Le Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA) a été pointé du doigt par le rapport annuel de la Cour des Comptes 2019-2020-2021. Voici les griefs entre autres retenus : défaillances de la fonction d’audit et non-application du manuel de procédures, non-reversement des retenues à la source et de celles au Trésor public, absence de provisions pour dépréciation éventuelle des stocks, immobilisations non inventoriées... On note également une mauvaise gestion des stocks faute de logiciel de gestion permettant un suivi ponctuel et exact et d’une fiche de stock par magasin. Il a été procédé à des recrutements irréguliers sans passer par les voies réglementaires. Les missionnaires de la Cour ont observé des attributions injustifiées de dons en produits alimentaires et une distribution complaisante de vivres à des associations et ONG. Des marchés par entente directe engendrant des surcoûts ont été conclus. Le budget de fonctionnement exécuté s’élève à 132 941 750 MRU en 2019, contre 140 023 642 MRU en 2018.
Relativement à son avis sur les comptes, la mission de la Cour a constaté un non-apurement des comptes de régies d’avance. Les délégations régionales reçoivent des fonds en régies d’avance qu’elles doivent apurer à la fin de chaque exercice. Ces régies sont ouvertes au nom des délégations régionales pour le suivi des opérations de mise à disposition de fonds destinés à l’exécution du budget de fonctionnement et de programmes spécifiques et ponctuels d’interventions. Selon la mission, le « Commissariat ne procède pas à l’apurement de ces comptes en fin d’exercice. »
Comptes débiteurs et créditeurs divers et comptes d’attente non soldés
Les comptes débiteurs et créditeurs divers sont ouverts principalement pour recevoir, au crédit, les fonds alloués à la réalisation des projets spécifiques et, au débit, les libérations ou décaissements effectués sur le même fonds. Ces comptes sont reportés d’un exercice à un autre depuis 2015. Les comptes d’attente et de régularisation comportent des montants imputés en attente d’être apurés ou d’être imputés aux comptes comptables appropriés. Il s’agit généralement d’opérations devant être apurées en application du principe de la transparence prévu par la loi n° 009 du 20 Janvier 1999 relative au plan comptable mauritanien.
Absence de provision pour dépréciation éventuelle des stocks
Les stocks de l’exercice 2018 représentent plus de 50 % du total de l’actif immobilisé du CSA, ce qui leur accorde une grande importance. Le total Stocks CSA au 31/12/2018 est de 286 658 346 MRU. « Toutefois, cet élément de l’actif n’a jamais fait l’objet de constatation de provision pour dépréciation de stocks contrairement au principe de prudence prévu par le plan comptable mauritanien », indique la mission.
Comptes de capitaux non apurés
Les comptes de résultats en instance d’affectation (compte 130000 Excédent et compte 1390000 Déficit) enregistrent un montant de 774 349 794 MRU en 2018 contre 1 719 677 226 MRU en 2019. Ils devraient être apurés par consolidation de leurs soldes au compte 120000 Report à chaque nouvelle fin d’exercice, en application de la loi N° 009 du 20 Janvier 1999 relative au Plan Comptable Mauritanien, ce qui n’est pas le cas malgré la certification et l’approbation des états financiers. Les comptes de subvention se présentent comme suit : 10000, subventions d’équipements reçues (304 376 303 MRU) comportent deux montants ; l’un de 199 376 303 MRU concernant des subventions antérieures à 2010 (intraçables parce qu’antérieures à la base de gestion des données actives) et l’autre de 105 000 000 MRU concernant un don de 20 camions de 70 tonnes (qui a été bien utilisé pour l’achat des camions pour le même montant). Ces deux montants n’ont pas été séparés via des sous-comptes pour faciliter leur traçabilité.
