Le Calame : Les mauritaniens viennent d’élire leurs conseils municipaux, régionaux et leurs représentants au Parlement. Quels enseignements avez-vous tirés de ce triple scrutin ?
Khalilou Dedde : Avant tout, je vous remercie pour l’occasion que vous m’offrez pour commenter les résultats des élections du 13 mai.
Pour qu’il y’ait élections dignes de ce nom, il faudrait impérativement accréditer un certain nombre de préalables dont la transparence, la liberté et l’équité, principes fondateurs qui ont fait malheureusement défaut, de mon point de vue, au simulacre du triple scrutin du 13 mai. Oui, une nouvelle assemblée, de nouveaux conseils municipaux et régionaux sont en train de s’installer, mais la question qui mériterait d’être posée est surtout par quel mécanisme ceux qui s’y placeront ont-ils été élus ?
Les enseignements que je tire de ce semblant de scrutin sont que les institutions en charge de l’organisation des élections sont bancales, que la classe politique nationale ne joue pas suffisamment son rôle de lutte pour préserver les acquis démocratiques dans le pays, que l’Etat laisse sévir le tribalisme qui constitue un obstacle structurel à l’éveil citoyen, que la crise sociale est si profonde au point de livrer de larges composantes sociales à la tentation de monnayer leur droit au vote, que la problématique du système électoral dans le pays reste posée tant que les acteurs concernés n’ont pas conçu un modèle, en la matière, et l’ont mis en œuvre de façon consensuelle.
-Votre parti, l’UFP sera absent de la prochaine Assemblée Nationale. Comment ce grand parti de l’opposition dite « traditionnelle » n’a pas pu faire élire même pas ses tête de listes nationales? La fraude que l’opposition a dénoncée justifierait-elle, à elle seule ce résultat catastrophique ?
-Ce que je peux appeler un véritable tsunami électoral dans le pays n’a épargné que ceux qui l’ont provoqué, il a, néanmoins, contribué à unir la majorité des 25 partis politiques reconnus par le Ministère de l’intérieur et de la décentralisation sur le fait que ses résultats ne sont pas crédibles du fait de la pagaille généralisée qui a caractérisé les conditions du vote. Grand parti politique dont le rôle dans la vie nationale est historique, l’UFP sera absente dans la nouvelle Assemblée ! C’est l’une des grandes énigmes de ce qui s’est passé le 13 mai. Ces résultats inimaginables ne s’expliquent pas seulement par la fraude mais, en plus, par des causes internes(manque de moyens notamment) et d’autres liées aux circonstances de la compétition marquées par l’achat des consciences, le populisme et l’instrumentalisation des considérations identitaires, comportements strictement étrangers au logiciel de cette formation qui reste attachée à l’unité du peuple et aux discours qui visent la prise de conscience des masses de leurs droits et des intérêts nationaux. Dans une telle course vers l’abîme à terme, un parti comme le nôtre est nécessairement mal classé.
- Pour bon nombre d’observateurs, le RFD, l’UFP et APP paient de leur « proximité » avec le pouvoir de Ghazwani. Ils auraient oublié leur rôle d’opposants au gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
-Je pense qu’une analyse sérieuse des résultats électoraux devrait être globale, multifactorielle et objective pour éviter les travers des démarches superficielles et réductrices. Au niveau factuel, je suis étonné d’entendre parler d’une quelconque proximité entre l’UFP et le pouvoir. Quels avantages avons-nous tirés de ce pouvoir ? Quel est le parti politique qui a défendu mieux que nous les droits des populations et dénoncé plus que nous les mauvaises politiques du pouvoir ? N’était-il pas plus logique pour les électeurs, mécontents des politiques du pouvoir, de sanctionner son parti qui a visiblement contrôlé plus de 80% des sièges au parlement, au lieu de s’attaquer à l’UFP, au RFD et APP qui ne sont pas aux affaires ? Comment expliquer les résultats inattendus de certains partis de la mouvance présidentielle, pourtant jusqu’ici absents de la scène politique ? Compte tenu des résultats, globalement médiocres, obtenus par l’opposition, il me semble que la proximité du pouvoir a plutôt aidé au lieu de défavoriser. Comme vous l’avez dit, il est possible que certains observateurs aient eu une interprétation erronée de la politique de large entente nationale que propose l’UFP pour faire face aux graves dangers internes et externes qui pèsent sur le pays, dans le seul but de d’anticiper sa stabilité et son intégrité par des réformes importantes et progressives. La recherche d’un dialogue national inclusif, à la place des confrontations sans lendemain, servait cette option. A côté, les tenants de l’immobilisme et des stratégies aventuristes, auraient probablement contribué à brouiller les cartes.
-En acceptant la proportionnelle pour les municipales, l’opposition ne s’est-elle pas trompée, comme quand elle a couru pour participer aux concertations avec le ministère de l’intérieur ?
