2024, c’est demain : Une année pour vaincre le signe indien

6 September, 2023 - 09:17

Les Mauritaniens retourneront aux urnes en 2024 pour réélire l’actuel président de la République, Mohamed Cheikh Ghazwani pour un second mandat ou, pourquoi pas, propulser un nouveau chef à la tête du pays. Une hypothèse très peu probable : le marabout-président semble encore nourrir l’ambition de diriger nos affaires. Pourtant d’aucuns laissaient croire que l’homme n’était pas très porté au pouvoir…C’était, disaient-ils, ce qui lui avait assuré sa survie auprès de son alter ego et prédécesseur Ould Abdel Aziz. Quatre années après son élection, Ould Ghazwaniy aurait-il pris goût ou serait-il tout simplement contraint de garder la maison ? Il fait en tout cas partie des gardiens du sérail. Le pouvoir se partage entre les militaires qui en ont fait une oligarchie. Faut-il se consoler de ce qu’aucun d’entre eux ou tribu n’ait réussi à l’ériger en dynastie ?

Ould Ghazwani a passé donc quatre années à la tête d’une Mauritanie sortie d’une décennie d’un pouvoir hyper centralisé où seul le président de la République régentait le pays. MOAA était craint et redouté, sinon adoré, voire divinisé, par certains de ses collaborateurs ; quasiment personne ne lui contestait la suprématie. Du coup, il a abusé de la naïveté des mauritaniens gravitant autour de sa galaxie. La commission d’enquête parlementaire de 2020 a révélé l’ampleur du désastre qu’il a perpétré, avec la (grosse) complicité de ceux qui ont vu et compris… mais se sont tus. Ils sont pourtant bien peu à être appelés à la barre du procès de la décennie. Des milliards détournés, un vaste patrimoine mobilier, foncier et autre volé au peuple.

 

Un vrai déballage

Ainsi le président Ghazwani a-t-il hérité d’une situation très particulière. Les rapports entre le pouvoir et l’opposition étaient exécrables, le terrorisme rôdait autour du pays. Magnanime, le candidat à la présidentielle annonça cependant de nouvelles couleurs dans son premier discours de candidature en Février 2019. Sa première prise de parole sonnait comme une rupture et suscita un énorme espoir. Le candidat qui n’avait pas voulu se faire parrainer par l’UPR de l’époque parlait de rétablir dans leurs droits toutes les personnes victimes d’injustice. Et Dieu sait qu’il yen avait beaucoup ! Annonçant le renforcement de l’unité nationale et de la cohésion sociale, il nomma dans la foulée un ressortissant de la Vallée, Djibril Niang, directeur de campagne. Un signe relevé positivement par nombre d’observateurs.

Fut-ce pour lutter contre l’ampleur de la gabegie qui avait, dix années durant, gangréné le pays ou pour régler les comptes à un prédécesseur qui jouait à la Poutine, pariant sur la naïveté de son successeur, que le nouveau Président ferma les yeux sur une commission parlementaire enquêtant sur la décennie de son ex alter ego ? Ce fut en tout cas un vrai déballage qui conduisit à l’arrestation de MOAA, ainsi que de plusieurs de ses collaborateurs et autres membres de sa famille. Une décision saluée par tous les Mauritaniens et la communauté des bailleurs de fonds. Le peuple attendait donc la fin de l’impunité et le retour des biens spoliés, un pool d’avocats fut mis à contribution pour pister tous les biens mal acquis. Mais la croisade n’a pas duré : le dossier de la Décennie traîne en longueur et plusieurs personnes citées dans celui-ci sont soustraites de la procédure, en échange de leur collaboration avec la justice ou pour avoir joué par le passé en faveur des nouveaux maîtres du pays. Bref, le dossier qui avait suscité un immense espoir commence à s’effondrer ou presque.

