Le Calame : Commençons si vous le voulez bien par cette question d’actualité tragique : --Apres avoir été arrêté et conduit au commissariat de Sebkha Oumar H Diop y décède, dans la nuit du 29 mai, suite semble-t-il à des tortures. Ce meurtre intervient quatre mois après celui de SOUVI Cheibany .. Que vous inspirent ces meurtres ?
M. Samba Thiam: Je suis tout simplement sidéré. Comme si nous voulions copier la police des USA ! Deux meurtres déjà sous le Président Ghazouani, en quelques mois ! Quelle différence entre ce que nous vivons et ce qu’Israël fait subir aux Palestiniens ? Politique d’occupation, exécutions régulières, limitation dans les déplacements en zones Sud, exclusion ...Et Lorsqu’on parle d’Apartheid, certains hommes politiques hypocrites s’offusquent ! Le développement séparé –sens de l’Apartheid -est encore mieux pour nous aujourd’hui , car lui au moins a l’avantage d’être institué ou déclaré ! Mais le plus écœurant dans tout ça c’est l’indignité d’une partie de notre peuple. On tue vos enfants et vous votez INSAF …en majorité ! Un fils de M’bagne tombe mais M’bagne, vote quand même pour Insaf,.. Comme avec Abass !
Je termine en exprimant ma profonde compassion à la famille éplorée souhaite que la mort de jeune ne soit pas vaine. Il est mort, mais le combat continue.
-Les partis de l’opposition démocratique ont dénoncé, à travers un grand meeting, les résultats du 1er tour des élections locales du 13 mai dernier. Dans la foulée, ils réclament la reprise des élections. Pensez-vous que ce meeting a été un succès ?
-Je n’ai pas été à ce meeting pour n’y avoir pas été invité. Je ne puis donc en juger, pour vous dire s’il a été un succès ou un échec dans son organisation ou dans ses objectifs ; j’ai oui dire qu’une rencontre se tenait à la CENI de laquelle rien n’est encore sorti que je sache, du moins pour l’instant ...Visiblement la CENI semble continuer son chemin … Quant au contenu des dénonciations rapportées du meeting, j’y souscris entièrement ; même si je remarque, curieusement, que cette Opposition passe sous silence, et toujours, le caractère mono-ethnique, frappant, de l’encadrement des bureaux de vote à Nouakchott, et peut-être ailleurs. Ce manquement est aussi grave, sinon plus grave que tous les autres manquements pour faire fi de notre diversité. Ould Maouloud souligne quantité d’insuffisances et de manquements liés à ces élections sauf celui-là ; et il n’est pas le seul ! Comme pour valider, implicitement, un ordre ou cette politique funeste de discrimination ethnique, disons de négation des uns, du président Ghazouani. Ces meetings et conférences de presse, tenus récemment, qui ne s’adressaient qu’aux hassanophones, au mépris de notre diversité culturelle et linguistique, ne font pas mieux…
-Face à ce que l’opposition considère comme le début d’une crise électorale, laquelle pourrait générer une crise politique, une rencontre a réuni les partis de l’opposition, la CENI et le ministère de l’intérieur. L’objectif est de trouver un compromis autour du différend électoral. Y croyez-vous ? La coalition CVE-CVE/VR dont vous êtes membre pense-t-elle que le pouvoir et la CENI accepteraient l’annulation des résultats, ne serait-ce qu'à Nouakchott et à Boutilimit, comme réclamé par l’opposition ? En cas de refus, que doit-elle faire ?
- Si je crois que cette rencontre aboutira à un compromis, me demandez –vous ? j’ose l’espérer sans trop y croire toutefois, au vu d’un constat amer qui est celui-là : le président Ghazouani, depuis son installation, comme par magie, tient doucement par la main un pan entier de l’opposition. Groupe qui se sent, semble- t-il, un peu trahi dans son allégeance, tacite, avec ces élections. Si ce groupe se reprenait et que l’opposition se ressaisisse et décide, résolument, de jouer pleinement son rôle, alors on pourrait y croire. Mais une Opposition qui n’a pas été capable de s’entendre sur le principe élémentaire d’une CENI indépendante, que peut-on en espérer ? Restons malgré tout optimiste et ne remuons pas trop le couteau dans la plaie. Si donc cette opposition revenait à la raison et faisait bloc tout devient possible. La difficulté de la chose - et cela le Pouvoir ne le comprend que très bien- réside, hélas, dans cette confiance, érodée, sans compter des intérêts qui divergent. Comment, sous la pression du temps et des humeurs, colmater tout ça en perspective de la présidentielle toute proche ? C’est toute la question !
