Élections locales : Une atmosphère polluée

23 February, 2023 - 01:12

Les Mauritaniens iront aux élections municipales, régionales et législatives en Mai prochain. À moins d’un trimestre de cette échéance, la précampagne bat déjà son plein. Les candidats à la candidature s’échauffent. Les partis sont en quête de porteurs de leur étendard. Depuis des mois déjà, l’INSAF multiplie les réunions de sensibilisation et les missions à l’intérieur du pays. Beaucoup moins outillés, les autres ont emboîté le pas. Tous mobilisent les citoyens à s’inscrire sur la liste électorale afin d’exprimer, le jour J, leur droit civique. Un acte noble, à la condition, bien évidemment, de n’être pas dévoyé par la corruption et les intimidations. Nous disposons de largement assez de candidats potentiels, al hamdou lillahi, aptes à contribuer par leurs capacités, leurs compétences et leurs expériences et, surtout, leur moralité, au développement de leur circonscription et, partant, de notre pays. Nous avons également besoin et attendons une compétition saine, empreinte de fairplay, sans invectives mais avec des propositions et critiques constructives.

 

Grains de sable

Pendant que les politiques s’agitent, deux faits majeurs sont venus comme polluer le débat. D’abord le procès de la Décennie, avec comme principal suspect, l’ex-président Ould Abdel Aziz. Démarré en Janvier dernier, ces assises tardent à aborder les questions de fond à cause des exceptions soulevées par la défense de l’ancien raïs. Après avoir soulevé l’incompétence du tribunal et l’illégalité du procès, les conseils d’Ould Abdel Aziz, renforcés par un des grands pénalistes du Sénégal et une avocate libanaise, ont réussi à retarder le procès proprement dit des faits.

Mieux, ils en ont obtenu un ajournement de quinze jours en contestant la « constitutionnalité de la clause légale » relative aux articles 16 et 47 de la loi fondant le tribunal anti-corruption. Selon les avocats de la défense, le premier contredit la présomption d’innocence et le second incite, à leurs yeux, à la partialité dans la mesure où il stipule que « 10 % des récompenses perdues doivent être attribuées à des institutions de recherche et d’investigation ». Et de saisir en conséquence le juge des lois, à savoir le Conseil constitutionnel qui disposera dudit délai pour statuer. Peut-être une occasion pour cette haute juridiction d’éclairer l’opinion sur ce fameux article 93 de la Constitution auquel s’accrochent tant les conseils d’Ould Abdel Aziz.

De leur côté, les avocats de la partie civile – l’État, en cette occurrence – accusent leurs collègues de la défense de tout faire pour retarder à leur client l’ultime moment de prouver au tribunal et à l’opinion mauritanienne et internationale la provenance de sa fortune colossale, amassée en une dizaine d’années à la tête du pays. « C’est de bonne guerre », a estimé l’un d’eux au cours d’un point de presse. On attend donc la saisine du Conseil et sa sentence.

Un autre évènement est venu perturber la pré-campagne. Il s’agit, hélas, du meurtre, le 9 Février 2023, de Souvi ould Cheïne, dans le commissariat de Dar Naïm 2 (Nouakchott-Nord). Une sombre affaire (voir encadré) qui a mis tout Nouakchott, particulièrement les organisations de défense des droits de l’Homme, en émoi.  La victime était un activiste de la Société civile qui ne ratait aucune occasion pour dénoncer les injustices dont sont victimes les populations démunies, l’exclusion et la marginalisation des plusieurs pans de la société mauritanienne. Sa mort atroce a ému, révolté et cristallisé les frustrations de presque tous les Mauritaniens dont plusieurs milliers ont manifesté pour réclamer justice. Souvi serait, dit-on, victime d’un règlement de comptes et aurait donc payé de sa témérité en rendant coup pour coup aux policiers. En attendant les résultats de l’enquête, on se dit qu’il se serait attaqué à plus fort que lui. Ce meurtre vient prouver combien certains en ce pays peuvent user des forces de sécurité pour régler des comptes à d’autres, semant le désordre et l’horreur dans les familles.

Conscient peut-être du danger que cela représente – la mobilisation des protestataires était énorme et pouvait dégénérer à tout instant – le gouvernement a réagi rapidement en ordonnant une autopsie pour couper court à toutes les supputations : mort d’un arrêt cardiaque, il a sauté de la voiture, etc. À l’arrivée, celle-ci a révélé que l’activiste a fait l’objet de tortures ayant entraîné la mort, suite à strangulation et rupture de vertèbres cervicales. Des sévices très graves et un comportement que rien ne peut justifier de la part des forces dites de « sécurité »

On comprend certes le souci des autorités d’éviter tout débordement et toute récupération politique en cette précampagne électorale. Elles gagneraient davantage en crédibilité, aux yeux de l’opinion nationale et internationale, en menant de vraies investigations indépendantes sur les conditions entourant ce meurtre. Pourquoi fut-il conduit dans le commissariat de Dar Naïm 2 au lieu d’un de ceux de Riyad où il habitait ? Pourquoi les policiers ont-ils sévi aussi cruellement à l’encontre de ce jeune activiste ?  Meurtre prémédité ? Le cas échéant, commandité par qui ? Les réponses à ces questions permettront à la justice de dire le Droit et de punir les auteurs et complice(s) de cet assassinat. Les sommes d’argent promises ici et là ne pourront sécher les larmes des membres de la famille de Souvi, ni combler le vide, ni remplacer son amour pour ses enfants. Cette générosité par procuration est très sélective : beaucoup de mauritaniens la perçoivent comme une espèce de corruption, une volonté d’acheter le silence de la famille éplorée. Les patriotes du pays ne doivent pas accepter cela et se faire complice de son meurtre. Dire le Droit, ici comme dans le procès de la Décennie, notre Justice a bel et bien du pain sous la planche. Pourvu que ces deux évènements ne perturbent pas la campagne des prochaines élections !