-Non, en défendant le scrutin proportionnel, l’opposition voulait garantir le maximum de représentativité dans les conseils élus, ce qui est plus démocratique et favorise les contre-pouvoirs utiles contre les risques d’hégémonie. Elle avait donc raison d’accepter la proportionnelle et de participer aux concertations avec le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation. En agissant ainsi, elle a obtenu des accords permettant d’améliorer la transparence du système électoral. En revanche, ce qu’on peut lui reprocher, c’est son incapacité à rester unie et combative afin de préserver ses acquis à tous les niveaux du processus. A sa décharge, il faut noter que ses partenaires ne respectent pas toujours leurs engagements à son égard, la mettant souvent devant le fait accompli.
-Au lendemain des élections, l’opposition a dénoncé une « mascarade » et exigé l’annulation des résultats – elle est quand même allée au 2e tour des législatives. Récemment, elle a exigé la dissolution de la CENI. Quelle chance ces exigences ont-elles de trouver une oreille attentive du côté du pouvoir ?
-La dénonciation du caractère frauduleux des dernières élections n’a pas été faite que par l’opposition, ce fut un constat établi par une large opinion nationale comprenant des secteurs non négligeables de la majorité. En conséquence, la demande de reprise intégrale des élections, sur des bases consensuelles, relève de la volonté de rétablir la confiance entre les acteurs politiques, sans distinction, et de remettre le processus électoral sur la bonne voie après la dérive fatale du 13 mai. Il est vrai qu’il y’a eu trébuchement et un manque de cohérence entre le slogan politique scandé et le comportement sur le terrain ; cela incombe généralement à la pression des contraintes et des intérêts partisans locaux. J’espère que l’opposition va en tirer les leçons.
Cette crise électorale a été longuement discutée au niveau du fameux comité de suivi, les autorités du Ministère de l’intérieur et de la Décentralisation ont pris note et ont donné l’engagement d’en informer leurs supérieurs avant de revenir aux partis politiques. A ma connaissance, les partis politiques restent encore sur leur faim. Jusqu’à quand ? Je ne sais pas, mais j’ose espérer que le pouvoir prenne la mesure des défis qui s’accumulent et accepte d’aller dans le sens des compromis pour sauver l’avenir du pays.
Dans leurs entreprises frauduleuses, les bureaux de vote n’ont pas remis aux représentants des listes les procès-verbaux, l’enquête sur la fraude informatique n’a pu se faire, l’efficacité des machines antidote au vote anormal était un leurre, les faits de corruption massive étaient manifestes et impunis. Toutes ces carences n’ont pas permis à l’opposition, dans les délais légaux, d’introduire un recours ayant des chances de mordre. Vous avez certainement appris le rejet par le conseil constitutionnel du recours introduit, malgré tout. Le cadre de règlement de cette crise restera politique, comme par le passé.
-L’opposition est allé aux élections très divisée, elle en a certainement payé le prix. Pensez-vous qu’après son meeting unitaire réussi, elle pourrait retrouver son unité avant la présidentielle ?
-La très mauvaise organisation des dernières élections a poussé l’opposition à s’unir pour préserver les acquis démocratiques dans le pays, menacés par les forces qui sabotent les élections qu’elles considèrent comme un simple moyen de satisfaire des besoins bassement matériels. Cette unité se construit autour du combat pour la reprise des élections, il n’est pas exclu qu’elle s’étende au-delà si ces différentes composantes arrivent à s’entendre sur un autre programme dans l’intérêt du pays.
- Quelle est votre réaction par rapport à la mort des jeunes Oumar Diop à Nouakchott et Mohamed Lemine à Boghé et la réaction des autorités mauritaniennes?
-La mort de ces deux jeunes m’afflige quelle qu’en soit la cause. Qu’elle suscite de l’indignation et des protestations pacifiques, c’est normal mais sans jamais déborder sur des actions violentes de vandalisme qui nuiraient à la paix civile. Les autorités doivent davantage rassurer en termes de transparence, de compassion, de justice et de prévention des problèmes sécuritaires.
-Au lendemain des meurtres précités, on assiste à une sorte de campagne pour la promotion de l’unité nationale. Que vous inspire ces sorties du pouvoir ?
- J’avoue que je n’ai pas suivi toutes ces sorties du pouvoir mais je trouve que la question de l’unité nationale est si centrale pour toutes nos populations qu’elle doit être traitée avec tous les égards ; pas comme un sujet conjoncturel abordé à des fins communicationnelles ou démagogiques mais une préoccupation de tous les jours et à tous les niveaux de la vie sociale dans le but d’instaurer durablement des liens d’acceptation, de fraternité et de solidarité entre nos citoyens des différentes composantes culturelles.
Je vous remercie.
Propos recueillis par Dalay Lam