Lors d'une de ses retraites dans le Mont Hira, vers la fin du mois de Ramadan, à l'âge de quarante ans, le Prophète reçut la première Révélation. L'ange Gabriel se présenta à lui sous la forme d'un homme et lui enjoint avec autorité : Lis ! Je ne sais pas lire, dit Mohammed. L'ange le saisit alors avec force et l'étreignit si fort que Mohammed faillit s'étouffer. A peine reprit-il son souffle que l'ange lui ordonna à nouveau : Lis ! Mohammed réitéra la même réponse : Je ne sais pas lire. L'ange le serra encore avec une telle force que Mohammed crut qu'il allait mourir, puis il lui répéta : Lis ! La réponse resta la même : je ne sais pas lire. L'ange lui dit alors : " Lis, au Nom de ton Seigneur ! Lui qui a créé ; qui a créé l'homme d'un caillot adhésif. Lis, au Nom de ton Seigneur qui est Toute Bonté ; qui a instruit par l'usage de la plume ; qui a instruit l'homme de ce qu'il ne savait pas."[i]
Choqué et pris de panique, le Prophète commença alors à réciter les versets du Coran après l'ange. Puis, il quitta précipitamment la caverne pour regagner son domicile mecquois. L'ange lui apparut à nouveau mais dans sa nature céleste. Il barrait l'horizon à perte de vue. L'ange dit : "O Mohammed, tu es l'Envoyé de Dieu, et je suis Gabriel." Arrivé chez lui bouleversé, il dit à Khadija de le couvrir. La frayeur de la caverne passée, il mit son épouse dans la confidence et lui fit la relation de ce qui s'est passé. L'Islam venait de naître.
Khadija réconforta et rassura son mari. Ses paroles passèrent à la postérité : "Jamais par Dieu ! Jamais Dieu ne t'infligera d'affronts. Tu as de bonnes relations avec ta famille. Tu aides le pauvre et le nécessiteux, tu accueilles tes invités généreusement et tu assistes les malheureux qui le méritent."[ii]
Dans un premier temps, le secret de la Révélation fut bien gardé : seule Khadija et quelques intimes sont mis dans la confidence. Parmi ceux-ci, on peut citer Ali (le futur calife) alors âgé de dix ans, Zaid, le serviteur du Prophète. Et, naturellement, le respectable Abou Bakr, l'ami intime de l'Envoyé de Dieu.
Le Prophète procéda progressivement pour faire connaître la nouvelle religion. Dieu lui ordonna de commencer par ses proches : "Avertis tout d'abord les plus proches de ta tribu !". [iii] Le Prophète réunit à cet effet, les Beni Hachem dont il est issu. A quelques exceptions près, l'assistance n'était pas réceptive aux propos de l'Envoyé de Dieu et des railleries et des moqueries ponctuèrent la réunion.
Le Prophète reçut par la suite deux injonctions successives pour rendre public le message divin : "Proclame tout haut ce qui t'a été ordonné ! Ne te soucie guère des païens !".[iv]
Ce verset est suivi d'un autre plus explicite : "O! Prophète, délivre aux hommes la révélation que tu as reçue de ton Seigneur ; si tu ne le fais pas, tu faillis à ta mission. Allah te protégera contre les hommes."[v]
Le Prophète devint très vite la risée de tout le monde. Sa piété, sa probité, sa modération, son sérieux et son intégrité morale qui lui valurent le surnom de Al Amine (l'honnête) sont vite oubliés par ses concitoyens.
La Révélation fut accueillie par la dénégation, l'ironie, la dérision et le dédain. Mohammed est traité de fou, de sorcier, de devin (Kahin), de poète, etc. Il s'agissait pour l'oligarchie mecquoise de banaliser et de disqualifier la nouvelle religion et de l'étouffer dans l'œuf.
Les Koraiches vent debout contre la nouvelle religion
Avec les premières conversions et pour éviter que celles-ci ne fassent tâche d'huile, les persécutions firent leur apparition. On s'attaquait d'abord au petit peuple, aux citoyens sans défense qui n'ont pas la protection d'un clan ou d'une tribu. Pour leur faire renier leur foi, des citoyens modestes sont torturés par leurs maîtres mais, à l'instar de Bilal, ils résistèrent courageusement aux souffrances les plus inouïes. Les persécutions s'étendirent rapidement aux Koraïches eux-mêmes qui usèrent des châtiments corporels barbares pour dissuader leur progéniture d'embrasser l'Islam.
A l'approche du pèlerinage où un grand nombre d'arabes vont converger vers La Mecque pour accomplir un rite ancestral, les Koraïches jugèrent utile de poster des hommes aux entrées de la ville sainte pour mettre en garde les voyageurs contre Mohammed, présenté comme un dangereux sorcier.
