Au beau milieu de la crise qui secoua la Côte d’Ivoire et la divisa profondément au cours des années 2000, le chanteur Alpha Blondy lança, à un journaliste qui lui demandait son avis sur la guerre qui ravageait son pays, la réplique suivante, devenue bientôt célèbre : « si quelqu’un vous a dit comprendre quoi que soit à ce qui se passe dans mon pays, c’est qu’on le lui a mal expliqué. » On pourrait dire la même chose de la presse en Mauritanie. Depuis l’avènement de la démocratie et la floraison des journaux privés (qui connurent un franc succès au départ, tant les lecteurs étaient avides d’entendre autre chose que la voix officielle) puis des sites électroniques, la situation n’a cessé d’empirer. Et l’État n’y est pas pour rien. Il a encouragé les agents de renseignements, les ignares et les moins que rien à se lancer dans l’aventure, leur donnant les moyens de concurrencer ceux qui avaient un minimum d’éthique professionnelle. L’opération a réussi au-delà de toute espérance. Au bout de quelques années, la presse est devenue un fourre-tout où le premier badaud venu se prétend journaliste ; elle a perdu toute crédibilité, si l’on excepte quelques titres qui essayent de surnager dans un océan de médiocrité. Certes l’État lui a enfin consenti un fonds de soutien mais celui-ci ne fait que brasser du vent, chaque année qui passe. Le montant qui lui est alloué est tout d’abord insignifiant, comparé à celui des pays voisins. Il est ensuite réparti entre des centaines de journaux et de sites web qui n’ont de presse que le nom. Chacun se retrouve ainsi avec la portion congrue. Et le manège se répète bon an, mal an, au grand désarroi de cette petite minorité qui essaye malgré tout de survivre et de remplir l’indispensable mission qui échoit à une presse digne de ce nom. « Si tu croises un journaliste, gifle-le », dit un jour l’essayiste français Emmanuel Ratier, « si tu ne sais pas pourquoi, lui le sait. » En Mauritanie, on devrait plutôt le faire à ceux, nombreux, qui le prétendent et qui ne font que prostituer ce noble métier.
Ahmed ould Cheikh