Dalay Lam

 

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Encadré

Souvi Cheïbany ne peut pas mourir pour rien !

L’assassinat atroce et ignoble du jeune activiste des droits de l’Homme, Souvi Cheïbani ould Cheïne, a ému toute l’opinion mauritanienne. Les différentes associations des droits de l’Homme et les simples citoyens ont tous condamné cet assassinat et surtout sa manière. L’annonce du drame s’est vite propagée dans la capitale et les réseaux sociaux, les populations se sont mobilisées et se sont dirigées vers le commissariat de Dar Naïm 2 où l’irréparable avait été accompli. Face à cette forte mobilisation et indignation, la direction de la Sûreté nationale et la Justice (procureur) ont vite réagi. Des communiqués ont été diffusés, certains ont suscité la confusion et accentué la révolte. On prétendait que l’activiste était mort d’un arrêt cardiaque, qu’il avait sauté de la voiture, etc. Indignés et choqués, les parents du défunt auxquels se sont joints les activistes et les populations de Nouakchott accouraient de partout pour réclamer la vérité sur les circonstances du décès. La CNDH et le bâtonnier de l’Ordre national des avocats se mettaient de la partie et publiaient des communiqués, exigeant une enquête. C’est pourquoi les autorités ont décidé d’ordonner une autopsie du corps, laquelle a révélé des graves sévices sur le corps de l’activiste. La sortie du procureur de la République confirmait bientôt ce que tous redoutaient : une torture sauvage qui avait conduit au décès ; vertèbres cervicales cassées et strangulation... Et les autorités d’ordonner en suivant l’arrestation du commissaire de Dar Naïm 2 et tous les agents en service le jour du meurtre au commissariat. On peut certes saluer ces décisions mais elles ne suffisent pas. Pour prouver que de tels agissements sont inadmissibles de la part des forces de sécurité, une enquête véritablement indépendante et transparente doit être diligentée ; il faut aussi et surtout s’abstenir de tenter de manipuler la famille à travers des pressions, menaces et de l’argent. Bref, il faut sévir contre les auteurs de ces gestes ignobles. On raconte que ce n’est pas la première fois que des citoyens meurent dans ce commissariat, sans que jamais des mesures fortes n'aient été prises.

Les autorités doivent purger les forces de sécurité et de défense des éléments corrompus, récidivistes et aujourd’hui criminels ; il y va de l’image de la Sûreté et de l'État. Depuis quelques années, les forces de l’ordre ont été infestées par des jeunes sans humanité ni respect envers les citoyens… Souvent des fils-à-papa qui se croient au-dessus de la loi, leurs parents haut placés leur assurant l’impunité. Sinon, comment extirper un citoyen de Riyad, objet, nous dit-on, d’une plainte d’un habitant de Dar Naïm, pour le conduire au commissariat de ce dernier quartier ? Pourquoi ce plaignant occulte n’a-t-il pas saisi l’un des commissariats de Riyad ? Ou le commissariat de Dar Naïm transmis la plainte à celui-ci ? À voir comment certains agents des forces de sécurité se comportent vis-à-vis des citoyens lors des rafles qu’elles organisent dans les quartiers de la banlieue, on mesure combien ils les méprisent. Les jeunes raflés sont ravalés plus bas que terre, on met les mains dans leurs poches, on palpe même jusqu’à leurs parties intimes puis on les jette dans les voitures en posant sur leur corps allongé les pieds bottés des agents. Une fois au commissariat, c’est le comble de l’humiliation : on les déshabille et jette derrière les grilles. Souvi en a payé le prix. Comment une personne n’ayant pas commis de crime peut-elle être menottée et jetée au cachot avant même d’avoir été confronté à son plaignant ?

Le jeune activiste qu’on voulait faire payer de sa témérité ne doit pas être mort pour rien. Son décès doit servir à quelque chose. Les autorités et la justice doivent démontrer que nous sommes dans un État de Droit pour lequel Souvi se battait et qu’il ne s’agit pas de velléité ni de slogan politique. Alors candidat à la présidentielle, Mohamed ould Ghazwani s’était engagé à restaurer toutes les victimes d’injustice dans leur droit. C’est l’occasion ou jamais. Le cas de l’ex-Président traîné devant la justice a suscité l’espoir pour la majorité des citoyens ; la mort de Souvi, une profonde indignation, voire révolte, contre des pratiques souvent couvertes par de hautes personnalités. La mort de Souvi aujourd’hui et celle de Kane Hamidou Baba – dans des conditions certes différentes –ont démontré qu’une fibre patriotique bouge dans l’esprit d’un nombre croissant de mauritaniens, que l’unité nationale n’est pas un vain mot. Il appartient désormais au pouvoir et à sa justice de suivre et appuyer cet éveil populaire. Les commissariats de police et autres centres de privation des droits ne doivent plus servir de lieu de tortures, d’humiliations, voire de mouroir. Les jeunes commissaires, commandants, préfets, en majorité des fils à papa, doivent comprendre que tous leurs concitoyens ont, comme eux, le droit de vivre en paix, même dans leur pauvreté. L'État ne doit plus couvrir les manquements de ses agents et autres familiers. On en a trop vu ! De la pendaison de vingt-huit soldats négro-mauritaniens en la base d’Inal dans la nuit du 27 au 28 Novembre 1990, à la balle tirée par le fils de l’ex-Président sur une jeune fille, les abus sont légion. Tant de bourreaux couverts par une loi d’amnistie ! Ces comportements inciviques doivent cesser. La Mauritanie n’en sortira que grandie.