s'en trouveront accrues d'autant.
Mais il existe, en pratique, des obstacles à la limitation de l'effort de pêche. Ils sont généralement plus aigus dans la pêche artisanale : manque de connaissances sur la situation et la dynamique des stocks, pour déterminer des niveaux soutenables de l'effort ; absence des données de ressources financières ou de compétences administratives, pour établir et mettre en application une réglementation ; manque de volonté ou d'habileté, pour vaincre les obstacles sociopolitiques afin d'aboutir à une utilisation sensée et responsable des ressources disponibles. Ces derniers obstacles sont de loin les plus difficiles à résoudre.
Les raisons qui expliquent la forte résistance politique et sociale à la réduction de l'effort de pêche viennent du fait que plusieurs communautés de pêcheurs sont très dépendantes, au moins saisonnièrement, de leur activité. Les chômeurs des zones rurales tendent naturellement à se tourner vers la pêche qui devient ainsi le « débouché du dernier recours ». Et quand – comme c'est le cas à l'heure actuelle – le taux de chômage est élevé et qu'il n'y a pas d'autres opportunités d'emplois possibles dans les communautés de pêche, la résistance à une réduction de l'effort de pêche se fait de plus en plus forte.
Comme il n'y a pas d'autres possibilités d'emplois ou d'autres sources de revenus, les artisans pêcheurs continueront donc à pêcher même si les rendements sont faibles. Afin de maintenir leurs captures à un bon niveau, ils peuvent recourir à des méthodes de pêche de plus en plus dévastatrices ; les filets à mailles très fines ou les poulpiers utilisés dans la baie du port de pêche artisanale en sont les exemples les plus éloquents. Cela nous conduit à dire que la solution des problèmes de la pêche artisanale se trouve en dehors de l'industrie de la pêche, là où il y aurait d'autres possibilités d'emplois, pour attirer la main d'œuvre excédentaire.
Pression sociale et politique
Malheureusement, l'expérience nous enseigne que la pression sociale et politique est telle que la pêche artisanale restera considérée comme le secteur d'emploi du dernier recours, tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas d’alternatives. Dans certains cas, la situation est souvent aggravée par des efforts bien intentionnés mais mal conçus pour aider les pêcheurs au moyen de subventions d'opération ou autres suppléments de revenus. Ces observations soulèvent alors une question très importante. S'il n'est pas possible d'offrir d'autres emplois à la main-d'œuvre excédentaire de la pêche artisanale, y a-t-il d'autres moyens d'améliorer les conditions économiques de cette activité sans mettre au chômage les travailleurs concernés ?
En principe, oui. Pour cela, il faudrait orienter les efforts vers deux objectifs. Le premier serait de trouver des ressources halieutiques supplémentaires et des moyens pour les exploiter : essentiellement un problème de développement. L'autre consiste à mieux utiliser la ressource déjà exploitée : essentiellement un problème d'aménagement. Pour ce qui est de la première solution, les stocks accessibles aux artisans pêcheurs sont déjà tous exploités. Les possibilités d'offrir de nouvelles ressources sont donc plutôt limitées.
Il faut alors rappeler que régler le problème de la surexploitation signifie produire davantage de poisson avec la même ressource, ou, tout au moins, en tirer de meilleurs revenus. L'aménagement des pêches permet d'accroître les bénéfices économiques d'une pêcherie existante sans réduire le nombre de pêcheurs grâce à deux moyens : le premier contrôle le niveau d'exploitation de façon à obtenir une production annuelle soutenable accrue, impliquant une réglementation des engins de pêche, la fermeture saisonnière ou de certaines zones, la détermination de limites de taille ou de quotas.
Un autre moyen, c'est d'imposer des restrictions quant au type ou au nombre d'engins pouvant être utilisés par les pêcheurs, afin de réduire les coûts de la pêche et d'accroître en conséquence les profits nets des travailleurs. Dans la majorité des pêcheries artisanales, on utilise plus d'engins, il faut le reconnaître, que ce qui est réellement nécessaire pour exploiter la ressource disponible. On pourrait limiter les engins de pêche, la quantité des casiers et des poulpiers, la longueur des filets ou le nombre d'hameçons. On pourrait aussi fixer des limites quant à la taille des bateaux ou la puissance des moteurs.
En effet, lorsque les ressources sont déjà surexploitées, ce n'est pas avec un plus grand nombre d'engins de pêche ou de meilleurs équipements qu'on va produire davantage de poisson. Au contraire : cela ajoutera une nouvelle pression sur la ressource. Cela augmentera aussi le coût du capital et les coûts d'opération, en réduisant d'autant le profit net des pêcheurs et en alourdissant leur endettement. Bref, cela aggravera la situation au lieu de l'améliorer. D'une façon générale, le recours à un plus grand nombre d'engins ou à de meilleurs engins ne pourra être justifié que si ceux-ci aident, de façon rentable, à accroître la gamme des produits qui pourraient être exploités avec succès ou contribuent à la sécurité et au bien-être des pêcheurs. (À suivre).
Cheikh Ahmed ould Mohamed
Ingénieur
Chef du service Études et Développement
Établissement portuaire de la Baie du repos (Nouadhibou)