Dans sa longue quête d’indépendance, la justice mauritanienne se trouve confrontée à un obstacle majeur : le tribalisme. Défini comme « le sentiment d’appartenance à un groupe d’individus ayant une identité propre », le tribalisme est un trait caractéristique de la société mauritanienne précoloniale. Cette organisation sociale subit une mutation profonde du fait de la volonté de l’État mauritanien post-colonial à couvrir toute l’étendue du champ national. Le fait tribal fut ainsi perçu par les autorités indépendantes comme un archaïsme préjudiciable à la gestion moderne de la Nation.
Cette dynamique de changement fut remise en cause par le retour en force du tribalisme dans la sphère publique. La démocratisation des institutions de l’État opérée par la Constitution du 20 Juillet 1991 a en effet ouvert la voie à l’expression du tribalisme comme mode d’identification et de représentation. Quoique la justice ait été érigée par ladite Constitution en «pouvoir indépendant » au même titre que le deux autres pouvoirs, exécutif et législatif, son indépendance reste néanmoins insuffisante, du fait de l’influence du tribalisme sur l’institution.
Une dimension nouvelle
Avec la nomination de Mohamed Mahmoud ould Boye à la tête du ministère de la Justice, le phénomène a pris une dimension nouvelle : le facteur tribal est devenu le principal critère de nomination aux postes judiciaires. Partisan d’une vision traditionaliste du secteur, notre ministre considère « la fonction de juger » comme un attribut de sa communauté tribale. Selon sa conception, la conduite des tribunaux et de leur Parquet respectif doit être confiée aux magistrats appartenant à celle-là ; leurs collègues issus de groupes différents devant être placés en des postes secondaires.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) tenu en Décembre 2021 sur initiative d’Ould Boye a ainsi procédé à un vaste mouvement dans la magistrature, accordant la part belle aux magistrats issus de la communauté tribale du ministre qui se sont vus attribuer l’essentiel des postes-clés. Les éléments du corps judiciaire appartenant à d’autres groupes sociaux ont été casés dans des fonctions subalternes. Sachant que ces derniers disposent des mêmes qualités que leurs confrères nommés dans les postes. Les sessions ultérieures du CSM, en Décembre 2022 et Juillet 2023, ont conforté l’orientation tribale dans les nominations et suscité un sentiment d’injustice d’une partie des magistrats vis-à vis du système en place. La session du Conseil prévue le 20 Décembre 2023 ne sera probablement pas différente des précédentes, les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Cette situation anachronique appelle une réforme urgente du système de nomination des magistrats et une restructuration du pouvoir judiciaire, de manière à éviter toute interférence indue dans le fonctionnement de la justice. Cette entreprise salutaire exige des mesures pressantes qui passent d’abord par une limitation du pouvoir de nomination du ministre, dans le sens d’un encadrement strict de la « nécessité de service », et un élargissement de la composition du CSM à des personnalités indépendantes afin de réduire la prépondérance de l’Exécutif au sein de celui-là.
J’achèverai mon propos en appelant Mohamed Mahmoud ould Boye à opérer un changement dans sa stratégie de gestion du département et de rompre avec les méthodes en cours. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.