« A Son Excellence Monsieur le Président de la République Islamique de Mauritanie »
Ainsi commence toujours une « lettre ouverte » au Chef de l’État. Je dois avouer, quant à moi, que des réserves tenaces, éthiques, intellectuelles, autant que politiques (au sens scientifique), continuent à me mettre mal à l’aise de commencer ainsi une telle lettre. Permettez-moi donc, très respectueusement, de m’adresser à vous en usant du ‘Général’ à l’anglosaxonne (sans le possessif).
Général,
J’ai passé toute une carrière académique à étudier les forces armées et de sécurité, leurs officiers, en particulier, surtout lorsque certains d’entre eux usurpent le pouvoir d’État, l’exercent (presque toujours mal) et, s’ils ne s’y installent confortablement, s’engagent dans le processus (souvent tortueux) de le remettre aux civils pour retourner dans les casernes ou, exceptionnellement, aller « cultiver leur jardin ». De cette expérience, je présume que vous êtes, à juste titre, fier de votre grade, comme le sont tous les officiers qui, au bout d’une longue carrière sous les drapeaux, atteignent ce grade prestigieux. Il y en a même qui, carrément, se présentent, en disant, « Mon nom est Général (ou colonel) ‘Un Tel’ ». Il n’y a aucun mal à cela ! Cependant, aucun Président, à ma connaissance, ne s’est jamais ainsi présenté à son audience. Et, honnêtement, vous savez comme moi (et le bon peuple de Mauritanie aussi) que votre grade a beaucoup, en fait tout, à voir avec votre fonction présente. Pour toutes ces raisons, vous ne me tiendrez donc pas rigueur, je l’espère, de me référer à votre grade à votre démission de l’armée.
Si je vous écris pour la toute première fois, Il m’est arrivé d’écrire, plus d’une fois, en fait, à vos prédécesseurs, surtout à un certain Colonel Ould Taya. J’avais pris le soin de me référer son grade à lui aussi. Constance donc. Écrire au Chef de l’État est ma manière, à moi qui suis bien à l’écart de l’arène et des joutes politiques, de jouer pleinement mon rôle de citoyen dans notre « démocratie en construction », selon la formule consacrée. Convenez que, dans ce contexte, communiquer ainsi avec « le gardien de la Constitution… [qui] assure, par son arbitrage, le fonctionnement continu et régulier des pouvoirs publics » est une démarche éminemment citoyenne et républicaine. Je vous prie donc de prendre cette lettre ouverte dans cet esprit.
Par ailleurs, vous ne le savez peut-être pas, récemment, cette expérience et cet engagement citoyen m’ont amené à écrire un livre, consacré plutôt à vos prédécesseurs qu’à vous (vous y êtes à peine mentionné) : La Mauritanie des colonels : 40 ans de médiocrité au pouvoir, éditions L’Harmattan. Vous devriez vous le faire procurer et le lire. Cela ne prendrait que très peu de votre temps, et qui sait, vous en retiendrez peut-être quelque enseignement utile.
Général,
Le début d’une année civile offre toujours une opportunité propice pour à la fois tirer des leçons de l’année qui vient de s’achever et formuler des espérances pour un futur plus ou moins distant. Avant toute chose, bien sûr, je vous souhaite une excellente année 2023, à la tête d’un État dont le peuple connait finalement un peu de répit de ses sempiternelles épreuves, et pourquoi pas, enfin, une relative prospérité. Cette prospérité, allègrement promise mais après laquelle il court désespérément depuis au moins quarante-cinq ans. Permettez donc qu’avec ces vœux je vous soumette respectueusement mon appréciation de quelques aspects seulement de
«la chose publique » en ce début d’année. J’y ajoute une ou deux suggestions qui pourraient vous aider à faire de 2023 une bien meilleure année que 2019, 2020, 2021 et 2022 pour vos concitoyens. Je sais que l’écrasante majorité de ceux-ci se reconnaitront dans ces suggestions.