Au fur et à mesure que les conversions à la nouvelle religion augmentaient, les chefs Koraïches enrageaient : "Quoi, dirent-ils, il a fait de tous nos dieux un Dieu unique."[vi] Excédés, les notables de La Mecque vinrent trouver Abou Taleb, l'oncle et le protecteur de Mohammed, pour lui demander de contraindre son neveu à mettre fin à ce qu'ils considèrent comme une entreprise déstabilisatrice. La réponse du Prophète fut sans appel : "Je le jure par Dieu, quand bien même ils mettraient le soleil dans ma main droite et la lune dans ma gauche pour qu'en retour j'abandonne cette cause, je ne l'abandonnerai pas avant qu'Il l'ait fait triompher ou que je sois mort pour elle".[vii]
Les persécutions se multiplièrent alors contre les partisans de Mohammed. Mais les adeptes de l'Islam ne renoncèrent nullement à leur foi malgré la torture, les railleries, les humiliations. Le Prophète lui-même, en dépit de la protection d’Abou Taleb, n'échappa pas aux insultes et aux injures. Une fois, alors qu'il accomplissait les sept circumambulations autour de la Kaâba, il fut violemment pris à partie par le funeste Abou Jahl, l'un des chefs redoutés des Koraïches. De retour de la chasse, son oncle Hamza, surnommé "le tueur de lions", dont la carrure semblait taillée dans le roc, apprit l'incident. Hamza n'avait pas encore embrassé l'Islam. Fou de rage, il se dirigea à grandes enjambées vers l'enceinte du sanctuaire et alla droit vers Abou Jahl qu’il frappa violemment avec son arc. Abou Jahl ne réagit pas – non pas qu'il eût peur même s'il savait qu'il ne faisait pas le poids contre Hamza – mais il ne voulait pas donner un prétexte à un homme de la stature de Hamza pour rallier la cause de Mohammed. Ce qu'il redoutait arriva. Hamza lui lança à la figure : "Sache qu'à partir de cet instant, j'embrasse la religion de mon neveu."
La conversion de Hamza à l'Islam et le nombre de partisans de Mohammed qui augmentait jour après jour, poussèrent les Koraïches à changer de stratégie. Utbah Ibn Rabiaa alla retrouver le Prophète et lui communiqua ce message au nom des chefs de tribus Koraïches : "Si c'est la richesse que tu cherches, nous rassemblerons pour toi une telle fortune, en puisant dans nos diverses possessions, pour que tu seras le plus riche d'entre nous. Si ce sont les honneurs qui t'attirent, nous ferons de toi notre suzerain, et nulle décision ne sera prise sans ton accord ; si c'est à la royauté que tu aspires, nous ferons de toi notre roi ; et si tu ne peux te délivrer par tes propres moyens de cet esprit qui t'apparaît, nous te procurerons un médecin et nous paierons ses soins jusqu'à ce que tu sois complètement guéri."[viii]
Le prophète répondit : "Je ne suis pas envoyé à vous pour cela. Si vous acceptez, ce sera votre chance en ce monde et dans l'au-delà. Mais si vous refusez, je me soumettrai à l'ordre de Dieu, jusqu'à ce qu'Il arbitre entre vous et moi."[ix]
Les chefs Koraïchess reviennent une nouvelle fois à la charge. Ils demandèrent à Mohammed de se joindre à eux pour discuter. La réunion ne servit à rien. Le Prophète n'avait rien à négocier. Et les Koraïches restèrent sur leur position : combattre par tous les moyens Mohammed et la nouvelle religion.
Les persécutions redoublèrent alors d'intensité. Pendant cette période insupportable, à plus d'un titre, pour les musulmans, la Révélation ne cessait d'exhorter le Prophète à la patience et à la sérénité : "Supporte avec patience leurs paroles, et prends congé d'eux en les saluant courtoisement."[x]
Un autre verset vient confirmer cette ligne de conduite que doit observer le Prophète et les adeptes de la nouvelle religion envers les mécréants : "Agis courtoisement envers les incroyants, laisse-leur momentanément un répit."[xi]
Le Coran venait aussi réconforter l'Envoyé de Dieu en lui relatant ce qu'ont enduré les prophètes avant lui.
La mise à l’épreuve ou le casse-tête des trois questions
Malgré les persécutions, les partisans de Mohammed, non seulement résistaient avec stoïcisme, mais leur nombre allait en augmentant. Les Koraïches étaient désorientés. Ils ne savaient plus que faire. Une idée leur vint à l'esprit : confondre le Prophète. Pour cela, il fallait, pensaient-ils, trouver plus fort que lui : quelqu'un qui était parfaitement au fait des Ecritures saintes. Les oligarques des Koraïches décidèrent alors d'envoyer des émissaires à Yethrib (la future Médine) où réside une importante communauté juive. Les juifs étaient les mieux indiqués pour démasquer "l'imposteur" car avec La Thora, ils étaient bien versés dans la chose religieuse.
