Affaire de la décennie : Quand un procès révèle l’inimaginable (I) Mohamed Chighali-Journaliste indépendant

24 May, 2023 - 17:18

On peut dire maintenant que le procès dit « de la Décennie »se déroule comme n’importe quel autre : une salle d’audience, un président, des assesseurs, un ministère public, des accusés, des témoins, des avocats pour les deux parties (civile et défense) et un public. Tous les « ingrédients » d’un tribunal sont donc réunis mais c’est pour un procès… pas comme les autres. Un procès qui appelle à la barre des accusés un ex-chef d’État mauritanien pas comme les autres. Un chef d’État auto forgé avec la complicité de politiques puissants (toujours les mêmes), imperturbables, sans attaches réelles ni amis véritables, des hommes capables de faire et défaire les chefs d’État – y compris les plus puissants – rien que pour leurs propres intérêts.

Pas comme les autres, ce chef d’État, puisqu’il arriva au pouvoir par effraction politique et morale, soutenu par des officiers supérieurs dont certains furent corrompus par des élévations au grade de général pour calmer un jeu qui pouvait dégénérer en conflit armé entre corps constitués. Pas comme les autres, ce procès préalablement cuisiné par une enquête parlementaire de complaisance se faufilant entre coupables réels et supposés comme une anguille, rallongée par des investigations d’une police judiciaire beaucoup plus encline à des arrangements à l’amiable et autres« coopérations » avec certains accusés qu’à une enquête de fond, jusqu’à ce que les  « hommes du Président » – de tous les présidents qui se sont succédés et même celui qu’on juge actuellement – en arrivent à leur fin : La « bête  noire » Ould Abdel Aziz jetée en cage.

 

Défilé « d’intouchables » pour des témoignages qui les accablent

Pour beaucoup, il est certes évident qu’Ould Abdel Aziz n’est pas un président comme ceux qui l’ont précédé. Le premier d’entre eux et père de la Nation, Moctar ould Daddah, mourut en France, ne laissant à ses enfants qu’une maison en ruines, construite sur ses fonds propres et des prêts bancaires.

Moustapha ould Mohamed Saleck laissa derrière lui une veuve, El Yakheïr, sage-femme qui vit de sa pension de retraitée. Ould Ahmed Louly disparut, n’abandonnant que le tapis de prières qui lui tenait d’inséparable compagnon dans ses méditations spirituelles à la grande mosquée de la capitale. S’il décidait de rentrer au pays, Maaouiya ould Sid’Ahmed Taya aurait à chercher où dormir. Il a quitté le pouvoir pauvre et pauvre il est resté. Mohamed Khouna ould Haïdalla et Sidi ould Cheikh Abdallahi entrèrent au Palais les mains vides et en sortirent de même, voire peut-être endettés.

Mais Mohamed ould Abdel Aziz, c’est une histoire de faits divers. Après avoir quitté le pouvoir immensément riche, le voilà aujourd’hui empêtré en d’énormes difficultés qui le mettent en conflit avec la loi, le fragilisent sous la menace de sanctions judiciaires mais, aussi et surtout, le « dénudent » complètement. Pourtant, malgré tout ce qui s’est passé dans la traque du « fauve » et ce qui se passe encore aujourd’hui pour justifier sa condamnation, le défilé de témoins triés – mais pas sur le volet – est entrain de donner raison à l’ex-Président qui s’est toujours dit victime d’un procès ne ciblant que sa propre personne.

Si l’on examine de plus près les témoignages de diverses personnes appelées à la barre, une autre évidence apparaît : même si son ombre plane sur nombre d’affaires, Ould Abdel Aziz n’est pas – en tous cas, du point de vue légal – responsable de plusieurs faits pour lesquels on lui demande maintenant des comptes. Quand, par exemple, Hassena ould Ely donne son accord pour des avantages injustifiés ou indus à un fonctionnaire de la SNIM – parce que ce fonctionnaire est ce qu’il est – on ne peut pas tenir Ould Abdel Aziz responsable des conséquences d’une décision prise par l’ADG de ladite société, décision prise pour s’éviter un coup de pied dans… la fonction.

Si ce même Hassena ould Ely avait, en 2013, consciemment accepté de jouer à l’homme de paille, en tant que président du conseil d’administration de la fictive Société mauritanienne pour le développement et la coopération – une arnaque dans sa forme la plus classique – ce n’est quand même pas de la faute d’Ould Abdel Aziz, même si ce fut bel bien celui-ci le moteur de cette frauduleuse affaire.

Dans l’amputation d’une partie de l’École Nationale de Police, si le général Ahmed ould Bécrine accepta de jouer au « topographe de Dar-Naïm » pour borner l’espace à libérer, ce n’est pas Ould Abdel Aziz qui a commis le délit que le tribunal veut réprimer : celui qui doit rendre des comptes, c’est bien le général qui donna des ordres ne relevant ni de ses prérogatives ni de ses compétences.

Considérons d’autre part le témoignage de l’homme d’affaires Ould Daddah. Mohcenould El Hadj l’avait mis en garde, affirme-t-il, de ne plus fourrer son nez dans la ligne à haute tension que les hindous négociaient avec la SOMELEC par l’intermédiaire de proches d’Ould Abdel Aziz. Mais ce qui a été dit par Mohcen – s’il l’a dit – n’engage que celui-ci, pas Ould Abdel Aziz. Même à supposer que l’ex-Président ait demandé à son ancien ami de faire peur à l’homme d’affaires, cela reste à prouver.

Par ailleurs lorsque Mouhyi Eddine ould Ahmed Saleck (dit Sahraoui) déclare avoir englouti quatre cents millions de dollars – ce qui reste également à prouver – dans la construction du nouvel aéroport international de Nouakchott et affirme avoir subi d’importantes pertes du fait de la concurrence de l’État au moment où débuta la vente des terrains de l’ancien aéroport, ce témoin prend les Mauritaniens pour des imbéciles. Carses propos ne sont que diversions.

La question que se posent les Mauritaniens et à laquelle il devrait répondre, ce n’est pas de savoir s’il a gagné ou perdu dans la vente de lots de l’immense ancien aéroport. Les Mauritaniens s’en foutent. Ce qu’ils veulent savoir, c’est pourquoi Mouhyi Eddine ould Ahmed Saleck et Mohamed ould Abdel Aziz ont joué, en toute complicité, aux commerçants des marchés hebdomadaires de Kervi, Fassala Néré ou Modbouguou, en troquant la construction d’un aéroport international dit de « dernière génération » contre un patrimoine foncier, dans un deal de gré-à-gré entre ces deux hommes que des affaires en tout genre ont fortement unis durant toute une décennie. Là est la vraie question.

(À suivre).