Elue pour le compte de la coalition RAG/SAWAB, à l’issue des élections législatives, communales et régionales de mai 2023, Ghamou Mint Achour est une député atypique, car elle ne répond pas au profil-type du député mauritanien, grande famille, forte tribu, richesse et influence. Epouse d’un manœuvre, sans travail, avec une instruction moyenne, Ghamou Mint Achour habite dans une « Gazra » (squat) fraichement lotie. Elle est issue du bas-peuple et d’une famille très pauvre. Seul son combat de militante chevronnée du mouvement IRA pouvait la hisser au sommet de la République. Portait.
La taille frêle, les yeux enfoncés mais pleins d’énergie, Ghamou Mint Achour est une femme endurcie de la communauté Harratine, avec les stigmates de bûcheuse qui s’est forgée à contrecoups, face aux vicissitudes de la vie. C’est une mauritanienne porteuse de toutes les valeurs de la société, de ses rêves et de ses ambitions légitimes. Elle est décrite par son entourage comme pas très caractérielle, calme habituellement, mais vindicative quand il le faut, colérique parfois. Elle est membre active et engagée dans le combat de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA).
Son élection comme députée, son écharpe frappée aux couleurs nationales, tout cela ne lui est pas monté à la tête. Elle ressent cependant une immense fierté. « Mes impressions sont indescriptibles aujourd’hui ; c’est presque un rêve car sans moyen financier, issue d’une famille très pauvre, je me voyais mal accéder au Parlement » témoigne-t-elle.
Tout cela, selon elle, est l’œuvre de son leader, BiramDahAbeid, président du mouvement IRA. « Je remercie mon leader BiramDahAbeid qui a permis une telle révolution, car d’habitude n’accèdent au parlement que les gens riches ou issus de familles riches, soutenues par une force tribale ou des forces de pression très fortes. Devenir parlementaire, sans un sou, et être choisie parmi des centaines de militants, ne peut que me rendre fière de mon combat au sein de IRA et rendre grâce à Allah puis à mon président Biram », a-t-elle soutenu.
Des ruelles de Satara à la « Gazra d’Arafat »
Ghamou Mint Achour est née en 1979 à Satara, quartier populaire de Rosso dans la région du Trarza. Son père, Achour Ould Saleck, gère une petite boutique. A l’âge de 8 ans, Ghamou assiste au divorce de ses parents. Sa mère, Selemha Mint Mahmoud, s’installe à la « Kebba » de Nouakchott (bidonville) et se lance dans le commerce de légumes et de poissons au marché marocain. La petite Ghamou reste avec sa tante et sa grand-mère à Rosso, puis rejoint en 1990 sa maman à Nouakchott. La famille squatte plus tard un espace à la « Gazra d’Arafat » au milieu d’autres familles pauvres qui n’ont pas les moyens de s’acheter un terrain ou de louer une maison. Leur demeure est faite de plaques de bois et de zincs.
Ghamou entre à l’école à l’âge de 11 ans, fréquente le collège des Jeunes Filles, elle et sa grande-sœur, Jemal Mint Achour. En 3ème année, elle rate le brevet et ne peut plus poursuivre ses études. Sa mère s’était remariée et il fallait quelqu’un à la maison pour s’occuper des enfants, de la cuisine et des travaux domestiques. Pour renforcer les revenus de la famille, sa grande sœur interrompt elle aussi ses études et se lance dans le commerce de légumes et de poissons comme sa mère.
En 1999, Ghamou se marie avec un manœuvre, le père de ses huit enfants. Sa fille aînée est aujourd’hui mariée et les autres sont encore enfants. Pour s’occuper, elle coud des habits et les vend. Puis, elle est embauchée par la société Pizzorno, société française chargée de la collecte et du traitement des déchets solides à Nouakchott. Elle perçoit un salaire mensuel de 28.500 UM (anciennes). En 2014, le contrat de Pizzorno est rompu par le gouvernement mauritanien. Ghamou Achour se rend alors en Arabie Saoudite pour un travail de domestique. Elle n’y reste que 3 mois avant de revenir au pays. Les Saoudiens la traitaient comme une esclave avec un travail dur et sans répit.
IRA, un combat pour les droits humains
« J’ai rejoint le mouvement IRA en 2011, mais mon véritable engagement date de 2012, lorsque Biram a brûlé les livres qui justifient les pratiques esclavagistes et qui régentent la pratique religieuse dans le pays », explique-t-elle.
