En Occident, il est d'usage de justifier le soutien inconditionnel d'Israël par la nature démocratique de l'Etat hébraïque, considéré comme le seul pays de la région qui répond aux critères de la démocratie libérale occidentale.
Bien que le pays, à plusieurs égards, ait adopté les mécanismes du pluralisme politique et de la représentativité électorale au sein de sa composante juive, il ne peut être estimé comme une démocratie au sens objectif du terme.
Il va sans dire que toute démocratie, au sens moderne du terme, présuppose la notion de citoyenneté égalitaire au sein d'une communauté nationale à laquelle s'identifie l'Etat. Cette base préliminaire fait défaut en Israël, qui s'est constitué comme " nation juive" ayant pour but de rassembler et de réunir toutes les communautés juives dans le monde, indépendamment de leur ancrage national, tout en déniant les droits de citoyenneté et d'appartenance civique au quart de sa population.
La loi fondamentale du 19 juillet 2018 adoptée par le Knesset a consacré définitivement l'identité politique de l'Etat d'Israël comme "Etat-nation du peuple juif", ce qui institue de fait une politique de ségrégation et d'exclusion de la composante arabe du pays.
Citoyens de seconde zone
Cette politique dépasse largement la conception normative de l'identité politique israélienne, elle se décline dans des règlements et lois restrictifs à l'encontre des Arabes de 1948.
Soumis à un régime d'expropriation constante des terres agricoles, et privés d'accès aux hautes sphères du pouvoir et à l'armée et sous-représentés dans les secteurs d'emploi, les Arabes israéliens sont considérés comme des citoyens de seconde zone.
Le journal Haaretz en juin 2023 a publié les résultats d'un sondage effectué par l'institut israélien pour la démocratie, qui indique que 60 pour cent des juifs israéliens optent pour un système de ségrégation institutionnelle contre les citoyens arabes de l'Etat. Plusieurs partis de la coalition actuellement au pouvoir prônent même le transfert de la population arabe hors des frontières reconnues de l'Etat, comme le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir (le leader du mouvement OtzmaYehudit) et le ministre des finances, Bezalel Smotrich, président du parti sioniste religieux Mafdal.
Le virage ultranationaliste de la politique israélienne n'est point un accident de parcours ou une parenthèse dans la vie politique du pays, mais le développement naturel du projet de création de l'Etat des juifs sur la base d'une légitimité religieuse exclusiviste. L'approche séculariste laïque des fondateurs de l'Etat n'a jamais remis en cause cette conception messianique religieuse de l'identité juive transposée en socle identitaire national, ce qui est antinomique au principe moderne de la citoyenneté, à l'œuvre dans toute démocratie libérale.
Un deuxième enjeu est relatif à la politique d'apartheid et de colonisation instaurée par Israël dans les territoires palestiniens occupés en 1967. Prônant définitivement une réelle stratégie d'annexion des territoires occupés, une colonisation intensive qui dépasse actuellement 700 mille colons juifs, la solution de deux Etats est devenue illusoire, et la seule optique envisagée par le gouvernement de Tel Aviv est l'institution d'un réel plan de ségrégation raciale et de nettoyage ethnique dans la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
Tamir Pardo, ancien chef du Mossad, a reconnu cet état de fait en déclarant : ”Les mécanismes israéliens de contrôle des Palestiniens, depuis les restrictions de mouvement jusqu’à leur placement sous la loi martiale, alors que les colons juifs dans les territoires occupés sont gouvernés par des tribunaux civils, sont à la hauteur de l’ancienne Afrique du Sud."(cité par Sholomo Sand).
Il en découle clairement que ce système institutionnel à deux déterminations différentes est en effet un système de discrimination raciale qui ne pourrait être jugé comme démocratique et libéral.
Sans soulever la question cruciale d'inadéquation substantielle entre la gouvernance démocratique et la politique de colonisation contraire au droit international et aux fondements conceptuels et normatifs du libéralisme démocratique, il suffit de constater cette situation d'apartheid qui est en train de s'approfondir et de se consolider.
L'exception démocratique israélienne est donc un mythe à déconstruire et dénoncer.
----------Seyid ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.