Cristallisant l’attention de tout le pays – surtout des citoyens qui ont du mal à s’enrôler – l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés (ANRPTS) et ses commissions d’Accueil des Citoyens (CAC) sont perçues par les populations comme des lieux d’incrimination à tout va, humiliations et tracasseries incessantes. Avec des réseaux sans cesse défaillants et des queues interminables, chaque jour qui passe semble ramener au début des opérations… en 2012 ! Rien n’y fait, les gens éprouvent les pires difficultés à s’enrôler. Et la date-butoir du 31 Décembre inquiète. Des Mauritaniens pourraient se retrouver apatrides, étrangers en leur propre pays !
Et voilà la déjà mauvaise réputation de l’ANRPTS soudainement envenimée par l’étalement au grand jour d’autres pratiques occultes révélant sa mauvaise gouvernance ! Le rapport général annuel 2019-2020-2021 de la Cour des comptes vient en effet d’y signaler des anomalies flagrantes. On peut citer, entre autres, des virements irréguliers dans le compte personnel du comptable, le non-versement ou des retards importants dans le versement des montants collectés en devises ; l’inadéquation des profils avec les postes ; des surestimations excessives des besoins dans les marchés à commande ; le paiement des dépenses en espèces dépassant le seuil des paiements en numéraire ; des recettes extrabudgétaires ; des marchés conclus par entente directe… Et encore absence de cadre juridique régissant la tarification des autorisations de passage: n’en jetez plus, la cour est pleine !
Pas d’audit interne
Dans ses observations relatives aux procédures, la mission de contrôle de la Cour des comptes a noté une absence de missions d’audit interne. « Le travail de contrôle et d’audit interne est confié à une direction d’audit et des affaires juridiques qui ne possède ni les compétences ni les qualifications nécessaires pour accomplir les missions qui lui sont assignées. Elle ne dispose pas d’un plan d’action et d’intervention défini ni d’une stratégie d’audit. Elle n’a jamais réalisé le moindre rapport relatif à une mission d’audit ou d’inspection interne. Cette situation est le résultat de l’absence de volonté de recrutement d’auditeurs spécialisés, non seulement dans le domaine des finances et de la comptabilité, mais aussi dans les autres domaines vitaux à l’agence. Face à cette situation, la Cour s’interroge sur le rôle et l’utilité de la Direction de l’Audit et des Affaires Juridiques dans son état actuel ».
Relativement à la gestion financière et comptable, la mission déplore l’absence d’une comptabilité générale. « Depuis sa fondation, l’ANRPTS n’a jamais tenu de comptes conformes aux principes de la comptabilité commerciale, ce qui constitue une violation de l’article 23 du décret n°2010-150 du 06 Juillet 2010 instituant l’ANRPTS. Cette situation a eu pour conséquences le manque de traçabilité des opérations de l’agence ainsi que l’absence de rapprochements des recettes des différents postes de régie des recettes, rendant difficile l’analyse des opérations comptables relatives au budget de l’Agence’’.
Pas versement des montants en devises
« Le comptable de l’ANRPTS est chargé de conserver les montants en devises encaissés aux différents points de passage et de procéder ensuite à leur versement au Trésor Public après une opération de change. Il a été constaté que le comptable n’a pas procédé au versement des montants encaissés depuis 2018 et retracés dans les PV examinés. Le total de ces montants s’élève à 114.982.500 FCFA.
Virements irréguliers dans les comptes personnels du comptable
Depuis son introduction au système Rachad en 2018, l’ANRPTS procède à des virements de montants de ses crédits au niveau du Budget de l’État destinés à alimenter des caisses sans acte formel de régie d’avance. Ces virements répétitifs sont généralement d’un montant d’un million MRU versé aux comptes personnels du comptable ouvert auprès de la banque Société Générale Mauritanie (comptes N°00000018730-54/SGM et N°000000151053-09/SGM). Le non-établissement de la distinction entre les fonds publics et personnels par le comptable public constitue une violation de l’article 10 du décret n°91.98 du 24 Décembre 1998 portant statut des comptables publics. Le montant global sur la période est de 7.779.663 MRU.
Paiement des dépenses en espèces dépassant le seuil des paiements en numéraires
Le comptable de l’ANRPTS procède régulièrement, selon le rapport de la Cour des comptes, aux paiements des dépenses en espèces. Ces dépenses dépassent le seuil fixé par le décret N°2000-02 du 15 janvier 2000, rendant obligatoire le paiement en monnaie scripturale de certaines créances sur l’État, les collectivités locales et établissements publics. Ces dépenses concernent en grande partie des paiements au profit des fournisseurs ou des prestataires de services. Bien que le carburant constitue un poste important des dépenses de l’ANRPTS, l’Agence s’approvisionne en matière de carburant sans suivre aucune procédure formelle, indiquent les auditeurs de la Cour des Comptes.
Gestion comptable irrégulière des CAC
Les chefs des centres d’accueil des citoyens (CAC) de l’ANRPTS procèdent à l’encaissement des recettes en espèces (en ouguiyas et en devises) relatives à la délivrance des cartes d’identification nationales, des actes d’état-civil, des visas biométriques et des autorisations de passages pour les étrangers exemptés de visa. Il s’agit en fait d’une perception de recettes publiques. L’ampleur des risques et le volume important des recettes en jeu exige, rappelle la mission, un suivi rigoureux de ces recettes, ce qui peut être assuré à travers l’instauration d’un cadre réglementaire bien défini.
