Ghazwani face à la presse privée : A bâtons rompus

8 November, 2023 - 10:08

Le président de la République a accordé un entretien à certains organes de la presse privée nationale, le lundi 30 Octobre 2023. Un entretien-surprise, aussi bien pour les journalistes des cinq organes cooptés que pour la tutelle. Format différent des précédentes rencontres : selon les photos publiées par les media officiels, le Président était seul avec les journalistes qui ont posé apparemment librement leurs questions. Même celles qui l’ont quelque peu agacé.

 Cette sortie du président de la République intervient quelques mois après celle accordée à Yves Thréard du Figaro, un des plus anciens quotidiens français. Une conversation sur commande, semblait-il, qui fit jaser plusieurs media nationaux et était surtout destinée à l’opinion étrangère (paix, sécurité et coup d’État au Sahel…). La dernière en date est plutôt centrée sur les préoccupations des Mauritaniens : inflation galopante, cherté de la vie, lutte contre la gabegie affichée mais toujours enrichissement ostentatoire d’un petit quarteron de Mauritaniens, exode de nos jeunes vers les USA, problèmes de l’unité nationale – séquelles de l’esclavage et passif humanitaire, encore et toujours…– prochaine présidentielle, gestion et contestation des dernières élections locales, signature du Pacte républicain, école républicaine, restriction des libertés… Tout a été passé aux cribles par les journalistes, pas de sujet tabou… excepté la Grande Muette.

 

‘’Je vous ai entendus’’

Cette longue liste des thèmes abordés démontre combien le président de la République était disposé à s’exprimer et combien il a du pain sur la planche. Les concepteurs de son prochain programme de campagne électorale n’auront en tout cas pas à se torturer les méninges pour les Taahoudaty II : le Président et probable futur candidat en a déjà fixé les contours. Nous sommes à moins d’une année de la prochaine présidentielle, l’homme a visiblement besoin de parler à ses concitoyens. Cela justifie-t-il le timing ? Seul le Palais saurait apporter réponse à cette question. Le projet d’interview fut dévoilé quelques petites heures à peine avant la convocation des journalistes. De nombreux mauritaniens reprochaient au Raïs de parler trop peu. « Je vous ai entendus », semble-t-il dire en passant en revue les différentes questions nationales.

Il n’a cependant rien apporté de nouveau sur sa probable candidature à un second mandat, en réitérant la réponse qu’il avait servi au Figaro : s’en remettre à sa majorité et à celle du peuple mauritanien. Références d’autant plus légitimes que l’une et l’autre lui ont assuré une majorité très confortable à l’Assemblée nationale, lors des élections locales de Mai dernier. La vanterie de ses réalisations fera certainement le reste et l’opposition risque fort se retrouver une fois de plus laminée. L’INSAF et sa majorité plaideront d’autant plus facilement pour un second mandat de leur leader que la Constitution le lui permet, comme a tenu à le rappeler, à ceux qui seraient tentés de l’oublier, le président Boydiel Houmeid, dans son interview au Calame du 1er Octobre dernier.

Les maires du Trarza dont ce maire de N’Diago est membre et président d’honneur ont déjà ouvert le bal, invitant dans une lettre Ould Ghzawani à briguer un nouveau mandat. C’est semble-t-il, enfoncer une porte grandement ouverte. Un des ministres a ajouté, en substance le lendemain, lors du commentaire du conseil hebdomadaire des ministres, qu’il revient à tout le peuple mauritanien de demander au président de la République de solliciter un second mandat pour les bonnes choses qu’il a offertes au pays. Comme si ces messieurs doutaient des intentions du Marabout-président…

En attendant, celui-ci a brossé un bilan très avantageux de son premier quinquennat : normalisation de la scène politique, organisation d’élections concertées, lutte contre la gabegie grâce à un arsenal juridique de mieux en mieux affiné, tentatives de consolider l’unité nationale, mise en branle de l’école républicaine… notre Président paraît très satisfait de ses réalisations. Malgré le lourd héritage d’un pays très « déliquescent » et la pandémie COVID19, le successeur d’Ould Abdel Aziz affiche des avancées macroéconomiques très significatives et une mise en œuvre de son programme électoral avancée. Le comité de suivi présidé par le Premier ministre évalue quasiment chaque semaine l’état des travaux, l’assurance-maladie accordée à des milliers de mauritaniens et les transferts-cash sont brandis comme des trophées de guerre…