Certes, des directeurs d’établissements publics sont épinglés pour mauvaise gestion mais des marchés publics de plusieurs millions ou milliards sont toujours attribués de gré à gré, des projets et des chantiers accusent du retard ou sont mal exécutés, incompétence et prédations obligent. C’est en vain que l’ex-ministre du Développement économique et des secteurs productifs aura dénoncé cet état de fait. Les récentes révélations sur le fameux projet Aftout qui devait épargner Nouakchott de toute soif prouvent la légèreté, pour ne pas dire l’inconscience de nos responsables qui ont « oublié » de contrôler, avant de réhabiliter si besoin les installations de ce projet stratégique. Comment accepter que soixante ans après l’indépendance, nos capitales politique et économique souffrent de si graves carences en eau ? Alors que des entreprises privées injectent des milliers de mètres cubes d’eau potable dans le traitement de certains produits sans intérêt pour les citoyens…

 

Signes ostentatoires de gabegie

Le projet Aftout n’est que la face visible d’un énorme iceberg. L’attribution par entente – gré à gré, encore et toujours… – des marchés d’assainissement de plusieurs quartiers de Nouakchott, Boghé et Rosso vient renforcer le scepticisme – et donc le doute… – des Mauritaniens quant à la transparence dans la gestion des deniers publics. Même si promotion d’un nouveau ministre en charge de ce secteur, non issu du sérail, laisse présager que les choses évolueront désormais dans le bon sens. Il s’y ajoute que les responsables ayant aidé l’ex-Président à bâtir son empire financier sont blanchis, voire carrément recyclés dans les gouvernements et administrations qui se succèdent depuis 2019. Un signe largement suffisant aux autres responsables pour se précipiter sur les deniers publics. Les signes ostentatoires de la gabegie repartent de plus belle. Les institutions de contrôle se sont murées dans le silence, leurs rapports sont souvent rangés au placard. Le tribalisme, le clientélisme et le népotisme passent à la trappe la volonté – velléités affichées ? – de lutter contre le gaspillage insensé. La triche de nos « responsables » a atteint un tel sommet que le président de la République menace de sanctionner les secrétaires généraux des départements ministériels en cas de lenteur constatée ou de détournements de fonds à d’autres objectifs que le bien-être des citoyens. Mais combien de fois aura-t-on ouï ces vœux pieux ?

Il reste au président Ghazwani une année pour terminer son premier mandat, c’est-à-dire parachever ses Taahoudaty dont le plus déterminant reste la lutte contre la gabegie, sport favori des responsables mauritaniens qui ne se préoccupent que de leurs poches. Ils ont acquis la certitude que tout un chacun s’y adonne sans conséquence négative sur sa carrière politique ou administrative. Le comité de suivi présidé par le Premier ministre aura beau à tenir des réunions de suivi, rien à faire : il en restera toujours, les incompétents et les brebis galeuses continueront d’abuser des biens de la République, encore et encore, au détriment de leurs concitoyens. Si le président Ghazwani a réussi à apaiser l’atmosphère politique et ses rapports avec l’opposition, il n’a pas su dissuader certains cadres et hauts responsables à puiser dans les caisses de l’État. Comme le dénoncent les députés de l’opposition, l’augmentation du budget mauritanien de plusieurs milliards d’ouguiyas en une année n’a profité qu’aux ministres, secrétaires généraux, chefs de projets et corps habillés.

Les uns et les autres « s’en mettent plein les poches ». Ces fonds faramineux sont injectés dans l’achat d’équipements discutables : voitures de luxe, carburant, location et réhabilitation de locaux, frais de mission, factures faramineuses d’électricité et d’eau… Des rencontres mondaines, des festins gargantuesques sont organisés.   Ould Abdel Aziz eut certes raison – une fois ne devint hélas pas coutume ! – d’en avoir supprimé certains. Le peuple quant à lui se contente de râler et grogner comme des chameaux en train d’être chargés de bagages. Quatre longues années après son discours de candidature, le président de la République a enfin tapé du poing sur la table devant les secrétaires généraux des ministères. Mettra-t-il le peu qui lui reste de son mandat à assainir la gestion de la chose publique, à vaincre ce signe indien ?

 

Dalay Lam