Retard important dans le versement des montants collectés en devises
L’absence de contrôle et de suivi des recettes encaissées par les responsables des centres d’accueil des citoyens a favorisé le détournement, à travers le non-versement de certaines recettes collectées (en ouguiyas et en devises) dans le cadre de la délivrance des cartes d’identification nationale, des actes d’état-civil, des visas biométriques ou des autorisations des passages pour les étrangers exemptés de visa (5 EUR/500 CFA). Ces recettes s’élèvent à 6.600.0000 MRU.
Retard de versement des recettes collectées dans les CAC de l’ANRPTS
L’examen des recettes en espèces collectées dans les différents centres d’accueil des citoyens (CAC) a permis de constater des retards importants dans le versement de ces recettes dans le cadre de la délivrance des cartes d’identité. L’examen des données produites par l’application appelée « Ordre de Recette » qui permet de suivre les ordres de recettes des cartes d’identité émis par les différents CAC a permis de constater le non-versement au Trésor public d’un montant total cumulé de 3.415.600 MRU des recettes de cartes d’identité en date du 21/04/2021 au niveau des caisses des différents CAC répartis sur l’étendue du territoire national.
Absence d’un cadre juridique régissant la tarification des autorisations de passage
L’ANRPTS collecte depuis 2016 des recettes en espèces sans aucune base juridique dans les différents points de passage frontaliers pour les étrangers exemptés de visa (5 EUR/500 FCFA). Ceci constitue une violation des dispositions de l’article 13 de la Loi organique n° 2018-039 relative aux lois des finances abrogeant et remplaçant la loi n°78-011 du 19 Janvier 1978, qui stipule: « La rémunération des services rendus et des produits cédés par l’État ne peut être établie et perçue que si elle est instituée par un décret sur rapport du ministre chargé des Finances. Leur produit est prévu et évalué par la loi de finances ».
Insuffisances dans la gestion et le recouvrement des recettes issues des conventions
L’ANRPTS a conclu des conventions avec des entités publiques et privées pour réaliser des tâches et des services liés à l’identification des personnes. Ces conventions concernent les structures suivantes : départements ministériels (Pêches Économie Maritime - Santé - Affaires Sociales - Enfance et Famille - Affaires Islamiques - Habitat, Urbanisme et Aménagement du Territoire - Fonction Publique) ; établissements publics (TVM, CNAM et ANAPEJ) ; autres entités (BCM, Mauritel, Mattel, Chinguitel, PNUD, BPM, et BMCI). L’exécution de ces conventions fait ressortir des retards de paiement. Le total des montants non encaissés et des arriérés s’élève à 16.353.851 MRU.
« Le manque de suivi et l’absence de recouvrement des arriérés liées aux conventions signées sont dus », explique le rapport, « à l’insuffisance d’information et la carence en compétences nécessaires au niveau du service de suivi des conventions. En outre, il existe une absence totale de coordination entre les différents services chargés de la facturation et de la Direction d’Audit, d’un côté, et ceux du recouvrement au niveau de la Direction Financière, d’un autre côté ».
Accumulation d’arriérés de la CNSS et Mauritel
L’ANRPTS a accumulé des arriérés de paiement importants (116 394 499 MRU !) répartis entre la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et Mauritel. Les arriérées de la CNSS s’élèvent à 61 458 983 MRU cumulées au titre des cotisations et des pénalités de retard, ce qui constitue une violation des dispositions de l’arrêté N°116 du 17 Septembre 1974 relatif à l’obligation de payer les cotisations de la CNSS. À cela s’ajoutent les arriérés de Mauritel (54 935 516 MRU). Le non-paiement des arriérées de la CNSS et Mauritel qui remontent à environ dix ans peut provoquer un préjudice à l’Agence et à ses employés.
Manquements dans le marché pour le système de suivi des déplacements des réfugiés maliens
Le Conseil National de Sécurité et de Défense a ordonné, en urgence, la mise en place d’un système de suivi des déplacements des réfugiés maliens du camp de Mberra. Le budget total du projet est de 4.500.000 MRU, déposé au compte du projet au nom du Haut-Commissariat des Réfugiés HCR/ANRPTS ouvert au Trésor public. Il semble que la prestation de services était d’un degré d’urgence réel au vu de l’exécution. À cet effet, l’ANRPTS a conclu un marché avec l’entreprise CDI-SARL par entente directe pour un montant de 3.490.060 MRU (acquisition de matériels). Cette procédure n’a pas pris la forme prévue pour le traitement de cette catégorie de cas.
Voici les vices observés : le marché a été payé sans être enregistré, en dépit de l’obligation de l’enregistrement ; il a été payé en date du 05 mars 2020 par chèque du Trésor N°626833, pour un montant de 3 490 060 MRU, avant sa signature survenue le 25 mars 2020 ; non-reversement au Trésor des impôts précomptés (800 872 MRU) ; absence de justification de dépense d’un montant de 391 994 MRU du budget alloué au projet de mise en place d’un système de suivi des réfugiés maliens.
Marchés par entente directe
L’ANRPTS a conclu des marchés par entente directe, alors que la passation de ces marchés n’est ni justifiée ni suffisamment motivée. Ces marchés ne remplissent pas les conditions citées à l’article 32 du Code des Marchés Publics. Ceci constitue une violation des principes de concurrence, de transparence et d’équité en matière d’accès à la commande publique. L’ensemble des marchés de construction et de réhabilitation contractés par l’ANRPTS ont connu des retards d’exécution importants. Ceci est lié principalement à la défaillance des entreprises, peu qualifiées et disposant de peu de moyens.
Synthèse THIAM Mamadou