Général,
Un de vos engagements, à ce qu’il m’est revenu de vos taahoudatts (promesses électorales) était, mais sans trop le dire, de revoir la manière dont votre prédécesseur avait (oh, si mal !) gouverné le pays, et de faire du bien-être du peuple mauritanien le focus de votre mandat-- c’est-à-dire donc, de vous occuper sérieusement à faire satisfaire ses besoins les plus élémentaires. Eh bien, comme d’autres citoyens vous l’ont déjà fait savoir, parfois sans détour, nous sommes toujours très loin du compte. Certains se sont même permis de suggérer que votre prédécesseur a fait mieux que vous, et pas seulement en volume de mots débités ! Ce qui est quand même embarrassant, il faut le dire, compte tenu de son bilan global !
La manière dont vous avez (presque ?) neutralisé ledit prédécesseur immédiat inspire l’admiration. Étant donné la manière dont il a manœuvré un autre marabout et fini par lui arracher le pouvoir, ce n’était pas acquis, n’est-ce pas ? Bien joué donc ! D’autres vous l’ont sans doute déjà dit, et pas qu’une fois. Cela dit, n’écoutez surtout pas les flagorneurs, ils vous conduiront à l’erreur. Ce sont les mêmes qui, il n’y a pas si longtemps s’époumonaient à vouloir faire de Aziz—oui, cet Aziz-là—rien moins qu’un roi, et le comparaient favorablement au Tout Puissant ! éloignez-les ! il en ira de votre avenir. Après tout, il n’y a pas qu’eux dans ce pays !
Général,
Une autre suggestion : Faites reprendre le drapeau—invalidez sa défiguration. L’Hymne aussi. Surtout l’hymne ! Faites que tous les mauritaniens puissent s’y reconnaitre. Vous ne pouvez pas l’ignorer, il laisse (au moins !) indifférent la majorité du peuple mauritanien. Celui-ci ne paraît pas s’y reconnaitre et rejette, d’instinct, ce que d’aucuns assimilent à des sonorités/tempos/lyriques venus d’ailleurs et qui rappellent par trop le lointain pays meurtri d’un certain supplicié de triste mémoire. Les référents culturels et histoire de nos différentes communautés nationales peuvent bien fournir de quoi faire un hymne qui émane d’elles et qui—surtout--les rassemble.
Général,
Récemment, j’ai eu l’opportunité de voyager le long de la ‘route de l’espoir’ (Personne ne semble plus l’appeler ainsi, et pour cause !) et dans le Fouta. Mes observations au cours de ces voyages m’ont rappelé les mauvais souvenirs d’un autre voyage « à l’intérieur » durant une période à laquelle l’on se réfère toujours comme « les années de braise ». Aujourd’hui comme alors, j’ai eu le sentiment que les attitudes et agissements des agents de l’État semblaient relever de politiques de discrimination quasi-officielles, mais qui n’osaient/n’osent dire leur nom. Plus de 30 ans plus tard…
Aujourd’hui encore, mon expérience personnelle et les
observations répétées au cours de ces voyages indiquent que certains de nos compatriotes sont toujours stigmatisés, humiliés et brimés. Eux et les ressortissants de pays au sud de nos frontières se font constamment racketter par certains membres des forces de sécurité le long de la ‘route de l’espoir’ et surtout aux frontières. Presque comme un passe-droit ! Pour être plus précis, comme un nombre infini de vos concitoyens, j’ai été personnellement la victime et témoin oculaire de ces pratiques prédatrices, qui clairement violent plus d’une loi en vigueur—et la Constitution dont vous êtes, faut-il le rappeler, le « gardien ».
Il est évident que 60 d’indépendance n’ont toujours pas eu raison de cet héritage du régime colonial en fonction duquel les populations ne sont que de vils sujets d’un État
totalement déconnecté et non redevable dont les représentants, surtout ceux en uniforme, ont pour rôle essentiel leur répression, exploitation, et maintien dans un état de terreur permanente.