La première fois qu’elle a pris contact avec Biram et le mouvement IRA, c’est lorsqu’elle était encore employée à Pizzorno. Toute une famille l’avait bastonnée quand elle leur a demandé de ne pas jeter des ordures alors qu’elle venait juste de nettoyer. L’affaire est portée à la police et la famille agresseur ameute toute la tribu. Ghamou allait perdre la bataille à cause de la forte influence de ses adversaires. Mais l’intervention des activistes d’IRA va faire tout basculer. La justice condamne ses agresseurs. Elle emporte le procès. Cette affaire va bouleverser toute sa vie. Elle et sa famille intègrent le mouvement IRA et participent depuis, à tous ses combats. Quelques mois plus tard, c’est l’autodafé de Riadh (département de Nouakchott appelé aussi PK) et l’incinération des livres de référence islamiques en Mauritanie.
Ghamou, un symbole pour les droits humains
Ghamou Mint Achour s’est forgée un nom au fil des manifestations. Son courage devient le symbole de la lutte pour les droits humains au sein du mouvement IRA. Elle gagne des galons dans la hiérarchie des combattants de la liberté. C’est surtout cette image virale d’elle, le bras sous un plâtre qui en fera l’icône de la lutte IRA. Ghamou et sa sœur ont eu en effet les bras cassés suite à une charge violente des forces de police lors d’une manifestation.
Ghamou et les ambitions d’une Mauritanie réconciliée
Ghamou estime que le peuple mauritanien aspire à être dirigé par un gouvernement civil et républicain. « Ce changement-là, c’est l’objectif de notre mouvement. Nous œuvrons pour l’égalité entre les Mauritaniens, que tous les enfants puissent jouir des mêmes opportunités d’études et qu’ils puissent également accéder à des emplois d’une manière équitable. Nous luttons pour l’égalité et la justice pour que tous les citoyens mauritaniens soient soumis aux mêmes règles de droit », explique-t-elle.
A propos de la trêve entre Biram et Ghazouani
Suite à la forte campagne menée contre Biram Dah Abeid, après le deal qu’il aurait passé avec Ghazouani et qui a provoqué le départ de plusieurs cadres du mouvement IRA, Ghamou assène sans ambages : « ils ont menti ».
Selon elle, la plupart des départs a été suscité par les Renseignements Généraux (RG) à travers le pouvoir de la corruption et l’appât du gain. « Ce qui s’est passé, souligne-t-elle, c’est un apaisement voulu par le président Ghazouani qui a invité Biram, et d’autres leaders de l’opposition, à discuter des problèmes du pays pour leur trouver des solutions ».
Cette négociation ne s’est pas faite sous la table, d’après Ghamou, qui ajoute que Biram a été très transparent dans sa démarche. Elle précise qu’il a consulté tous les militants du mouvement IRA et du parti Refondation pour une Action Globale (RAG) en gestation, pour leur demander leur avis sur cette trêve souhaitée par le régime de Ghazouani qui venait d’être élu suite à la présidentielle de 2019.
Ce que Ghazouani a mis sur la table, avance Ghamou, personne ne pouvait être contre, améliorer les conditions de vie des populations, engager de grandes réformes de développement, lever l’interdiction contre la reconnaissance des associations et des partis politiques.
Elle explique que malgré tout, Ghazouani a son projet de société comme Biram a le sien, en plus de ses ambitions présidentielles. Selon elle, ils ne pouvaient converger que dans le cadre d’une vision basée sur la justice, l’équité et l’égalité entre tous les Mauritaniens, sur la jouissance des droits fondamentaux, la fin des emprisonnements abusifs, entre autres. « C’est sur cette base que Biram, comme d’ailleurs tous les leaders de l’opposition, se sont entendus avec Ghazouani. » ajoute-t-elle précisant que cela ne doit pas être avancé comme raison pour quitter le mouvement IRA. « Nous ne sommes pas dupes et nous savons les raisons de tant de dissidence » susurre-t-elle.
Membre de la Commission Affaires Islamiques
Au sein du Parlement, Ghamou est membre de la commission des affaires islamiques où elle compte jouer un rôle par rapport à tous les avis qui seront portés sur les textes de loi qui passeront devant cette commission. Elle s’engage ainsi à faire ressusciter tous ces projets de loi qui dorment dans les tiroirs, à contribuer à la réforme du système éducatif et de santé, ainsi qu’à consolider la place de la société civile.
Cheikh Aïdara