Arrivés à Yethrib, les émissaires Koraichites se rendirent auprès des rabbins juifs. Ceux-ci leur répondirent en substance : "Posez-lui des questions sur trois choses dont nous allons vous instruire. S'il vous parle de ces choses, c'est qu'il est un prophète envoyé par Dieu, mais s'il ne vous en parle pas, c'est qu'il est un imposteur. Demandez-lui qui étaient les gens qui jadis quittèrent leur peuple, ce qui leur advint, car leur histoire est merveilleuse ; et demandez-lui des nouvelles d'un grand voyageur qui atteignit les confins de la terre à l'Orient et à l’Occident ; et interrogez-le sur l'Esprit, sur ce qu'il est. S'il vous parle de ces choses, alors suivez-le car il s'agit vraiment d'un prophète."[xii]
Dès le retour des émissaires à La Mecque, les chefs Koraiches vinrent trouver l'Envoyé de Dieu et lui posèrent les questions concoctées par les rabbins juifs. Le Prophète leur dit : "Demain, je vous répondrai" mais il oublia d'ajouter la formule propitiatoire "Si Dieu le veut." Aussi, la réponse mit quinze jours avant de lui parvenir. Les questions posées au Prophète et les réponses apportées par la Révélation sont contenues, notamment, dans la Sourate de la Caverne.
Avant de lui donner la réponse aux questions posées, le Coran est venu réprimander le Prophète : "Et ne dis jamais d'une chose : certes, je la ferai demain, sans ajouter : si Dieu le veut".[xiii]
Les trois questions reçurent chacune une réponse précise avec des détails jusque-là inconnus.
La première réponse concerne l'histoire des dormants d'Ephèse. C'est dans cette ville, au troisième siècle de l'ère chrétienne que quelques jeunes gens fuyant les persécutions de leurs concitoyens tombés dans l'idolâtrie se réfugièrent dans une caverne où ils furent surpris par un sommeil dont ils ne se réveilleront qu'après plus de trois siècles. "En plus des circonstances qui étaient déjà connues des juifs, le récit du Coran contient des détails qu'aucun œil humain ne pouvait avoir observés, comme l'apparence que présentaient les dormeurs pendant leur long sommeil, ou la façon dont leur fidèle chien restait couché près d'eux, les pattes de devant posées sur le seuil de la caverne".[xiv]
La deuxième réponse concerne le périple de ce grand voyageur appelé dans le Coran Dhou El Kharneïni (l’homme aux deux cornes). Pour la plupart des exégètes, il s'agit d'Alexandre le Grand. Pour d'autres, - ce qui est plus vraisemblable – il s'agit d'un personnage historique beaucoup plus ancien. Car il ne peut en aucun cas s’agir d’Alexandre Le Grand, polythéiste, disciple d’Aristote. Alors que le personnage cité dans le Coran est paré de toutes les vertus.
La troisième réponse concerne l'âme. « Il t’interrogent sur (la nature de) l’âme, dis-leur : « L’âme relève du mystère d’Allah ; il ne vous est donné de la science qu’une part infime ».[xv]
Moussa Hormat-Allah
Professeur d’université
Lauréat du Prix Chinguitt
[i] Ces quelques versets sont extraits de la sourate du « Caillot adhésif », Première
Sourate du Coran révélée à la Mecque.
[ii] Sahih Al Boukhari, Tome I, chap 1, page 4.
[iii] XXVI, Les Poètes, Verset 214.
[iv] XV, Hijr, Verset 94.
[v] Depuis la révélation de ce verset, le Prophète n’a plus cherché à se protéger contre les mécréants.
[vi] XXXIV, Sâd, Verset 5.
[vii] Ibn Ishaq, La vie de Mohammed, Page 119.
[viii] cf. La Sira d’Ibn Ishaq, Tome I, page 224.
[ix] in Ibn Ishaq, Tome I, p.217.
[x] LXXIII, L’Enveloppé, Verset 10.
[xi] LXXXVI, Le Visiteur Nocturne, Verset 17.
[xii] cf. Ibn, Ishaq. Tome I, page 230 et s.
[xiii] XVIII, La Caverne, Versets 23-24.
[xiv] cf. Martin Lings, Le prophète Muhammed, sa vie d’après les sources les plus anciennes.
[xv] XVII, Le Voyage Nocturne, Verset 85.