-Quelques 48 heures avant la tenue du meeting de l’opposition, le député Biram Dah Abeid a été arrêté par la police puis libéré, le lendemain. On l’accuse d’avoir incité à la violence, au cours d’une conférence de presse. Qu’avez-vous pensé de cette arrestation ?
-Biram est un opposant politique que je respecte et pour lequel j’ai beaucoup de considération .Et il le sait. C’est une lapalissade que de dire que nous appartenons, tous deux, au camp des opprimés ...Je ne puis donc, ne serait-ce qu’à ce titre, ne pas m’ériger contre son arrestation ; même si la forme du propos prêtait à réserve. La colère, disait un psychologue, est un moment de folie. En effet, on sentait sourdre dans sa sortie beaucoup de colère, légitime disons-le, de la révolte, engendrée, je crois, par des attentes déçues, de la frustration, signant la fin d’un amour de circonstance fabriqué et savamment calculé. Par ailleurs, vous le savez, je suis opposé à tout arbitraire, d’où qu’il vienne ; or cette arrestation relève de l’arbitraire. Tout comme celle de Mohamed Delhahi qui, pour l’heure, est injustement soumis au contrôle judiciaire.
-Vous n’avez donc pas été élu député, comme vous et vos soutiens espériez. Dans l’un des audios que vous avez fait circuler au lendemain du scrutin, vous avez déclaré que vous ne vous faisiez pas d’illusions. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Je dois d’abord vous faire remarquer que je n’ai pu, à la fois, espérer et être sans illusions, comme vous semblez le poser .. Soit j’espérais être élu , soit je ne me faisais pas d’illusions. La vérité, comme je l’ai exprimé dans l’audio en question, est que je ne me faisais, effectivement, pas d’illusions sur l’issue du scrutin ; pour différentes raisons. Mais avant d’entrer dans leur énumération, j’aimerais redire que j’ai été candidat par la force des choses ; ça dit ce que ça dit ,décodez …
l’Ajd, que je remercie au passage, nous a donné l’opportunité de participer à ces élections. Il allait se saisir de cette opportunité, malgré toutes ses limites.
Le choix de la voie politique, à la différence de l’autre voie, implique, pour un parti politique, d’aller aux élections, de compétir pour la conquête du pouvoir ou d’une parcelle de pouvoir. Même si les conditions optimales ne sont pas réunies. Et elles le sont rarement en Afrique. Approche discutable, dira-t-on ; je le reconnais. Boycott ou participation, ce sont là des options sujettes à controverse, avec chacune des partisans, avec chacune sa vérité, insaisissable, à l’image des kérygmes.
Maintenant pour revenir aux raisons que je ramasserai, je nommerai en premier l’hostilité marquée du pouvoir à l’endroit des FPC et de leur Président, que traduit une peur bleue à nous offrir cette reconnaissance légale qui nous permettrait d’approcher librement des populations, intoxiquées par des années de campagne de diabolisation qui ne nous lâche pas. Le contentieux qui oppose les FPC au gouvernement, oublié par la cour Suprême voilà huit longues années, puis mon dossier administratif personnel, le seul à rester pendant pour les anciens prisonniers politiques de Walata -, sont là pour le prouver. S’y ajoute l’espace réduit de Nouakchott-Ouest, doublé d’un électorat ayant subi des ponctions pour les besoins de soutien à nos candidats de l’intérieur. Je crois, sans trop ‘’surfer’’ sur l’égo, que je pèse quand même un peu plus que le poids des chiffres que l’on m’octroie. Sans fausse modestie. Vous allez sûrement objecter que cette contrainte ou ces conditions frappaient aussi les autres candidats pour Nouakchott - Ouest ! J’en conviens. Autre raison - pour vous aider - qui s’imposa à tous, l’Administration qui mobilisa ses ressources humaines, matérielles et financières au profit du parti au pouvoir. Je n’ai pas cité les intimidations, le trafic d’influence, l’achat des consciences maintenant banalisé et le bourrage des urnes, bien entendu !
