Définition et rôle de la culture
La culture peut être définie comme étant ce que nous sommes, ce qui façonne notre identité, nous unit et guide nos aspirations. Ainsi, elle est une condition et un moyen du développement des sociétés, le moteur et l'incubateur de toutes les évolutions sociales et le garant du succès de toute politique de développement. Une des fonctions les plus importantes de la culture est sa capacité à insuffler confiance et espoir à surmonter les difficultés circonstancielles, aussi dangereuses soient-elles, et à provoquer une renaissance globale.
Parmi les composantes de la culture, figurent les valeurs, comme le rejet de la discrimination raciale, l'amour de la justice, la tolérance religieuse, plus généralement les valeurs sociales qui cristallisent la responsabilité générale du groupe envers tout ce qui a trait à son intérêt ; les valeurs économiques qui appellent au travail bénéfique ; les valeurs intellectuelles qui invitent à la lutte contre l'analphabétisme et à la recherche du savoir, au respect de l'autre et de sa culture, à la considération du patrimoine et à sa revitalisation ; les valeurs nationales dont celles de la citoyenneté, de la défense de la patrie et de ses intérêts, ainsi que tout ce qui pourrait en rehausser l’image.
La priorité doit donc être donnée au travail culturel, en tant que base visant à susciter une prise de conscience générale de la vision que la communauté nationale devrait avoir d'elle-même, du projet communautaire qu'elle veut fonder, de la place qu'elle cherche à occuper dans la communauté humaine et dont les membres et composantes devraient être tous conscients, cherchant à se l’approprier afin d’agir en conséquence. Cela signifie que nous devons nous concentrer sur ce qui nous unit et nous motive, croire en notre capacité à réaliser nos aspirations et à atteindre nos objectifs.
Dans chaque histoire et chaque culture, il y a une part de « fardeau » et une autre de « motivation », comme dit Constantin Zuraïq. Le choix est donc crucial pour déterminer, en commun – individus, groupes et société – le devenir de notre pays. Cela nous appelle à mieux discerner notre passé, notre présent et celui de ceux qui nous voisinent, à identifier les facteurs de motivation et les problèmes de cohésion et à orienter les politiques à leur lumière.
Nous portons tous en nous, il convient également de le noter, une image de l'avenir et lorsque nous sommes satisfaits du présent ou convaincus qu'il changera pour le mieux, notre vision devient optimiste, marquée par la confiance en soi. Quand nous ne le sommes pas, nous avons tout à craindre des répercussions d’un avenir incertain et l’on se tourne alors vers le passé qui peut certes nous aider à surmonter les revers et à atteindre les sommets mais aussi se révéler fardeau qui nous enfonce plus encore vers le bas. Une telle ambiguïté oblige à reformuler correctement le passé dans notre conscience afin de le contenir plutôt que de laisser nous contenir, et à rehausser la valeur de nos motivations afin qu’elles nous guident et deviennent, pour nos générations futures, une matière à enseigner et à diffuser.
Le sociologue néerlandais F. Pollack (mort en 1985) a déclaré dans son livre « L'image du futur » que le mouvement ascendant ou descendant des images du futur précède souvent, sinon accompagne, la renaissance ou, inversement, le déclin de la culture. Tant que l’image que les sociétés perçoivent du futur est positive, la fleur de la culture reste épanouie et fructifère et c’est le contraire qui se produit si l’image perd son éclat et sa vitalité. On comprend ainsi notre devoir à chercher et valoriser les catalyseurs contenus dans notre culture afin de nous redécouvrir et nous charger d’énergie pour rendre notre avenir meilleur que notre présent.
Catalyseurs
Parmi les nombreux catalyseurs stimulant notre capacité de renaissance, j’en citerai ici huit. Tout d’abord, notre pluralisme culturel. Il est depuis longtemps réel dans notre pays. Ses diverses communautés ont coexisté dans l'harmonie, la cohabitation et le respect tout au long de l’Histoire, se sont mêlées et mariées, leurs affiliations culturelles et nationales se modifiant en fonction de leurs nouveaux environnements, quelles que fussent leurs origines ethniques. Cette prise de conscience devrait conduire à la conviction que la cohabitation pacifique durable passe nécessairement par la reconnaissance de la différence. Cette approche trouve sa parfaite interprétation dans notre religion, en particulier dans le Saint Coran, Volonté Divine qui honora les enfants d'Adam, Paix et Bénédictions sur Lui(PBL) : « Nous avons honoré les descendants d’Adam »,Saint Coran, XVII-70 ; et fit, de la diversité et de la pluralité, des Signes, à l’instar des cieux et de la terre : « Parmi Ses signes, la création des cieux, de la terre et de la diversité de vos langues et de vos couleurs. Il y a là des signes certains pour ceux qui étudient », Saint Coran, XXX-22.
Allah en fit aussi un sujet d’études. « Nous vous avons créés en mâles et femelles et répartis en différents peuples et tribus pour que vous vous apportiez mutuelle connaissance », Saint Coran, XLIX-13. Le Prophète (PBL) a même enchéri: « Ô gens, votre Seigneur est Un, votre père est un, il n’y a aucune faveur pour un arabe sur un non-arabe, ni pour un non-arabe sur un arabe, ni pour le rouge sur le noir, ni pour le noir sur le rouge, sauf la piété », hadith n°23536, rapporté par Ahmed. Ou encore : « Il n’est point des nôtres celui qui appelle au sectarisme, celui qui se bat pour le fanatisme, celui qui meurt intolérant », n°5121, rapporté par Abu Daoud.
