Le Calame : La campagne électorale pour les municipales, régionales et législatives a démarré, ce 28 avril. Dans quel état d’esprit votre parti aborde-t-il cette échéance ?
Khalilou Dedde : Permettez-moi de vous remercier de m’avoir permis de m’exprimer dans votre précieux journal. En ce qui nous concerne à l’UFP, nous abordons ces élections avec un esprit partagé, serein en interne et perplexe en externe.
Les militants de notre parti s’engagent, unis et calmes, dans ces élections contrairement à celles de 2018 au cours desquelles ils étaient entravés par des dissensions internes, sans précédent, du fait de fortes tentatives de déstabilisation de leur formation politique. Mais les conditions de préparation de ces élections, parfois hâtives, compliquées par les pesanteurs d’un contexte national et international chargé de défis dont la conjuration n’est pas facile. Les populations sont préoccupées par le quotidien intenable rythmé par les frustrations qu’impose la cherté de la vie. L’insécurité interne et externe hante le pays, la situation sociale est explosive surtout quand s’y mêlent des discours extrémistes qui surfent sur les sentiments et les émotions des électeurs les plus démunis.
Votre parti est un des signataires de l’accord entre le ministère de l’intérieur et 25 partis politiques. Trouvez-vous satisfaisant et rassurant le déroulé du chronogramme de la CENI ?
Effectivement notre parti est l’un des initiateurs de la politique de dialogue ou de concertation qui vise à bâtir un pacte national pour normaliser la vie publique dans le pays, dans ses dimensions vitales dont fait partie le processus électoral conflictuel depuis le coup d’Etat d’août 2008. A défaut d’avoir un dialogue général et plus inclusif, nous avons finalement accepté de prendre part à des rencontres sectorielles entre le ministère de l’intérieur et 25 partis politiques. L’accord en dix points conclu entre les participants est fondamentalement positif, il consacre des avancées réelles des règles du jeu électoral. Exemple : les conditions de vote de la diaspora, le scrutin proportionnel etc. En revanche, des entorses à l’accord sont constatées notamment le chronogramme électoral, l’insuffisance des machines qui peuvent endiguer la fraude, le choix des bureaux de vote, la préparation de certaines lois comme celle dite de l’incompatibilité etc. ce sont des ratés qui nous rendent soucieux par rapport au déroulé du processus électoral car à l’UFP nous ne voulons pas d’élections qui débouchent sur des crises mais d’un scrutin crédible dont les résultats seront acceptés par tous. Or, nous avons l’impression que les autorités publiques ont subordonné la finalité des élections à leur chronogramme. Dire donc que nous sommes satisfaits et rassurés de l’organisation des élections, est difficile. L’ensemble des facteurs qui pèsent dans la balance sont complexes et exigent une gestion d’une grande responsabilité et de compétence. Nous espérons que nos craintes ne se réaliseront pas et que l’importance accordée par le Président de la république, à travers la lettre adressée à tous les chefs de partis politiques, soit traduite dans les faits par ceux qui sont à l’œuvre.
Une CENI politique est-elle un atout ou un handicap ? Peut-elle organiser des élections libres et incontestées ?
L’UFP avait opté pour une CENI indépendante comme l’indique son nom, c’est pour nous, un gage de neutralité, d’impartialité et donc de confiance et de transparence. Qu’elle soit politique, si ce n’est pas un handicap, ce n’est sûrement pas un atout.
Le mode de scrutin du 13 mai risque d’être compliqué pour les électeurs qui doivent se retrouver avec plusieurs bulletins entre les mains. Qu’attendez-vous à faire durant cette campagne pour éviter des déchets le jour de vote ?
Si j’ai bien compris votre question, je pense effectivement que 6 bulletins dans une seule main peut poser des problèmes de confusion et des erreurs de choix, surtout pour les électeurs en difficulté physique ou culturelle. Découpler les scrutins pouvait simplifier les opérations. En termes de déchets physiques, des mesures devraient être prises par les acteurs compétents pour traiter la masse de papiers qui ne manquera pas de s’amonceler par-ci et par-là.
Parti très divisée, l’opposition pourrait-elle, avec la proportionnelle, tirer son épingle du jeu ?
La proportionnelle est de nature à favoriser l’élargissement de la représentation du spectre politique, ce qui encourage la diversité des opinions et participe de la formation des contrepouvoirs. Il est vrai que l’absence d’une unité absolue de l’opposition l’empêchera d’engranger le maximum de gains électoraux. Mais à qui la faute ? Cependant, il faut remarquer que des partis d’opposition ont, dans certaines circonscriptions, contracté des accords électoraux. Exemple à Zouératt, à Nouadhibou, à Airé m’bar etc. C’est mieux que rien !
Actualité oblige, que pensez-vous de cet appel de Djéol relayé à coup de publicité par les média publics ? Peut-il régler les problèmes de l’unité nationale ?
Je pense que l’appel de Djéol va dans le bon sens s’il ne se limite pas à une simple opération de communication. A lui seul, il ne peut nullement régler les problèmes de l’unité nationale qui exigent d’ailleurs une approche plus complexe, de nature consensuelle et processuelle. Cet appel, bien valorisé, pourrait constituer quand même une accroche pour réunir les leaders d’opinions sur une même table, discuter sereinement dans le but d’ouvrir les dossiers pendants et de leur trouver des solutions acceptables pour tous.
Certains craignent de voir notre pays se retrouver avec une assemblée nationale de courtiers, d'hommes d'affaires qui ne chercheraient que des passeports diplomatiques et à grapiller des marchés. Partagez-vous ces craintes?
Oui, je trouve que notre société, à travers un jeu politique mal ficelé, peut produire des élus en désaccord avec leur mission telle que prévue par les textes, qui vont instrumentaliser les élections, grâce à leur puissance financière, dont les origines restent à clarifier, ou à leurs discours populistes pour accéder à des institutions qu’ils exploiteront à des fins personnelles. Ce serait dommage pour la qualité des institutions qu’exige le développement du pays.
Je vous remercie.
Propos recueillis par Dalay Lam