Raconter sa vie pourrait être, apriori, perçu comme un genre littéraire des plus ordinaires car toute vie humaine, si extraordinaire soit-elle, contient une part de banalité à laquelle seuls les prophètes ayant le statut de l'infaillibilité sont censés échapper.
Mais il arrive, souvent, que les récits autobiographiques de certains auteurs se présentent aux lecteurs soucieux d'apprendre et /ou de comprendre, sous forme d'un mémorable cahier de leçons.
Une vielle histoire des gens des tentes (tarikh Ahl lekhiam)
C'est en tout cas la première impression que j'ai eu en remontant "un certain parcours " de Monsieur Ahmed Kelly ould Cheikh Sidiya ..
En effet, l'une des premières leçons que j'ai révisées en lisant ce récit assez bref mais indéniablement, instructif tient à une vieille connaissance que j'ai eue depuis ma propre enfance du milieu familial à propos duquel l'auteur, que je n'ai pas eu l'honneur de connaître, parle dans son livre.
Encore enfant, j'avais de ce prestigieux milieu une haute idée façonnée par les inoubliables récits de ma grande tante et maman Mahjouba, fille de l'erudit Abdel Wedoud ould Ntahah ami et partisan de Baba ould Cheikh Sidiya.
Par elle, je savais presque tout sur la glorieuse vie du personnage central du récit, Abdoullah ould Cheikh Sidiya et notamment, sur la fascinante influence amicale qu'il a eu à exercer sur les familles smacid qui ont émigré de l'Adrar dans la décennie des années 40.
Aussi, je n'ai pas été surpris d'apprendre par l'auteur que ces vaillants émigrés ont tenté d'implanter une palmeraie à la porte du désert muet, précisément, aux alentours du puits du salut (Ain salama).
Dans l'histoire du village qui porte le nom de ce puits et qui meuble, en grande partie, le récit du narrateur, j'ai eu à relire une belle leçon tenant à histoire des gens des tentes (tarikh Ahl likhiam), laquelle histoire constitue en soi un tableau de la société Maure traditionnelle.
Il s’agit, certes, d'un vieux monde qui s'enfonce de plus en plus dans le temps mais qui, après tout, fait partie de notre histoire, celle de la Mauritanie.
De toute manière, le tableau qui m'est familier et dans lequel mon propre milieu familial maraboutique est représenté jusqu'au bout des ongles, par les érudits Mohamed Ali ould Addoud et Sidi Mohamed ould Daddah cités par l'auteur, se lit, en outre, comme l'histoire d'une vielle école que le sage Abdoullah a essayé, avec un succès inégalé, d'institutionnaliser.
L'épopée du Ma'had (institut) de Boutilimit
Sur ce point, j'ai éprouvé, en lisant le livre de Monsieur Ahmed Kelly, le secret sentiment que le pouvoir politique de l'État- Nation a commis une irréparable erreur en procédant à la fermeture de l'institut de Boutilimit.
Je suis d'autant plus porté à le croire que j'ai été parmi les premiers élèves du collège moderne qui a été installé dans les bâtiments de l'institut dissous.
Le Ministère avait, pour l'occasion, décidé d'orienter les admis au concours d'entrée en Sixième du centre d'Akjoujt vers Boutilimit.
Quelle fut la joie de mes parents quand ils apprirent que j'avais parmi mes professeurs, Ahmed ould Mouloud ould Daddah pour la langue arabe, Mohamed Yahya ould Addoud pour le fiqh et Ishagh ould Mohamed ould Cheikh Sidiya (cité dans le livre ). pour les sciences du coran.
Afin de préserver les emplois du personnel enseignant et autre de l'institut, les autorités nous ont, ainsi, accordé le privilège inespéré d'avoir des cours spécifiques avec les grands Maîtres de la vielle école.
Mais comme l'auteur d'un certain parcours le dit, quelque part, je pense que la dissolution de l'institut de études islamiques de Boutilimit fondé par le grand bâtisseur Abdoullah ould Cheikh Sidiya a privé la Mauritanie d'un outil de prestige qui lui aurait permis de rivaliser sans complexe avec les universités d’Al Azhar, Al Qairawan et Zeytouniya.
A qui revient cette impardonnable faute ? Il se peut qu’on ne le saura jamais mais il n'est pas exclu qu'elle soit le résultat d'un complexe de modernité.
Par-delà le complexe de modernité qui aurait été à l'origine de la fermeture insensée de l'institut des études islamiques de Boutilimit, le livre de Monsieur Ahmed Kelly apporte par ce qui y a été dit expressément, une leçon utile sur la vie d'une personnalité hors pair qui a marqué de son empreinte l'histoire de la Mauritanie.
En effet , on a tendance de nos jours ( déficit de mémoire nationale aidant ) à oublier le rôle, éminemment fondateur, que le grand Cheikh Abdoullah ould Cheikh Sidiya a joué dans la formation du noyau de l'Etat Mauritanien dont il était le quasi Président durant la période de gestation.
Mais le livre renseigne, surtout par ce qu'il laisse entendre implicitement ou plutôt par ce qu'il ne dit pas carrément, sur les événements d'un passé politique, maraboutiquement , occulté.
On sait davantage, désormais, par l'auteur d'un certain parcours , sur ce passé, passé sous silence, qui a été marqué par la forte rivalité politique opposant , courtoisement mais fermement , l'influent Abdoullah au futur premier Président de la République Moktar.
On en arrive à se demander si finalement la fermeture du prestigieux institut des études islamiques n'était pas une manière bien subtile d'effacer l'œuvre du grand bâtisseur dont l'ombre continuait de gêner le père de la Nation ?
De même il n'est pas interdit de penser que le kidnapping politique de l'auteur du livre nommé à peine sorti de son adolescence à tel point qu'on le surnomma "Ministre au biberon " qui était, en apparence, un précieux cadeau offert au vieux patriarche, cachait, en fait, le désir, intelligemment, maîtrisé par le Président Moktar de faire barrage à l'ambition de Souleymane ( jeune frère de Abdoullah ) ; lequel était l'unique fils du vénérable Baba qui avait fait l'école des Nazaréens.....
Mais tout ceci se lit à travers un voile de pudeur qu'une certaine élite boutimitoise sait porter avec une enviable élégance ,.
Globalement, le parcimonieux tome premier du parcours de son Excellence Monsieur le Bâtonnier Ahmed Kelly contient les éléments d'une saga mauritanienne, pour reprendre le titre du roman " Boutilimit " de Marcel G laugel dans laquelle défilent, tour à tour, Voltaire et le cadi Ismaël , le General de Gaulle et l'Emir Abderrahmane ould Soueid Ahmed , les chameliers du désert et les cultivateurs de la vallée etc., et qui, de ce fait , se présente, furtivement, comme un mélange de cultures différentes tout en renvoyant une belle image tenant à la gestion de la diversité raciale et tribalo-ethnique.
Mais la parcimonie est, particulièrement, ressentie quand l'auteur aborde certaines questions relatives aux affaires de l'Etat et aux sujets de l'histoire politique récente qui fâchent.
(À suivre)