On mentionnera également ici deux hadiths dont l'un évoque une femme entrée en Enfer à cause d'un chat qu'elle avait emprisonné et qu’elle n’avait ni nourri ni laissé libre de manger les vermines, tandis que le second parle d’une prostituée entrée au Paradis pour avoir abreuvé un chien assoiffé en lui donnant à boire à l’aide de sa sandale. Si les droits des chiens et des chats sont d'une telle importance pour Allah le Tout-Puissant, qu'en est-il alors des droits de Ses serviteurs qu’Il a honorés ?
Notre pays se doit d'être fier d'avoir appartenu à l'Empire du Mali dont le roi Soundjata Keïta promulgua, en 1236, la « Charte du Manden » ; autrement dit : des droits de l'Homme. Les pactes internationaux, à commencer par la Déclaration universelle desdits droits signée le 10 Décembre 1948, ont confirmé ces fondements juridiques et positifs et insisté sur le fait que « la diversité culturelle, source d'échanges, de renouvellement et de créativité, est nécessaire à l'Humanité au même titre que la diversité biologique des organismes vivants » et que « la diversité au sein et entre les sociétés ne doit pas être source de crainte, mais plutôt consacrée et considérée entant que richesse et force ».
Second catalyseur mais certes pas moindre : l’Islam béni qui a rassemblé les habitants de la région en unissant leurs cœurs, tout en restant le régulateur central du contenu culturel national de la vie sociale et l’attache la plus solide de l’unité. Il a également assuré la plus grande influence sur la production culturelle qui encourage le travail, consacre l'acceptation de l'Autre et préserve la coexistence civile pacifique. La Chari’a– le chemin – de l’Islam est, dans son ensemble, « justice, miséricorde, intérêts et sagesse » (2),« toujours là où se tiennent les signes de la vérité et les preuves de la raison [...] Elle a rendu obligatoires les droits de l'Homme à tout un chacun, en tant qu'être humain […] et ses buts visent à garantir à l'Homme tous ses droits, dans un système principalement tendu à la réalisation de la dignité humaine » (3). En cette lecture, les fanatiques sont, en tout temps et tout lieu, justement ceux peints par le dicton d'Ibn Qayyim al-Jawziyya : « Contrairement aux gens du savoir, [ils] acceptent ce qui est en accord avec leurs opinions et rejettent ce qui les contredit. »
Troisième catalyseur, le mouvement almoravide. Fort du soutien des armées du royaume d'Al-Takrur sous la direction de son roi Wargabi et de ses successeurs, ainsi que des royaumes de la région, en particulier l'État soninké de Zafon (Jafon), il réalisa deux prouesses dignes d’être perpétuées. Retardant la chute de l'Andalousie de quatre siècles, il unifia politiquement le Maghreb en conquérant Alger et y construisant sa Grande Mosquée en 490 de l’Hégire, sans avancer plus à l’Est déjà sous domination sanhadja (4). Une unification déjà acquise, donc, bien avant la fameuse réalisée par les Mouahidounes soixante-cinq ans plus tard.
Quant à leur seconde prouesse, elle est d’un plus grand impact, réunissant sous le rite malikite toutes les communautés musulmanes de la région, évitant ainsi bien des conflits. Les Mourabitounes concrétisaient ainsi le projet de réforme que dirigeait Abu Imran Al-Fassi. Celui-ci avait rencontré Yahya ben Ibrahim à Kaïrouan, l'avait orienté vers son élève Wejaj ben Zouloo qui le fit, à son tour, accompagner par son élève Abd Allah bin Yassin. C'est un acquis qui fait la fierté de notre pays et qui l'autorise à se considérer comme un partenaire principal dans le projet de construction du Maghreb arabe dont la relance est devenue urgente pour le sortir de l'enlisement. Si l’on se concentre sur les domaines de l'éducation, de la recherche scientifique, des industries pharmaceutiques, des intrants médicaux et d'autres besoins dont la pandémie Covid-19 a démontré le traitement sans retard, on parviendra à un tel résultat. (À suivre).
NOTES
(2) :Ibn Qayyim al-Jawziyya, « Ilamelmouaghiinaan Rabi elalemin », Dar Ibn al-Jawzi, Arabie Saoudite, 1423 AH, Volume 4, p.337
(3) : Dr. Ali Gomaa, « L'égalité humaine en Islam entre théorie et pratique », Dar Al Maaref, Le Caire, 2014, p 4.
(4) : Le professeur Muhammad Hajji a souligné dans sa traduction du livre « Description de l’Afrique » de Al-Hasan Al-Wazzan, Dar Al-Gharb Al-Islami, édition 2, 1983, T 2, p. 72, note 50, que les conquêtes des Almoravides s’arrêtèrent à Alger, car les contrées au-delà étaient sous l'influence de leurs cousins (deux émirats sanhajites à Kalâa des Beni Hammad et à Mahdia).