Enfin, - et c’est le plus important- ne perdez surtout pas de vue que la CENI - prolongement du ministère de l’intérieur - ayant emporté les procès verbaux refusés aux représentants des partis comme le prévoit la loi, avait procédé, toute seule, au dépouillement, comme bon lui semblait …L’on devine alors aisément sur qui se porterait son choix dans le lot des candidats en lice. Qui parmi nous à Nouakchott -Ouest, pensez-vous, constitue pour ces gens-là le mouton noir du groupe ? Il n’est pas besoin d’être devin pour le savoir. C’est donc tout cela qui m’amena à dire que je ne me faisais pas d’illusions. Mais demain il fera jour, inexorablement.
-Quels enseignements vous tirez de ces élections locales ? Partagez-vous le sentiment de ceux qui disent que les élections ne règlent pas les problèmes pour lesquels vous vous battez ?
-Ces élections enseignent que nous sommes toujours dans une république bananière. Aujourd’hui plus qu’avant. Que ces régimes militaires, masqués, ne nous feront jamais entrer dans l’ère démocratique, sans résistance, âpre, de notre part. Oui, je partage ce point de vue ; tant que ce sont des militaires, déguisés, qui sont au pouvoir le changement n’est pas pour demain. Telle est ma conviction intime. Dire donc, comme le prétendent certains, que des élections sous des régimes militaires n’apporteront pas le changement escompté n’est pas faux…
Au titre d’une évaluation globale, je puis dire, sans exagération aucune, que les candidats de l’opposition en général et des FPC en particulier n’ont pas démérité…Malgré la force d’une machine de guerre rôdée à la fraude, massive, qui nous était opposée. Nous avons tenu bon, à l’intérieur comme à l’extérieur, en dépit d’un rapport de force inégal. Nous avons été, ici ou là, toujours face au parti au pouvoir ou à son autre versant … Experts en duperie, les tenants du Système tentent, à nouveau, de mystifier, l’opinion nationale et internationale par l’organisation d’un second tour avec un semblant de transparence … De qui se moque-t-on ?
-Lors d’un point de presse que vous avez tenu au lendemain du scrutin du 13 mai, on a noté la présence du président de IRA, M. BiramDahAbeid. Comment avez-vous accueilli cette présence ? Les victimes du «système » pourraient-elles se retrouver sous peu ?
Mais toujours avec plaisir, naturellement. Il dit venir nous témoigner sa solidarité et sa compassion ; ça ne se refuse pas. Nous ne pouvions que nous en réjouir…Que les victimes du Système se retrouvent, dites-vous, c’est souhaitable et même urgent et vital pour ces victimes-là. Mais cette alliance, si elle devait renaître, devra éviter les embûches du passé, se bâtir sur la franchise, la confiance sincère entre partenaires, la constance dans la résistance aux chants des sirènes et aux appâts de toutes sortes. Elle devra, enfin, reposer sur une plateforme minimale, requise. Pour ma part, j’ai toujours milité et souscris à ce que disait cet homme politique : ‘’ la lutte en ordre dispersé n’a pas d’autre effet que la défaite pour tous ’’.
- Quelles sont les perspectives d’avenir de la coalition CVE-CVE/VR ? Pourrait-elle s’allier avec le reste de l’opposition démocratique pour une candidature unique à la prochaine présidentielle ?
- Il faut espérer que cette Coalition se poursuive, pour la raison (citation) que j’évoquais plus haut. Raison de bon sens. Concernant la question de candidature unique de l’opposition, elle n’a pas été encore discutée en notre sein …Mais, personnellement, je pense que les enjeux du moment le demandent, même si…
Je ne sais si, à travers vos colonnes, je puis exprimer toute ma reconnaissance à tous ceux-là qui se sont investis, à leur manière, dans cette campagne, en notre faveur .. A mes amis et parentèle, à tous ces sympathisants du parti, j’exprime toute ma gratitude. Aux militants des FPC, enfin, que je félicite vivement, je dis merci, au nom de tous nos candidats du parti qui n’ont pas démérité.
Demain il fera jour. Il faut y croire.
Propos recueillis par Dalay Lam