« Elhiwar »
L’année 1971 ? l’agitation continua et s’amplifia. Au début du 3ème trimestre, un nouveau ministre de l’éducation fut nommé. Il s’agissait de l’ancien inspecteur d’enseignement, Bâ Mamadou Alassane, « le grand Bâ » de Rosso. Il prônait l’ouverture, une nouvelle option qu’il avait baptisée « dialogue ». Il sera à son tour baptisé du même nom, « Dialogue » ou «Elhiwar » en arabe.
Il inaugura sa nouvelle politique par une tournée dans tous les établissements secondaires du pays. Il réserva sa dernière étape au Lycée de Rosso, jugé comme étant l’établissement le plus difficile.
À notre tour et à notre façon, on se mit à préparer son arrivée. On posa une condition avant d’entamer tout dialogue: le retour sur le champ des élèves renvoyés. Le ministre était déjà en place. Nulle part on ne lui posa cette condition, bien qu’elle figure à la tête des revendications défendues par les élèves des établissements déjà visités. Par pure coïncidence, le président Mokhtar Ould Daddah se trouvait ce jour-là à Rosso. Le ministre le contacta. Il lui donna un avis favorable à notre condition. Les élèves renvoyés pour fait de grève étaient autorisés à regagner leurs établissements respectifs immédiatement. J’étais l’unique élève renvoyé présent à Rosso. Je regagnai aussitôt mon établissement et ma classe.
Du côté de l’administration, un dortoir fut nettoyé et vidé de sa literie. Une tribune fut organisée à son entrée. Tous les élèves y prirent place. Peu de temps après, le ministre, accompagné par une importante délégation, fit son entrée. On se leva en signe de politesse. Il fit un discours fleuve. Il parla les deux langues, arabe et français, avec aisance. Il nous promit tout, paradis y compris. On passa la parole aux élèves. J’étais présent. Ils s’en prirent à la politique de l’État, notamment en matière d’enseignement. « Un enseignement néocolonial qui ignore complètement nos langues et nos cultures nationales », indiquèrent certains. « Monsieur le ministre, votre gouvernement sert uniquement de couverture pour le pillage de nos richesses », renchérirent d’autres.
Reprenant la parole, le ministre, qui n’arrivait pas à contenir sa colère, s’en prit d’abord à certains intervenants qui sous-estimaient, selon lui le rôle d’un ministre. « Est ce que vous savez vraiment ce que fait un ministre ? », s’interrogea-t-il. «Oui ! Oui ! », Répondirent plusieurs voix. « C’est quoi donc selon vous ? », martela-il. « Monsieur, c’est signer, signer, signer ! », répliquèrent en un bruyant chœur de nombreuses voix. Le ministre explosa de colère. Mais il finira par se ressaisir avant de finir par clôturer, dans un climat surchauffé, sa séance de dialogue manqué avec les élèves du Lycée de Rosso.
Mes excuses à « Grand Bâ »
Ma conscience ne cesse de m’interpeller sur ma part de responsabilité dans l’organisation d’un accueil aussi embarrassant pour le ministre Bâ Mamadou Alassane, l’ancien inspecteur qui s’était solidarisé avec moi à l’école primaire contre l’arbitraire de son homonyme, Petit Bâ.
À quelques semaines des examens de fin d’année, je rejoins ma propre classe. Mes amis étaient maintenant en 3ème alors que je les avais abandonnés en 4ème. Depuis le début de l’année scolaire j’étudiais à mon niveau le programme de 3ème dans la perspective de participer librement à l’examen du BEPC en juin 1971. C’est pourquoi je décidai de reprendre avec mes collègues de l’année d’avant. Juste après ma reprise, les cours furent suspendus. J’assistais à l’examen de passage.
Le groupe d’études et d’animation politique
J’organisai aussitôt un groupe d’études parmi les élèves de ma classe. Parmi ces derniers, le jeune Elmoctar Ould Owva de Mederdra. Il était très attaché à moi. Comme Ismail Ould Ahmedoua, il fut tenté d’abandonner l’école après mon renvoi.
Est-ce qu’il n’envisageait pas de se libérer de l’école et des incertitudes d’avenir consécutives à la grande fréquence des grèves scolaires, pour s’adonner à la tradition ancestrale de ses parents: la médecine traditionnelle ? Je l’imagine souvent, assis, la tête couverte avec un grand turban blanc au milieu d’attroupements de femmes, « à géométrie variable», leur distribuant des solutions à base de « Vellegitte », la plante symbole de la pratique médicinale de ses parents. Ça lui aurait été peut-être salutaire. Il lui épargnait de se faire ainsi évincer plus tard de la direction de l’enseignement secondaire avec les tiraillements impitoyables de lobbies qui exhibaient au grand jour leurs desseins régionalistes et dégradants pour le système éducatif.
L’ironie du sort est qu’il sera le signataire de mon attestation de réussite au Baccalauréat en 1982.
(Pour l’occasion je lui présente mes profondes condoléances suite à la disparition précoce de son neveu, fils du célèbre docteur traditionnel feu Abdellahi Ould Owva.)
De l’intimité amicale
Au moment où j’organisais le groupe d’études, le jeune Owva se préparait à rentrer chez lui à Mederdra. J’eus beaucoup de peine à le dissuader d’exécuter cette décision que je jugeais néfaste pour son avenir. Il ne croyait pas qu’on puisse réussir nos examens après une année scolaire aussi agitée. Il céda enfin de compte à ma pression. On se réserva une salle de classe. Les deux tiers du temps étaient consacrés à la révision. Des moments de divertissement et de discussions politiques occupent le reste de notre emploi de temps.
Jaja
Un jeune chanteur populaire du nom sympathique de Jaja nous animait avec des moments de chants et danses. Il chantait pour nous les dernières chansons révolutionnaires composées et chantées par des Kadihines, le nom que vont s’attribuer les militants du nouveau mouvement MND (Mouvement National Démocratique). Les éléments de notre groupe d’études seront tous admis à leurs examens de fin d’année: le BEPC et l’examen de passage en seconde. Je serai orienté en seconde C. Les mathématiques vont occuper une bonne partie de mon temps de préparation pour les examens.
De nouvelles vacances
Après, je décidais de prendre une pause chez moi. J’embarquai un après- midi sur un camion plein à craquer de marchandises en route pour Boutilimitt. La piste passe par Nouachar, à une dizaine de kilomètres de notre campement. Dans le camion, je trouvais, venant du Sénégal, le parent Abdou Ould Gueidiatt. Il allait à Rkiz-ville où résidait sa femme. Aussitôt sortis de Rosso, une grosse pluie tomba à flots. Les apprentis du camion se pressèrent pour nous couvrir, nous et les marchandises à l’aide d’une bâche géante. Ces conditions de transport de personnes qui pourraient apparaître insupportables pour les jeunes de Facebook d’aujourd’hui, constituaient, en réalité, par comparaison aux moyens rudimentaires des nomades, le summum du confort à l’époque.
(À suivre)