La démocratie est une forme de gouvernement où le peuple exerce son pouvoir par le biais d’élections libres et transparentes. C’est un système politique où tous les citoyens sont égaux devant la loi et devant les possibilités qu’offre l’État. La démocratie n’est cependant pas une panacée pour les pays du Tiers-monde variablement soutenus par les responsables occidentaux mais une lourde manœuvre économique et sociale que certains ne peuvent entreprendre.
En Afrique, après l’hégémonie, durant les années 60 et 70, du parti unique, appelé communément parti-État, balayé en suivant par les coups d’État militaires, vinrent s’installer des modèles particuliers du « multipartisme à l’africaine », sur une toile de fond parfois tribale, ethnique et même confrérique. Notre pays n’a pas échappé à cette logique. Il est devenu un terrain fertile à une monstruosité socio-politique où règnent le népotisme, l’appropriation sans fondement juridique du bien public, l’allégeance aveugle et le mépris du peuple. Ce phénomène s’est puissamment développé durant un quart de siècle (de 1980 à 2005), développant le paradigme néfaste ancré dans la conscience collective d’une élite politique à la fois corrompue et ignorante.
Mauvaises coutumes
Les structures sociales ancestrales se sont consolidées en se fondant dans des partis politiques « légalisés » mais dépourvus, pour la plupart, d’un vrai projet de société, laissant apparaître des groupuscules extrémistes de tous bords uniquement attelés à faire et défaire alliance avec le pouvoir. Celui du président Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya enracina ainsi de mauvaises coutumes de gestion du peuple et de ses ressources. Elles perdurent malheureusement encore aujourd’hui. À la fin de son règne, la Mauritanie comptaitparmi les pays les plus pauvres du Monde avec un PIB d’à peine 300 $/habitant ! Malgré nos nombreuses richesses minières et halieutiques, le petit salarié n’arrivait pas à joindre les deux bouts, les pauvres s’appauvrissaient, tandis que les hommes d’affaires s’accaparaient la part du lion. Les hauts commis de l’État se livraient à une cueillette sans vergogne des biens publics pour se payer des villas somptueuses, des grosses cylindrées et des voyages touristiques à l’étranger.
Au cours de cette période, notre pays n’a cessé de se dégrader : aucune construction de grands projets nationaux, pas de ports, pas d’aéroports, pas de grandes routes, pas de réformes agraires, pas de matériels ni de ressources pour l’armée… Nous vivions au rythme du folklore des visitations marathoniennes du Président et de ses choix improvisés. Bref, c’était un despote non éclairé ! Une anecdote se répandit autemps de celui-ci selon laquelle « un notable introduit dans le bureau de Taya se plaignit de la déplorable situation de sa communauté. « Ne vous ai-je pas nommé tel ministre en mon gouvernement ? », lui rétorqua Maaouya, « À lui de s’occuper de la besogne ! » Une véritable incitation au détournement de l’argent public qui devint par la suite un leitmotiv de l’État.
Quant à la situation politique, elle s’améliora progressivement– en apparence – à partir de 1986, avec les élections municipales qui ont contribué à la décentralisation d’un pouvoir personnel et autoritaire. Le petit peuple s’orienta vers de nouveaux responsables administratifs, dépourvus cependant de moyens et d’expérience pour lui fournir de vraies solutions à ses nombreux problèmes.
La fameuse « décennie » du président Aziz qui gouverna en réalité la Mauritanie durant quatorze ans (d’Août 2005 à Août 2019) a fait couler beaucoup d’encre. Il sut sucer avec intelligence les mamelles du régime Taya qu’il avait côtoyé durant plusieurs années, appréhendant avec brio la psychologie d’un peuple naïf et docile et d’une élite corrompue au faciès variable. Quand un lion demeure dans la forêt avec les petits bestiaux, il se taille sans aucun souci sa part, dans une quiétude totale... Sur le plan économique, « la décennie de la gabegie », comme l’ont surnommée plusieurs intervenants du social politique, connut néanmoins plusieurs réalisations superficielles et improvisées : construction de quelques établissements scolaires, hôpitaux, routes, ainsi qu’un port et un aéroport… Mais la règle du « je retiens » l’emporta, dit-on, sur tous ces projets, selon le célèbreproverbe arabe : « son protecteur, c’est son voleur. » Hamiha, haramiha ! Au plan politique, notre pays vécut une relative atmosphère de liberté de presse et d’opinion, contribuant ainsi à une certaine stabilité nationale, malgré quelques secousses relatives aux amendements constitutionnels fondant les conseils régionaux et supprimant le Sénat.
Classe politique affairiste
Toute cette succession d’événements n’a pas altéré une classe politique enracinée dans le temps et l’espace. Elle est essentiellement constituée de chefs traditionnels, d’hommes d’affaires, d’anciens ministres et hauts gradés qui se partagent, bon an mal an, le fruit du labeur national, en s’appuyant sur un réservoir d’électeurs issu des grandes tribus et des adwabas. Cette élite politique vit en parfaite symbiose avec la majorité des chefs de partis et entretient la Mauritanie dans le sous-développement et le désespoir.
Homme prudent et pragmatique, le président Ghazwani entend faire face, lentement mais sûrement, à cette masse opportuniste qui ronge les sphères de l’État et, avec le travail et l’imagination, notre pays se remet sur l’axe de l’espoir et du salut. Le choix électoral qu’a accompli l’INSAF pour désigner ses candidats va à l’encontre des intérêts de ceux qui mettent notre pays dans le bourbier dont ils sont, eux, les seuls heureux survivants.
De fait, la politique n’est pas une profession : c’est un travail de volontariat où l’acteur doit mettre l’intérêt national avant tout intérêt égoïste, tribal ou partisan. Or ce n’est pas toujours le cas en notre admirable pays que nous devons préserver. Il en va de notre survie, non seulement en tant que nation mais surtout en tant que communauté de destin partageant le même espace et la même histoire.
*Professeur à l’Université d’Aïoun