Après 60 ans d’indépendance, ces agents de l’État (en uniforme) n’ont sans doute jamais été instruits que leur véritable ‘boss’, en dernier ressort, n’est pas leur supérieur hiérarchique immédiat, ni les Ministres de l’Intérieur, ou de la Défense, ni même, sauf votre respect, vous, en tant que Chef de l’État, mais bien le citoyen ordinaire pour lequel ils ne semblent avoir que mépris et qu’ils croient avoir licence de rançonner et de réprimer en toute impunité. Du fait simplement de l’uniforme qu’ils portent ! Pour certains de vos concitoyens, ces comportements et attitudes sont la règle, pas l’exception.
C’est là, le vécu quotidien de milliers d’entre eux sur nos axes routiers. C’est là un secret de polichinelle en réalité ! Si vous ne le saviez pas, il est de mon devoir de vous en informer, afin que vous puissiez vous acquitter de votre charge constitutionnelle d’assurer « le fonctionnement continu et régulier des pouvoirs publics » dont la finalité est de promouvoir le respect des « libertés et droits fondamentaux de la personne humaine » et autres garanties constitutionnelles.
Général,
De grâce, faites quelque chose, je vous en supplie ! Vous atteler à changer cette relation infâme entre le citoyen (et son frère Sub-Saharien visiteur) et les agents de l’État en uniforme sur les axes routiers aura plus d’impact que tenir n’importe lequel de vos « taahoudatts ». Et cela coutera beaucoup moins cher que la plupart de ceux-ci. C’est possible, mais il faut une volonté politique résolue pour le faire. Cette volonté politique est de votre ressort exclusif. Elle ne requiert même pas que vous soyez un révolutionnaire ni même un réformateur du « système » en place depuis 45 ans. Une appréciation intelligente de votre intérêt politique bien compris en une année électorale (et la suivante aussi) suffit.
Général,
Enfin, comme vous le savez, ceux qui s’intéressent à la rubrique ‘crimes et châtiments’ sur notre continent n’ont pu qu’apprécier le caractère libérateur, cathartique même, et surtout pédagogique, du procès des évènements
du 28 septembre 2009 en cours en Guinée. Le chiffre 28 a bien une certaine résonance pour plus d’un mauritanien : Les évènements d’un autre 28--du mois de novembre 1990. Jusqu’ici, ceux-ci n’ont fait l’objet d’aucun procès. Les crimes indicibles, commis ce jour-là (et ceux d’après) et qui hantent toujours les mauritaniens, n’ont donc toujours pas connu de châtiment. Leurs auteurs, complices, et commanditaires ne sont même pas identifiés officiellement—pas même toutes les victimes. Vous le savez, cela est dû à la complicité de certains de vos frères d’armes et prédécesseurs dans votre fonction présente, mais aussi du fait d’une certaine loi scélérate. Pour que votre nom ne puisse jamais être accolé à ces crimes, et à cette forfaiture qui les a couverts, en notre ‘Terre d’Islam’, Il vous est loisible de la faire annuler, cette loi. Faites-le en 2023. Cela vous aidera à vous faire réélire en 2024. Et, tiens ! Vous damerez ainsi le pion à tous vos prédécesseurs, Aziz en particulier ! Vous voulez bien vous faire réélire, n’est-ce pas ?
De toute façon, quelle autre alternative… ?
Ah oui, j’oubliai le rocambolesque procès de la gabegie sur stérides de la « décennie horribilis ». Bien joué ! Mais pas de demi-mesure, s’il vous plait ! Faites--je veux dire laissez la justice faire--rendre gorge jusqu’au dernier de ceux qui se sont gorgés des ressources de ce malheureux peuple. Et ils ne sont pas qu’une dizaine seulement, ce peuple le sait. Un autre argument électoral pourrait-on dire que de vous assurer que la justice ne s’arrête pas en si bon chemin. Pour plus d’un ancien prisonnier politique ou de droit commun, c’est manifestation—et exquise ironie--de justice divine ou immanente que le plus fameux des accusés de ce procès se soit lamenté récemment des désagréments que lui causeraient les moustiques et les cafards en son lieu de détention. C’est déjà ça !
Vœux respectueux de très bonne année 2023, Général.
Professeur Boubacar N’Diaye