Suites des deux articles présentés en vis-à-vis, la semaine dernière, dont la coïncidence d’envoi nous paraît singulièrement signifiante de l’actualité d’un débat déjà ancien…
Malgré d’incontestables progrès, surtout quantitatifs, l’enseignement en général n’a fondamentalement pas progressé, avec l’accession à « l’indépendance », et la langue française continua, en particulier, à en constituer l’indéboulonnable rouage. Mais quel enseignement tirer de ce de détachement du pays mauritanien de son espace naturel puis de sa greffe sur l’Afrique occidentale ? Deux conséquences également désastreuses pour la Mauritanie : la première est matérialisée par cette ubuesque « performance » de cinquante-quatre années d’« indépendance » qui aboutit au pitoyable et désespérant état de misère et de sous-développement que nous vivons, et à la sensation de naufrage qui étreint chaque Mauritanien, au vu de l’horizon bouché et de l’accumulation de signes d’une évolution à la somalienne.
La seconde, but ultime que vise la France, dans ses pérégrinations en cette contrée que certains considèrent comme maudite par l’histoire et la géographie, c’est que la Mauritanie ne cesse jamais, d’une manière ou d’une autre, de rester sous la coupe de celle-ci… et l’on a vu comment l’Etat français s’y prend, avec quels résultats ; et pour cause : le pays regorge de richesses, en particulier en matières premières minérales ; possède les côtes les plus poissonneuses au Monde ; mais aussi, malheureusement, une population et des élites désorientées, comme tétanisées, qui semblent avoir perdu la combattivité qui caractérisait la glorieuse Résistance d’autrefois, donnant bien du fil à retordre à l’occupant. Toutes choses qui confortent l’encombrant « ami », dans son obstination à ne rien changer à sa stratégie initiale. A savoir garder sa conquête loin de la contamination des rébellions et autres printemps arabes, dont la bouillonnante Algérie d’avant « l’indépendance », et en assurer l’intégration dans le sûr et paisible pré carré ouest-africain ... Et tant pis pour le terrible et durable traumatisme causé au tissu culturel et identitaire de la victime et pour la graine de conflit semée entre elle et la culture-hôte, en l’occurrence la culture négro africaine. Le colonialisme, c’est bien connu, ne connaît ni état d’âme ni scrupule, quand il sévit.
Que faire ?
Après cette plongée historique dans le système de gestion du territoire mauritanien, tant sous la domination directe que sous les régimes vassaux qui lui ont succédé, et au regard de la situation présente, avec ses hauts et, surtout, ses bas que tout un chacun appréhende, les inquiétudes qu’elle suscite, n’est-on pas en droit de s’interroger sur l’avenir, non pas lointain mais immédiat, de notre cher pays ? Si l’on admet les deux hypothèses du néocolonialisme toujours en activité – au moins dans une certaine mesure que personne ne conteste – et le dévoiement de la vocation naturelle de la Mauritanie, c’est-à-dire de son appartenance au monde arabe, hypothèses que nous avons avancées comme causes essentielles du lamentable état où se trouve la Mauritanie, le réveil et l’action de l’élite consciente et des forces patriotiques deviennent impératifs et urgents, pour éliminer ces deux causes, sauver le pays et le reconstruire. Tâche difficile, certes, qui devra, nécessairement, bousculer l’ordre établi pour vaincre les peurs et pesanteurs accumulées des décennies durant. En tout cas, le salut du pays est à ce prix.
Cela consistera à engager un véritable combat pour une indépendance réelle et la fin de la pesante tutelle, maquillée en indépendance, de l’ancien colonisateur, aux fins d’une complète maîtrise sur les plans économique et culturel de la gestion du pays ; d’une totale liberté, dans le choix et la diversification de nos partenaires internationaux ; de désengagement des ensembles non viables où seule la satisfaction d’intérêts autres que ceux de la Nation justifie notre présence ; et, enfin, d’échanges d’égal avec tous, sans a priori ni inféodation. En bref, déclencher une deuxième Résistance, une lutte de libération.
La réorientation de la boussole pour la réintégration de la Mauritanie dans le monde arabe est un autre impératif. Sans préjudice, naturellement, à notre appartenance à l’Afrique. D’abord, parce que la Mauritanie est un pays africain à part entière ; ensuite, qu’elle compte, au-delà de la majorité arabe, une composante négro-africaine tout aussi jalouse de ses droits culturels et de son identité ; enfin, pour des raisons dictées par l’intérêt économique bien compris. N’y verront de contradiction, à notre avis, que certains activistes rongés par un taraudant nationalisme étroit ou exécutant un agenda étranger.
Quels avantages pour le « retour au bercail » ?
Être partie prenante dans l’ensemble arabe, participer aux activités de sa Ligue et de ses institutions – dans la réalité, non avec désinvolture ni « pour la forme », comme c’est le cas actuellement – peut ouvrir d’immenses possibilités pour le développement de notre pays. Persister à ignorer cet ensemble qui compte tant dans le monde, constitue une iniquité et engendre un manque à gagner considérable, économiquement, financièrement, culturellement, politiquement et, plus généralement, au plan des échanges en tout genre. Conforme aux aspirations de la majorité du peuple mauritanien, cette réorientation se justifie donc par un écheveau d’intérêts, pas seulement pour des raisons sentimentales et identitaires, aussi légitimes soient-elles.
Si nous poussons cette logique plus loin, nous ne pouvons que conclure, en toute objectivité, que les cinquante-quatre années de « mariage » avec cette zone de l’Afrique de l’Ouest ne nous a apporté que très peu de progrès. Tout au plus quelques avantages, liés à une certaine présence humaine, avec ses effets bénéfiques induits : nos commerçants sont, en effet, bien installés dans la plupart des pays de cet espace et contribuent, pour une part assez substantielle, aux efforts de développement du pays. La Mauritanie tire également profit de sa participation à l’OMVS et de la coopération bilatérale avec le Sénégal et le Mali frères. Mais cela justifie-t-il de rester éternellement à la remorque de cet attelage qui ne jouit, à ce jour, que d’une indépendance d’action et d’une souveraineté limitées ?
Comme nous l’avons dit et, avant nous, ABM, cette région, à l’instar de la plupart des autres pays de notre chère Afrique, demeure, globalement, une néo-colonie de la France. Les indices qui l’attestent sont légion. Bien sûr, des avancées importantes ont été, partout et sur tous les plans, accomplies. Bien sûr, la libération complète de notre continent est inéluctable, le contexte régional et international y aidant. Mais si, tant est que le monde arabe, le Maghreb voisin en particulier, est, de ce point de vue, mieux loti, plus « indépendant » et compte-tenu, surtout, des immenses possibilités et avantages que notre pays peut en tirer, après plus d’un demi-siècle d’indigence et de rupture de fait, avec cet ensemble, due, pour une grande part, à des raisons de relief – montagnes et désert nous en séparent – la sagesse et la logique recommandent une nécessaire refondation.
Sans préjudice, répétons-le à notre appartenance à l’Afrique subsaharienne mais, au contraire, en complémentarité avec elle, complémentarité que symbolise le véritable trait d’union, signe de coopération, dans la fraternité et le bon voisinage. Et non pas le trait d’union démagogique, sans consistance et aux relents chououbites, c’est-à-dire hostiles à l’identité culturelle et civilisationnelle de la Mauritanie.