S’il ya un procès qui suscite une curiosité ou plusieurs, c’est bien celui dit « de la Décennie » ou si vous préférez, « des crimes économiques et financiers ». Plus connu sous le générique « Procès d’Ould Abdel Aziz » –un signe déjà de sa partialité structurelle – il constitue la phase finale d’une longue « machination » dont le but final n’était en réalité que de juger un homme lâché par les « siens ». Le but a certes été atteint. Convoqué à multiples reprises par la police des crimes économiques et financiers, MOAA a été interrogé, dans un environnement et des conditions peu compatibles avec les droits garantis par la Constitution, et gardé à vue, le plus souvent dans des conditions dégradantes et humiliantes, avant de se retrouver incarcéré dans un isolement total, psychiquement très négatif sur son moral.
Mais tout ce qui a été fait depuis le début de cette affaire et jusqu’au moment où je rédige cet article n’est que la conséquence de faits reprochés à un chef d’État qui – c’est vraiment regrettable – n’en était en réalité pas un ou ne l’était que par son titre constitutionnel, arboré comme un badge pour commettre des actes contraires aux valeurs morales de sa fonction.
Un homme traqué par ses agissements
Quelles ques soient les raisons qui ont poussé ses adversaires à le lâcher – que ce soit, comme il l’affirme lui-même, pour l’empêcher de faire de la politique ou pour se débarrasser définitivement de quelqu’un qui commençait sérieusement à « agacer » les membres influents de son « Clan » – en tous cas, rien, vraiment rien, ne jouait en faveur d’un homme plus préoccupé, en permanence et tout au long de ses onze années au pouvoir, par son enrichissement illicite et démesuré que par la cohésion avec l’aile politique de la majorité qui l’avait placé à un poste qu’il ne méritait pas, ni par son honnêteté morale, ni par ses valeurs intrinsèques, ni par ses compétences.
Même si l’enquête parlementaire donna l’impression de suivre une feuille de route toute tracée, s’intéressant à certaines affaires et pas à d’autres et ne s’appesantissant sur les détails que de certaines, ses conclusions et celles préliminaires de la police des crimes économiques et financiers – et même si les interrogatoires de celle-ci furent plus drastiques pour certains accusés et témoins que pour d’autres –ont toutes convergé vers une même réalité indéniable : Ould Abdel Aziz est bien auteur de crimes et délits financiers et économiques graves, commis parfois directement par lui-même, parfois par l’intermédiaire de personnes physiques ou morales qui lui servaient d’écrans de fumée.
Justice multigrade à vitesse diverse
Mais là n’est pas le problème. Il est dans la tenue même de ce procès tant attendu par les Mauritaniens. Les autorités judiciaires mauritaniennes ont rejeté catégoriquement la demande exprimée par le principal accusé que les débats soient retransmis en direct à la télévision. Un procès à accès très limité, donc. La retransmission aurait pourtant permis aux Mauritaniens de non seulement suivre minute par minute ces assises mais surtout de donner un visage à chaque nom des accusés et témoins du procès.
Enfin, bref : qu’elle ait agi en toute indépendance ou sous influence de sa tutelle, la justice n’a pas accepté la retransmission en direct des débats, a contrario, par exemple, de ce qui s’est passé en Guinée-Conakry. Une décision d’un amer goût d’incompréhensible envers l’attitude des autorités judiciaires. D’autant plus que le choix laissé aux accusés et surtout aux témoins, à charge ou à décharge, de ne pas répondre obligatoirement à toutes les questions des avocats a dévalué complètement le débat sur des questions de fond comme de forme.
Cette décision de laisser à certains témoins véreux appelés à la barre la latitude de répondre ou non aux questions semble laisser comprendre ou dessiner les contours d’un probable arrangement entre la justice et ces individus donnant l’impression de n’avoir été choisis qu’en fonction de la nécessité de démontrer, par des témoignages à charge et faits avérés en certaines affaires – mais pas en toutes… – l’implication et le rôle joué par Ould Abdel Aziz.
Des objectifs « ciblés » par la tenue du procès
En ce tribunal, il ya certes tous les éléments constitutifs d’un procès dans sa forme classique : cour, ministère public, avocats de la partie civile et de la défense, accusés, témoins et public d’audience, même si celui-ci est limité en nombre. Tout se déroule, au strict point de vue des formes judiciaires, comme en tout procès. Mais il ya un mais. Le procès donne l’impression que tout ne tourne qu’autour des charges à faire peser sur Ould Abdel Aziz dans le but de prouver aux Mauritaniens que les enquêteurs de la commission parlementaire qui avait déclenché tout le processus n’avaient pas choisis au hasard l’ex-Président dans leurs investigations sur la gabegie, le détournement des deniers publics en bande organisée et le pillage de nos ressources nationales par des malversations économiques teintées de corruption.
Même si – d’une pierre deux coups – l’Assemblée nationale euthanasié politiquement Ould Abdel Aziz et l’a réduit, sur le plan judiciaire, à son profil réel – celui d’un chef d’État uniquement préoccupé par son enrichissement illicite démesuré –elle n’a surtout fait que prouver aux Mauritaniens et à la Communauté internationale que celui-ci était bel et bien un « délinquant » économique et financier en conflit avec la loi. Certes l’accusé a clamé à la barre son innocence et déclaré que les biens dont il dispose sont des biens « bien acquis ». Il a même cité un témoin : Ould Ghazwani qui connaîtrait, selon la déclaration de son ex-ami, l’origine de tous ces biens.
Ce qui est évidemment faux. L’actuel Président connaît peut-être l’origine d’une partie des biens de son prédécesseur mais ne peut en aucun cas, même en tenant compte du rapprochement par le passé entre les deux hommes, connaître celle de tous les biens d’un chef d’État qui avait transformé son bureau en bourse cotée à toutes formes de corruptions possibles et imaginables. D’autant plus faux aussi que lesdits biens bien ou mal acquis partent du véhicule de petite cylindrée à des immeubles à multiples étages et de valeur immobilière inestimable, en passant par des domaines fonciers du très haut de gamme de la spéculation et des sommes faramineuses dissimulées dans des comptes bancaires parfois offshores.
Ould Abdel Aziz sait lui-même parfaitement bien qu’il est personnellement incapable de justifier l’origine de tous ses biens dont la majeure partie relève, selon les enquêtes, de retombées de la corruption et du blanchiment d’argent. Même si l’ex-Président est donc obligé, par un cumul de preuves irréfutables, de répondre de ses agissements incompatibles avec ses fonctions constitutionnelles, le tribunal semble avoir « oublié » son propre but : juger « tous » ceux accusés de faits et délits en rapport avec le vol, le détournement, le trafic d’influence et le blanchiment d’argent. La cible est unique et si les preuves accumulées laissent effectivement peu de chances à Ould Abdel Aziz de sortir de ce procès avec un casier judiciaire vierge – un des probables buts recherchés – le procès du siècle qui débuta en queue de poisson ne s’en termine pas moins en queue de phacochère, courte, sale et ébouriffée. (À suivre).