Dr. Dia Alassane, président de Touche pas à ma nationalité (TPMN) : ‘’Les nouvelles dispositions instruisent d’enrôler tout le monde mais il y a encore des blocages’’

2 August, 2023 - 18:22

Le Calame : Le gouvernement a décidé de parachever l'enrôlement biométrique par des commissions de recours. Qu’en pensez au niveau de TPMN, vous qui vous êtes battu contre ce recensement depuis son lancement en 2010 -2011 ?

Dia Alassane : L’opération d’enrôlement biométrique a été officiellement lancée le 28 novembre 2010 mais elle n’a été effective que à partir de mai 2011. Dès le départ, de par la composition mono-ethnique des commissions mises en place et le rejet quasi systématique et massif des Noirs, le gouvernement avait affiché le caractère raciste et discriminatoire du recensement. C’est cette volonté de priver les Noirs de Mauritanie de leur état-civil pour en faire des apatrides dans leur propre pays, que nous qualifions autrement de génocide biométrique, qui a motivé le combat de Touche pas à ma nationalité. Ce combat a permis à la grande majorité des Mauritaniens initialement exclus du recensement de se faire enrôler. Mais le caractère raciste et discriminatoire de l’opération ne s’est jamais démenti laissant encore beaucoup de nos concitoyens sans aucun papier d’état civil, donc sans possibilité d’entreprendre des études, de travailler, de se mouvoir, bref de vivre.

Que le gouvernement mette en place des commissions pour permettre à tous les Mauritaniens de s’enrôler n’est pas nouveau. Encore faut-il qu’il y ait une véritable volonté de ne laisser personne sur la touche. En 2017 déjà, des commissions ont été créées d’abord au niveau national, commission présidée par Thiam Diombar, puis aux niveaux départemental et communal mais au final, seule une infime partie des populations exclues avait réussi à se faire enrôler. On se souvient du tollé provoqué à l’époque par ceux-là même censés faire appliquer la loi pour mettre fin au travail de ces commissions en criant à l’enrôlement d’étrangers. Nous entendons déjà des relents de ces prétextes fallacieux pour ne pas mener à terme la nouvelle décision.

 

-Depuis plus d'une semaine que cette opération a démarré, quels sont les échos que vous en avez reçus ? Comment les commissions sont-elles composées ?  Tout se passe bien ?

-Comme toujours, tout dépend malheureusement des Centres d’enrôlement. Nous avons de bons échos pour certains endroits mais nous avons également vu beaucoup de mauvaise volonté et d’obstructions à l’enrôlement des populations discriminées. Ici même à Nouakchott, des citoyens disposant de certificats de nationalité et des anciennes cartes d’identité ont été rejetés. Alors que les nouvelles dispositions instruisent d’enrôler même ceux qui n’ont aucun morceau de papier mais dont la mauritanité est avérée.

Mais nous préparons en ce moment une mission conjointe avec le mouvement Min Nja6aani, et éventuellement d’autres mouvements de la société civile, qui va sillonner le pays pour avoir une vision plus complète de la situation et des données tangibles et en temps réel pour évaluer l’efficacité des nouvelles mesures.

 

-Pensez-vous que la période accordée aux citoyens non-inscrits pourrait suffire à en finir avec l'enrôlement ?  

-Les Mauritaniens ne disposant pas de papiers d’état-civil ne se limitent pas aux populations discriminées. Beaucoup d’autres facteurs liés par exemple au mode de vie ou à l’ignorance font que nombre de nos compatriotes n’ont jamais disposé de papiers d’état-civil. Ils sont encore trop nombreux pour espérer les enrôler tous d’ici décembre. Il ne faut non plus oublier les milliers de nos compatriotes déportés au Sénégal et au Mali auxquels l’Etat a fermé les portes du retour et qui vivotent depuis plus de trente ans dans des camps d’infortune. Ceux-là aussi doivent être rétablis dans leurs droits de citoyens.

 

-A la veille du lancement de ces opérations, on a annoncé le recensement de nouveaux nés dans certains pays. Qu'en pensez-vous ?

-Le recensement de nouveaux-nés ne doit pas être présenté comme un privilège que l’on offre aux communautés mauritaniennes établies à l’étranger. Il doit s’opérer partout et pour tous, aussi bien sur l’étendue du territoire nationale que dans tous les pays où des Mauritaniens sont établis. Le droit à l’état-civil est un droit fondamental inaliénable. Mais force est de constater que là aussi, les discriminations et l’exclusion continuent d’être érigées en mode de gouvernance. Pourquoi le faire pour nos compatriotes établis dans certains pays et le refuser pour d’autres ? C’est une logique d’exclusion constante que l’on peut vérifier dans tous les domaines de la vie nationale. C’est cette même logique qui, par exemple,  avait conduit lors des dernières élections au choix aberrant des pays étrangers dans lesquels les diasporas mauritaniennes pouvaient ou non, disposer de leur droit de vote.

 

Propos recueillis par Dalay Lam