140004, subventions Japon-camion (62 404 674 MRU) comportent deux montants : l’un de 18 200 000 MRU concernant des subventions antérieures à 2010 (intraçables parce qu’antérieures à la base de gestion des données actives) et l’autre de 44 207 674 MRU concernant l’achat de camions le 20/01/2013 pour le même montant (qui a été bien utilisé pour l’achat des camions). De même on signale l’absence de séparation de ces subventions en sous-comptes. 1400006, subventions État (Investissement) pour un montant de 82 500 000 MRU ; 1400010, subventions Japon (Magasins) pour un montant de 7 931 984 MRU. ‘’Madame la Commissaire a indiqué que les comptes de capitaux et de subvention ont bien fait l’objet d’un assainissement comptable sans pour autant présenter les preuves nécessaires’’, écrit le Rapport.
Immobilisations non inventoriées
Les missionnaires de la Cour ont constaté l’absence d’inventaire physique exhaustif pour les immobilisations durant la période contrôlée, ce qui constitue une violation de l’article 19 du décret n°192-2008 portant institution du CSA ainsi que de la loi 009 du 20/01/1999 relative au PCM ; défaut de mise en place d’une procédure de prise en charge et de mise en service pour chaque nouvel élément immobilisé ; défaut de mise en place d’une procédure de mise en rebut des éléments immobilisés pour cause de détérioration, de disparition ou d’obsolescence.
Non reversement des retenues à la source
Le compte « État et autres collectivités publiques » a présenté au 31/12/2019 un solde créditeur de 280 155 543 MRU représentant les retenues prélevées au moment du règlement des fournisseurs et consultants. Le non-versement de ces retenues constitue une violation de l’article 40 du Code Général des Impôts qui prévoit l’obligation de reversement de ces retenues au Trésor public au plus tard le quinze de chaque mois. Dans sa réponse, madame la Commissaire a indiqué qu’un montant de 8 468 290 MRU a été reversé à la Direction générale des impôts en 2020, sans pour autant fournir les quittances de reversement correspondant.
Contrôle des procédures
Malgré l’existence d’un manuel de procédures, la faiblesse du système de contrôle interne résulte de la non-application et de la non-actualisation de ce manuel. La fonction de l’audit interne est quasiment défaillante en 2018. Cependant, elle a connu une amélioration à partir de 2019. La gestion des stocks au niveau du CSA présente plusieurs insuffisances : absence d’un logiciel de gestion de stock permettant un suivi ponctuel et exact ; absence d’une fiche de stock par magasin ; les entrées et les sorties ne sont pas enregistrées d’une manière exhaustive ; insuffisance de magasiniers par rapport au nombre de magasin ; les produits sont entassés dans les magasins de façon anarchique au lieu d’être en piles comptables ; irrespect de la méthode FIFO qui consiste à faire sortir du stock les produits de manière chronologique (du plus ancien au plus récent) ; mauvais archivage des bordereaux de livraison ; absence de caméras de surveillance au niveau des magasins. Cette situation rend le suivi et le contrôle du stock quasiment impossible et encourage les tentatives de fraude.
Recrutement irrégulier
L’examen des dossiers du personnel a révélé un recrutement direct sans passer par les voies réglementaires. « Cela constitue une violation de l’article 395 du Code de travail qui stipule : « Les dispositions réglementaires prises en application de l’article précédent doivent assurer à tous l’égalité d’accès à l’emploi ». Ce personnel ainsi recruté a reçu un salaire net mensuel de 509 532 MRU soit un salaire global de 12 228 768 MRU sur la période sous revue. Il est à signaler que la plupart de ce personnel ne fournit aucun service au Commissariat. »
Attributions injustifiées des dons en produits alimentaires
Dans le cadre de la distribution gratuite, la mission a constaté que 42.45 tonnes de vivres d’une valeur de 796 739 MRU ont été distribuées hors du champ d’intervention habituelle du CSA. L’attribution de vivres (huile, sucre, riz, blé, pâtes) à diverses occasions (une zawya au Trarza, Festival culturel ATGUIG, visite d’un marabout à R’kiz, à Sagne, Festival Aïn Varba, Festival Tamourt Ennaej, Festival Esselam) ne rentre pas dans les missions du Commissariat citées à l’article 2 de son décret de fondation et particulièrement celle relative à « la prise en charge, la supervision ou la coordination d’intervention appropriées, notamment en cas de déficits ou de crises alimentaires, structurels ou conjoncturels ».
