Les aventures de M. Bulletin 13 Mai /Rachid LY

24 May, 2023 - 17:13

Je m’appelle Bulletin 13 Mai, citoyen mauritanien, résidant à Nouakchott à côté du Restaurant « Safii Dey », non-candidat aux élections générales du 13 Mai 2023, fervent électeur indépendant, passe-muraille et être iconoclaste capable de voir sans être vu, sous la lumière et dans le noir, et pouvant se trouver à des endroits différents au même moment.

Dans un pays où les hommes politiques – grands sauriens à la face de rat – ont fait de la duplicité une valeur et la tromperie une stratégie, mes qualités – rares – sont un atout pour déjouer les pièges et rendre la monnaie de leur pièce à ceux qui estiment pouvoir rouler dans la farine les « voteurs » (dont certains, prompts à manger à tous les râteliers, s’apparentent aussi à des vautours)…

Alors que les derniers lampions de la campagne électorale s’étaient éteints et que la « Scène-i » avait assuré que « tout était prêt pour une élection libre et transparente », j’étais partagé : dois-je donner ma voix à « La Vache » (pour une question de « Yaadu e bannde en »), au « Cheval Noir cabré »parce qu’il y a là-bas les charmantes et incorruptibles Coumba Dadaa et Kadiata, au « Tamaroowi » (Nakhla-Le-Palmier) ou tout simplement à « Insaf-La Balance » (fille illégitime de l’UPR(DS), elle-même rejeton de l’innommable « Hizb-el-Joumhour ») ? Dois-je accorder mon vote à l’un des autres partis que mon ami Wooroo Ndaw Haala appelle, avec dédain, « Hoore woddaani daande » (autrement dit, « les partis Koullou chi miyyé ») ?

 

 

‘’Postiers électoraux’’

 

Eh oui, j’étais aussi assailli par le pessimisme entretenu par l’habituelle rengaine « A quoi bon voter ? Puisque le vainqueur est déjà connu » ? Mais là, je m’étais rassuré (un peu quand même) qu’il ne s’agit point d’une science certaine, puisque la dernière Coupe du Monde nous avait montré que l’idée que « le foot se joue à 22, mais c’est toujours l’Allemagne qui gagne » était bien fausse, Thomas Müller et ses copains ayant été virés de la compétition au premier tour… Tour pour tour donc, pourquoi une telle mésaventure n’arriverait-elle pas au parti au pouvoir et ses « jogopade en » ?

… La veille du grand jour, les représentants des partis « Wallee wada » sont venus à la maison, les mains vides et les dents en avant – comme d’habitude. Ces gens parlent bien ; et ils savent surtout parler mal du « Laamu nguu » (« Al houkouma », en arabe académique). Pour eux, c’est à cause du « Laamu nguu » que le poisson « yabooy » a déserté nos côtes, que Moussa n’a pas eu des papiers, que le champ de Hamadya été exproprié au profit de la société VALABA-SA, que « beaucoup de nos enfants », au lieu d’aller à l’école, préfèrent faire du Rap à l’image du Groupe « Mburu foff ko fariñ » qui, en plus de raper, dérape le plus souvent.

Après ces gens, une délégation composée de 2 individus et d’une chèvre est venue. Leur discours était qu’ils luttaient pour que désormais « Elo inaa waawa resde gundo » et que « Gundo resa Elo » ; ils prônaient, si j’ai bien compris, la démocratie de « Kummba liingel suddaama / poddanee Yerohoddaandu… ».

Enfin, alors que la famille était endormie, « les gens du Laamu » ont débarqué. Comme à leur habitude, et habitués à faire tout dans le noir, ils étaient venus avec des enveloppes. Ces «postiers électoraux » n’avaient pas grand-chose à dire : ils avaient tellement raconté les mêmes histoires que maintenant leurs propres bouches avaient honte de s’ouvrir devant les honnêtes gens. Après avoir déposé une enveloppe, ils prirent congé, non sans marmonner dans leur glabre menton : « Hééé !! Cette fois-ci, ne faites pas comme la dernière fois : vous aviez mangé notre argent mais voté pour ‘jom laafa’ (L’homme-à-la-chéchia)… ».

Le jour s’était levé. D’un pas ferme, je m’étais dirigé vers le centre de vote où des individus, tenant des spécimens de bulletins entre les mains, proposaient leurs services aux électeurs. A croire que la campagne électorale n’était pas terminée. Des files d’attente s’étaient déjà formées devant les bureaux de vote où quelques soldats armés mâtaient les électeurs d’un œil parfois circonspect, parfois torve. A l’intérieur, les membres du bureau et les représentants des candidats (sagement assis sur des bancs le long du mur, comme des écoliers) supervisaient les opérations.

 

 

Simulacre d’élections 

 

Quand on me remit une brassée de bulletins (6 pour être précis), j’eus l’impression d’avoir entre les mains de la paille à donner à des moutons et, une fois dans l’isoloir, je m’embrouillais, ayant de la peine à différencier « La Vache », « Le Cheval Noir cabré », « L’Antilope bondissante » et « Le Chameau ». Il y avait là aussi, le « Palmier » vert qu’on pouvait confondre facilement avec le «Minaret» de la même couleur. Heureusement qu’aucun parti n’avait eu la géniale idée de prendre comme « totem » un « Ane », un « Bouc » ou un « Crocodile ».

Je sortais, en sueur, de l’isoloir et plaignais ma vieille cousine Sippa dont la grand-mère, disait-on, qui avait succombé au discours des militants prônant l’indépendance au début des années 1960, avait fini sa vie en soupirant : « Dites-donc, quand est-ce que l’indépendance va se terminer ? »…

La nuit tombée, place au décompte des voix. Les oreilles étaient tendues vers le centre de vote d’où, habituellement, les résultats étaient annoncés 2 heures après la fermeture des bureaux. Mais cette fois, l’attente était longue… 23 h, minuit, 2 h… toujours rien. Le lendemain matin, encore rien.

Vers 15 heures, une clameur s’était répandue : « Laa hawla laaquwwat illaa billaahi ! Ils ont encore gagné ! Ils ont encore volé !! ».

Pour ma part, après le crépuscule, je m’étais rendu à côté du centre de vote. Camouflée sous un « gijili » touffu, une urne sanglotait : « Maudite soit cette Scène-ni… Non contente de laisser les politiciens bourrer le mou du peuple, la Scène-ninous bourre jusqu’à la gueule, comme nos consœurs de Kobeni en 1992. Snif ! Snif ! ».

Je m’étais éloigné très rapidement de ces lieux hantés (Koboni n’étant pas très loin de Koumbi-Saleh où le Serpent Wagadu-Bida imposait ses desideratas aux souverains du Ghana), m’imaginant les complaintes de la « Moua’arada » dans un gigantesque meeting : « Nous n’accepterons jamais cette pantalonnade, ce simulacre d’élections… Nous demandons l’annulation pure et simple de cette élection », avant que les forces de l’ordre, harnachées de cuir et de fer, n’interviennent à grand renfort de matraques et de gaz lacrymogène.

Et s’ensuit, comme d’habitude : « Krip krip, mrap mrap, mukke njaawondiri… ». Merci Athia Wélé.