Elle tourne comme une toupie, demande par-ci et interroge par-là. Désemparée, seau dans une main et petit sac dans l’autre, ballant au gré du mouvement du bras. La dame d’un certain âge continue de faire le tour des étals et des boutiques pour assouvir ses besoins du quotidien. Pour elle, chaque nouvelle interrogation tient en laisse la précédente et lui donne ce frisson indicible si propre à une âme en peine. En arpentant la corniche sur l’autre pan du marché, elle tente, tenace et téméraire, de dégoter les prix les plus abordables qui sécuriseraient sa bourse du jour. Et la voilà, dans sa quête encore inachevée, à s’efforcer de tromper son désarroi par quelques vagues et habituelles salutations aux passantes sur son chemin de croix, histoire de dissiper un tant soit ses pensées toujours tenues par ce seau vide, vide de tout condiment susceptible d’agrémenter son potentiel repas du jour.
Tout augmente…
Baromètre du niveau de vie –au quotidien – des populations, le marché est aujourd’hui un cauchemar pour bon nombre de femmes qui redoutent le rythme auquel les prix augmentent en exponentielle, rendant arlésiennes les emplettes de jadis. Singulièrement, le prix des produits de première nécessité varie à l’inverse proportionnalité du salaire du fonctionnaire moyen. Concomitamment à cette situation, les revenus féminins fondamentalement basés sur les dividendes des produits teinturiers connaissent un égal affaissement, dû au problème d’écoulement de leurs marchandises, une faiblesse de la demande qui provoque la rareté voire l’assèchement des liquidités. Voilà comment, hantées par l’obsession d’acquérir quelques ouguiyas, ces braves femmes en arrivent à bazarder leurs produits au tiers du prix habituel pour se procurer le minimum vital.
Aujourd’hui au Gorgol, principalement à Kaédi, parvenir à mettre la marmite sur le feu, relève en effet du parcours du combattant. Les denrées de première nécessité, comme le riz, l’huile le riz, le sucre, le thé et autres ingrédients, sont devenues inaccessibles pour la plupart des bourses. Si le prix d’un article n’est pas passé du simple au double, celui-ci reste tout simplement introuvable, en raison de malsaines spéculations favorisées par l’absence de contrôle et de suivi qui devraient accompagner les fluctuations du marché. Un marché muant au bon vouloir des vendeurs, prenant dans ses dédales les populations de plus en plus vulnérables, condamnées à constater, la mort dans l’âme, l’écroulement hélas de tout le système marchand, tanguant dans la compétition entre les structures régulatrices de l’État et la puissance subtile des commerçants plus que jamais maîtres de ce jeu de yoyo. Sans pouvoir d’action ni sur l’un ni sur les autres, les consommateurs pris en tenaille paient les frais d’une connivence opaque, titanesque.
La flambée des prix est réelle : au demeurant de qualité douteuse, le bidon d’huile jaune qui se vendait, il y a quelque mois, entre 600 et 700 MRU, en affiche aujourd’hui le double. La viande, dont le prix au kilo varie selon la qualité et l’origine, entre 200 et 250 MRU. Même le savon de Marseille a subi une augmentation de plus de 120 % ! Cette ascension vertigineuse affecte toutes les denrées de consommation et suscite un climat de morosité qui frise le laisser-aller, creusant davantage le gouffre de pauvreté pour des populations prises au piège d’une politique tout-à-la-fois d’insouciance des uns et de profits éhontés pour les autres.
Le paradoxe est d’autant plus frappant que les boutiques «Emel », a priori alternatives de stabilité des prix et d’accès facilité des ménages aux denrées vitales, ont été complètement détournées de leur mission initiale. Il s’y ajoute que la vente du poisson subventionnée par l’État, qui devrait profiter à tous les ménages, est également devenue une aubaine pour les privilégiés et un cauchemar pour les plus démunis, faute d’équité dans la distribution et la répartition entre les quartiers.
…une dose de plus
Force est de constater qu’en plus des dysfonctionnements et des manquements, aussi bien structurels que conjoncturels, dans tout le système de production, surtout agricole, Kaédi, chef-lieu de région de la wilaya du Gorgol connue par sa vocation agropastorale, se meurt. Pour de multiples raisons : absence de campagne rizicole au niveau de l’irrigué, non-capitalisation des effets du Covid qui devraient pousser les agricultures vers une vison d’autonomie, optant pour des méthodes culturales axées sur les nouvelles techniques et approches agro-écologiques, notamment. C’est en somme au risque de devoir recourir à une forme de mendicité, déguisée en appui ponctuel non structuré, que le tissu social se désagrège, mettant au rouge tous les indicateurs d’une situation de famine non déclarée tirant chaque jour les populations vers des lendemains de plus en plus incertains.
Biry Diagana CP au Gorgol