Distribution complaisante des vivres à des associations et ONG
Le CSA a distribué gratuitement 324.3 tonnes des vivres en 2018 et 262.755 tonnes en 2019, au profit de certaines ONG et associations. La valeur globale de ces attributions est de 6 446 175 MRU. Toutefois, il a été constaté que le CSA n’a pas exigé un compte-rendu permettant de s’assurer de l’usage exact de ces vivres par les bénéficiaires. Cette situation a conduit la mission à s’interroger sur les critères d’attribution de ces vivres aux dites associations et ONG.
Existence de vivres avariées
Il a été constaté durant la période sous revue l’existence d’un stock avarié de 432.9 tonnes de produits divers déclarés impropres à la consommation humaine réparties comme suit : 67.450 tonnes ont été jugées par la commission de liquidation propres à la consommation animale et vendues contre un montant de 370 929 MRU ; 365.450 tonnes ont été déclarées impropres à la consommation animale et incinérées. « Cette situation est inadmissible et reflète une négligence en matière de sauvegarde et de protection des biens publics. En effet, elle a engendré une perte d’un montant de 3 768 859 MRU », déplorent les missionnaires.
Défaillance dans l’exécution de certains microprojets
Le commissariat a financé certains microprojets dans le cadre du programme spécial de micro-projets « PSM » et du projet d’amélioration de la production agricole dans le centre et l’Est mauritanien « PAPACEM ». Ces microprojets sont exécutés par l’Agence d’exécution de microprojets (AEMP). Il a été constaté une défaillance dans l’exécution de 8 microprojets engendrant un préjudice financier de 1 278 718 MRU.
Mauvais entretien du parc automobile
Le parc automobile du Commissariat comprend 41 camions destinés à transporter les vivres de Nouakchott vers l’intérieur du pays. Et en dépit des dépenses importantes en entretien et réparation (11 967 262 MRU en 2019 et 8 544 435 en 2018), il a été constaté que 18 camions de type HOWO d’une capacité de 50 tonnes et dont les dates d’acquisition sont relativement récentes sont des épaves ou en panne chronique. De plus, l’absence d’une comptabilité matière au niveau du magasin de stockage des pièces de rechange rend le suivi et le contrôle de leurs utilisations quasi-impossible.
Charges locatives injustifiées
Le Commissariat continue à payer des charges mensuelles de 17 000 MRU inutilement en louant depuis 2008 un hangar situé au Wharf pour le stockage de riz avarié. Le montant total dépensé est de 2 244 000 MRU dont un montant de 408.000 MRU pour la période contrôlée.
Irrespect des procédures relatives à l’IMF
Il a été constaté durant l’exercice 2018 la restitution d’un montant de 24 475 035 MRU représentant l’IMF (l'impôt minimum forfaitaire) à certains fournisseurs.
Recours abusif à l’entente directe
La Cour a constaté un recours abusif à l’entente directe sans contrôle des prix. Selon le rapport, le Commissariat a passé 83 marchés en 2018 totalisant un montant de 1.855.360.848 MRU et 80 marchés en 2019 totalisant un montant de 1.989.224.638 MRU. L’examen de ces marchés a révélé un recours quasi-systémique à l’entente directe. Ainsi 75% des marchés conclus en 2018 ont été passés par entente directe pour une valeur de 1 040 144 018 MRU et 60 % des marchés en 2019 pour une valeur 1 366 214 729 MRU.