 

Une pieuvre difficile à vaincre

Mais la majorité des Mauritaniens peinent à s’assurer deux repas par jour. Un véritable gap entre deux Mauritanie : celles des nantis et celle des démunis. Un fossé que le second mandat pourrait contribuer à réduire, à défaut de combler ? Cela exige forcément des avancées conséquentes dans la lutte contre la gabegie. Une pieuvre difficile à vaincre dans un système miné par la boulimie de l’argent et de l’enrichissement sans frein. Une compétition – pour ne pas dire gymnastique quotidienne –des cadres mauritaniens. Le président Ghazwani a beau taper du poing sur la table, manifester son mécontentement face aux lenteurs, voire incompétences de certains responsables de projets et autres, les signes de gabegie continuent à persister. Certains observateurs n’hésitent pas à affirmer que ce cancer n’a jamais atteint le niveau actuel. Un point de vue néanmoins guère défendable, tant la gabegie œuvrait à ciel ouvert sous la décennie Aziz, avec en outre cette particularité d’être quasiment à sens unique.

La nouvelle trouvaille de nos (ir)responsables est d’ouvrir des chantiers à tout-va, comme s’il leur fallait se hâter à épuiser les reliquats de leur budget. Le pays est un vaste chantier depuis plus d’un an : construction et réhabilitation des routes et des édifices publics, achat d’équipements neufs, véhicules et autres… La méthode semble prendre, les départements ministériels et établissements publics ne s’en privent pas. Comme on dit, « un seul bras n’applaudit pas ». La seule volonté politique du président Ghazwani ne suffit pas s’il ne manie pas bien le bâton. C’est tout ce qu’il faut pour ramener la meute au chenil. Le bercail à la bergerie ? Beaucoup de Mauritaniens peinent à comprendre comment la pauvreté peut-elle toujours sévir dans un pays de moins de quatre millions d’habitants et pourvu d’énormes ressources. Gabegie, certes, mais aussi injustices et répartition déplorable des richesses.

Le Président a été également interrogé sur le passif humanitaire et les problèmes d’enrôlement en cours. Deux questions sur la table de longue date : 1989 pour la première et 2012 pour la seconde. Au lendemain de sa prise de fonction en Août 2019, le président Ghazwani avait exprimé son intention de trouver une solution consensuelle avec les victimes des années de braise. Confié à Kane Ousmane, l’ex-MSGP, à Ould Waghf et à un conseiller à la Présidence, le dossier a atterri depuis quelques mois au Commissariat aux droits de l’Homme, à l’action humanitaire et aux relations avec la société civile (CDHAHRSC)… et traîne depuis en longueur.

Nous voilà donc toujours scotchés au 2 Février 2019date à laquelle le candidat Ghazwani affirma publiquement sa ferme volonté de rétablir toutes les victimes d’injustices dans leurs droits ? Les mauritaniens qui y courent derrière depuis plus de trente ans attentent toujours un geste fort du président de la République. Le CDAHRSC qui fit montre de disponibilité et de volontarisme en recevant ledit dossier semble aujourd’hui surtout faire preuve de « tiédeur », relèvent certains de ses interlocuteurs. Les extrémistes hostiles à son règlement auraient-ils poussé le jeune ministre à faire pédale douce ?  Va-t-on assister, le 28 Novembre prochain, à une énième manifestation des veuves, des orphelins et rescapés ?

Se greffent à ce dossier les problèmes récurrents de l’enrôlement et des langues nationales. Là aussi, le président de la République qui a instruit l’Administration dans ce sens, est très attendu. Un acte fort de sa part : décret, arrêté, discours… ; pourrait rassurer ceux qui en souffrent. Il reste donc encore de vastes chantiers en déshérence… Le nouveau pacte républicain, récemment signé entre l’INSAF et deux partis de l’opposition, le RFD et l’UFP, célèbres mais non représentés à l’Assemblée nationale, pourrait-il faire bouger les lignes ?

 

Dalay Lam