Si l’on se prévaut du moindre iota de décence ou même d’humanité, comment ne pas être ulcéré par ce qui se passe actuellement en Tunisie ? Et pourtant quel silence de quasiment tous !
Il y a trois mois de cela (1), j’avertissais les Mauritaniens – surtout eux – du danger que faisait courir le racisme presqu’assumé qui sous-tendait les propos du président tunisien à propos des africains sub-sahariens qui avaient le malheur de se retrouver en Tunisie sur le chemin du chimérique eldorado européen.
Au cours des derniers jours, les télévisions du monde entier ont filmé des centaines de sub-sahariens désemparés, abandonnés à leur triste sort, sans eau ni nourriture en quelque coin inhospitalier du Nord-est tunisien. Des images cruelles où le contraste est frappant, soit dit en passant, entre la couleur de peau, de ces malheureux d’une part, et, d’autre part, celle des gardes-frontières libyens et des militaires tunisiens qui les ont conduits là et les surveillent de loin, l’air impassible.
Sans doute pour se donner bonne conscience et faire oublier ce dont témoignaient ses propos de Février passé, ledit président Sayed s’est offert, voici quelques semaines, à une photo-op ( ?) obscène avec ses victimes, avant de déclarer, sans sourire, que « les sub-sahariens en Tunisie » – illégaux ou légaux, en tout cas tous à la même enseigne – « étaient traités selon l’hospitalité et les valeurs islamo-arabes » ! Criant hiatus avec les faits ; grotesque, à n’en pas douter. Mais n’en rions surtout pas, pour plutôt constater et regretter amèrement que tant de musulmans et d’arabes – deux catégories dont se réclament nombre de mauritaniens, rappelons-le – soient restés muets comme des carpes. Ne dit-on pas que qui ne dit rien consent ? À tort ?
Il incombe aux musulmans et surtout aux arabes de se désolidariser nettement de cette triste vilénie, afin d’offrir au monde une autre conception de ces « valeurs et hospitalité ». Si ce que tout le monde peut voir en ce moment en Tunisie est accepté comme reflétant bien celles-ci, qui donc nanti d’une simple demi-cervelle accepterait-il de se déclarer musulman ou arabe ? Ou même d’être traité à l’aune de ces valeurs et hospitalité si singulières ? Que l’on ne s’y trompe pas ! C’est bien ici l’un des enjeux qui se joue à la frontière entre la Tunisie et la Libye dans la plus veule et turpide indifférence.
‘’hordes sub-sahariennes’’
Ne parlons pas des pogroms dont Sfax a été – est encore sans doute – le théâtre. Gardons plutôt à l’esprit ce que le président tunisien suggérait de « la nécessité de préserver le caractère arabo-musulman de la Tunisie » menacée de perdre cette qualité au profit d’une africanité envahissante – mais dont le président Sayed ne semble pas même considérer la réalité musulmane… – sous le déferlement de « hordes sub-sahariennes » pourtant évaluées à quelque vingt-et-un mille personnes, soit tout au plus 0,175% de la population de ce pays certes maghrébin mais tout de même… nord-africain.
Qui ne conviendrait que ce président se soit avéré piètre président, pour ne pas dire avorton politique, en démantelant méthodiquement tous les acquis démocratiques pour lesquels des dizaines de tunisiens ont payé de leur sang et pour lesquels son pays était tant admiré ? Ne parlons pas de son déplorable bilan économique qui explique en grande partie cette fuite en avant sous le couvert de boucs émissaires facilement identifiables et tout trouvés, du fait des préconçus culturels de la société tunisienne. On n’oubliera pas ici de rendre a contrario hommage aux nombreux tunisiens dont les actions de solidarité envers leur frères sub-sahariens, au lendemain des rixes de Sfax, ont atténué les souffrances de ceux-ci et donc plus que nuancé ces pesanteurs sociales.
En contraste, Monsieur Kaïs Sayed s’est surtout avéré être un lilliputien éthique par ses déclarations xénophobes et racistes qui ne pouvaient avoir pour résultat que ces scènes insoutenables d’enfants en bas âge, femmes enceintes et autres jeunes gens abandonnés sans autre forme de procès dans un no man’s land aux confins du désert séparant son pays de la Libye.
L’attitude de ce raïs et le traitement inhumain, humiliant et brutal qui en a résulté ne sauraient cependant nous faire oublier l’absence de réaction et l’indifférence lâches – des faits encore plus déshonorants – de la quasi-totalité de l’establishment de notre continent.
On accorde certes à ces dirigeants politiques le mérite de ne pas s’être rabaissé au niveau du président tunisien, en ne s’en prenant pas à ses concitoyens immigrés sur leur sol respectif. Mais leur silence et surtout leur inaction, face aux conséquences de ses propos incendiaires et, disons-le encore, d’un tel racisme primaire indigne d’un afro-arabe – ou arabo-africain : kif-kif, dirait Éric Zemmour – n’en sont pas moins insupportables. Mais, diraient certains, quoi d’autre attendre de ces dirigeants qui ne traitent pas mieux leurs propres citoyens ?
Malcolm X – alias El Haj Malick Shabbaz –n’a-t-il pas dit que « si l’on peut taper sur les Noirs en toute impunité, c’est bien parce que les Noirs eux-mêmes se tapent entre eux pour des broutilles, » ou encore « quand l’Homme noir respectera l’Homme noir, personne ne marchera sur l’Homme noir » ? Mais en attendant une telle légitime issue, peut-on espérer un peu de compassion, un minimum de dignité de la part de dirigeants politiques dont les concitoyens sont ainsi brutalisés, humiliés ? Mais peut-être tremblent-ils, ces leaders africains, qu’un président Sayed au self-contrôle d’adolescent gâté ne décide de les envahir militairement ou de les punir de sanctions économiques dévastatrices…
Si ces craintes sont un tant soit peu réelles, qu’ils soient donc pardonnés ! Sinon, qu’ils s’expliquent, bon sang, de leur dérobade ! Car l’urgence, c’est de secourir ces malheureux, abandonnés à eux-mêmes et dont le seul tort semble être de vivre la couleur de leur peau... sur leur propre continent !
Professeur Boubacar N’Diaye
(1) : Voir http://lecalame.info/?q=node/14477, Kaïs Sayed, son islamo-arabisme et nous.