Marchés par entente directe engendrant des surcoûts
Dans le cadre de l’opération RAMADAN 2019, un appel d’offres ouvert n° 003/2019/CMD/CSA a été lancé le 18/02/2019 pour la fourniture de produits alimentaires en cinq lots. Pour le lot N° 5 relatif à la fourniture de 100 tonnes de lait en poudre, trois fournisseurs ont soumissionné. L’attribution de ce lot a connu plusieurs étapes : tout d’abord, il a été adjugé le 26 /03/2019 à SOMACOTRI pour un prix de 12 500 000 MRU, tout en excluant le soumissionnaire SMAB au motif de non fourniture de son bilan et son chiffre d’affaires certifiés mais la Commission Nationale de Contrôle des Marchés Publics (CNCMP) n’a pas approuvé cette adjudication pour dépassement injustifié du moins disant (voir extrait du PV n° 18 du 03/04/2019). Ensuite, une deuxième adjudication a eu lieu le 16/04/2019 au même soumissionnaire « SOMACOTRI » après révision du rapport d’évaluation mais la CNCMP n’a pas approuvé cette adjudication faute de certificat d’analyse et de certificat phytosanitaire (voir extrait du PV n° 21 du 24/04/2019). Finalement, l’appel d’offres a été déclaré infructueux et le lot a été attribué par entente directe au fournisseur SIED qui n’était pas parmi les soumissionnaires pour un prix négocié de 12 450 000 MRU. La Commissaire a indiqué que le recours à l’une des sociétés qui avaient participé à l’appel d’offres serait source de privilège surtout que le marché a été rendu infructueux.
Le Commissariat a signé le marché N°178 /F/21 en date du 12/05/2018 pour l’achat de 400 tonnes de pomme de terre, 300 tonnes d’oignons, 100 tonnes de lait en poudre, et 544 tonnes de pâtes alimentaires par entente directe avec l’établissement TEYSSIR pour le commerce général pour un montant de 39 244 000 MRU et un délai de livraison de 30 jours. La passation de ce marché est irrégulière car il ne remplit pas les conditions citées à l’article 33 du code des marchés publics. Outre sa violation aux principes de concurrence, de transparence et d’équité en matière d’accès à la commande publique, ce marché déroge aussi au principe d’économie car les prix attribués ont connu une surfacturation au niveau du prix de lait en poudre. Le prix facturé par tonne s’est élevé à 146 000 MRU alors que le prix référentiel du marché (PV d’ouverture des plis relatif à l’appel d’offres ouvert N° 003/2019/CMD/CSA) est de 95 200 MRU soit une surfacturation de 50 800 MRU/tonne. Le préjudice financier subi par le Commissariat suite à la conclusion de ce marché s’élève à 5 080 000 MRU, selon le rapport.
Attribution irrégulière d’un marché d’intrants non-alimentaires
Une consultation simplifiée a été lancée par la commission interne de marché le 29 Octobre 2019 pour l’achat d’intrants non-alimentaires. Toutefois, le marché a été attribué au fournisseur ETS ALMAJID qui était le troisième moins disant pour un montant de 4 891 303 MRU. Le dépassement du deuxième moins disant est considéré injustifié car il a présenté une offre de 3 795 552 MRU en hors taxe, qui devait être ajustée en rajoutant la TVA.
Non prise en compte des pénalités de retard
Dans le cadre d’exécution des marchés N°1272 et N° 1273 pour un montant de 183 094 000 MRU relatif à la fourniture de blé tendre, le fournisseur SMID a accusé un retard de réception de 69 jours. Toutefois, il a été constaté un paiement total du marché sans déduction des pénalités, ce qui constitue une violation de l’article 49 du Code des Marchés Publics. La perte financière ainsi subie s’élève à 12 633 486 MRU.
Restitutions injustifiées de pénalités de retard
Les fournisseurs SMAB et GTL titulaires respectivement des marchés n° 153 /2018 et 230/2018 ont accusé des retards dans l’exécution de ces marchés et ils ont été l’objet des pénalités de retard pour un montant global de 431 473 MRU lors du paiement de leur décompte définitif. Toutefois, ces pénalités leur ont été restituées, par les chèques N°0648917/Trésor et N°0983726/ BMS. La question demeure sur le fondement de la restitution de ces montants aux fournisseurs. La Commissaire n’a pas répondu à cette observation.
Absence de cautions de bonne exécution pour certains marchés
Il a été constaté que certains marchés de fournitures ne sont pas cautionnés. Cette situation expose le Commissariat aux risques de la non-exécution en cas de défaillance d’un fournisseur et constitue une violation de l’article 50 du décret n° 2017-126 portant application de la loi n° 2010-044 du 22 Juillet 2010 portant Code des Marchés Publics.
Synthèse THIAM Mamadou