Dans la ville sainte, tout le monde était là : Les dix mille hommes de l’armée du Prophète qui viennent d’y faire une entrée triomphale et le peuple de la ville qui a afflué de toute part. Une foule dense et serrée. Une véritable marée humaine qui avait littéralement recouvert la colline de Safa et al-Maroua, le puits de Zem-Zem et les alentours, s’étendant à perte de vue dans la vallée bénie.
L’instant était solennel. Le Prophète avait annoncé qu’il entrera dans la Kaâba, avec deux Compagnons mais sans dire lesquels. Chaque Compagnon à commencer par Abou Bakr, Omar, Othman et Ali espérait avoir cet honneur exceptionnel. Les visages étaient graves. Au premier plan, la fine fleur de la noblesse Koraïchite. On pouvait voir, encore ceints de leur épée avec des statures qui semblaient taillées dans le roc : Zoubair, Talha, Sâad, Al Abass, Jâafar, Abderrahmane Ibn Awf, Abou Oubeïda Ibn El Jarrah, etc. Des guerriers couverts de gloire et à la généalogie prestigieuse.
Sur ce, le Prophète apparut entouré des deux heureux Compagnons qui allaient entrer avec lui à l’intérieur de la Kaâba.
Le contraste physique entre les trois hommes qui marchaient ensemble était saisissant. Le Messager d’Allah était de teint blanc, les traits réguliers avec des cheveux soyeux d’un noir de jais qui lui retombaient gracieusement sur les épaules et ses deux compagnons de couleur noire, le nez camus et les cheveux crépus.
En honorant ces deux Compagnons, le Prophète a voulu montrer, une fois de plus, que la piété et le dévouement à Dieu et à Son prophète, sont les seuls critères d’hiérarchisation des hommes. Le Prophète, Oussama et Bilal – car il s’agit bien de ces deux là – montèrent les marches et entrèrent ensemble dans la Maison sacrée sous les regards envieux de la foule.
Ce rassemblement historique touchait à sa fin. Le jour déclinait. L’ombre apaisait la terre. L’air fraîchît. Au loin, la nuit commençait déjà à envelopper le paysage de son voile noir. Ici ou là, dans la ville, on entendait comme une douce symphonie, les bêlements familiers des troupeaux de moutons qui revenaient aux enclos. Affamés, agnelets et chevreaux leur répondaient, en cœur, par de frêles bêlements. Une symphonie ponctuée, de temps à autre, par le vol furtif d’un oiseau.
La prière d’Almoghreb approchait. Bilal, à la demande du Prophète, monta sur la Kaâba et lança de sa voix envoûtante l’appel à la prière. Un appel à l’unicité de Dieu sur les débris des idoles qu’Ali venait de briser en menus morceaux.
L’immense masse humaine qui entourait le sanctuaire sacré et ses alentours forma des cercles concentriques qui s’étendaient à l’infini. On devinait dans un clair-obscur les silhouettes des fidèles qui priaient autour du Prophète. Tous avaient les yeux rivés sur la Kaâba. Quand le Messager de Dieu commença à réciter la Fatiha – la première sourate du Coran – les gorges se nouèrent et on entendait des sanglots, ici et là. Des Compagnons s’improvisèrent en porte-voix pour relayer celle du Prophète. Une fois encore, c’est Bilal qui assura le premier relais.
Cette magnifique et puissante voix de Bilal continuera à appeler, jour et nuit, à la prière jusqu’à la mort du Prophète.