Secteur des pêches : Comme un poisson… hors de l’eau. par Ishaq Ould Ahmed

5 October, 2022 - 16:50

En passant en revue la documentation existante et les données disponibles sur le secteur de la pêche, l’observateur indépendant reste perplexe. Des contradictions manifestes affleurent entre les données officielles et les réalités sur le terrain telles que perçues par les acteurs eux-mêmes et relayées par différents supports médiatiques.

Le leitmotiv bien connu « les côtes les plus poissonneuses du monde », s’est heurté ces dernières décennies, à une multitude de périls qui l’ont presque vidé de sa substance, remettant profondément en cause la structure du secteur et menaçant jusqu’à sa pérennité.

Le constat interpelle surtout si l’on sait que ce secteur occupe une place prépondérante dans l’économie nationale. Les quelques chiffres suivants en donnent une idée. On estime le potentiel à 1,8 millions de tonnes dont plus de 40.000 tonnes de céphalopodes et près 8000 tonnes de crustacés, en plus d’un million et demi de tonnes de pélagiques, sans parler de centaines de milliers de tonnes de démersaux. Néanmoins, en 2020, la part du secteur dans le PIB restait aux environs de 7 %. Un pourcentage qui ne reflète nullement l’abondance de la ressource, mais qui renseigne sur les aléas de sa gestion.

D’un point de vue officiel, tout au long des dernières années, des avancées importantes ont été enregistrées grâce aux stratégies mises en place, centrées sur une exploitation durable de la ressource. Pourtant, la réalité contredit souvent ces assertions. Malgré le potentiel impressionnant, les efforts censés créer une valeur ajoutée locale, n’auraient eu que peu d’impact ; une situation aggravée par la surexploitation de la ressource.

 

Manger un jour…manger toujours.

L’on comprend mieux pourquoi les populations n’ont pas ou peu bénéficié de l’abondance de cette ressource naturelle dont l’enjeu a toujours été – officiellement – de favoriser un développement économique intégré. Cet objectif stratégique passe principalement par la transformation, le développement de nouvelles filières, la diversification de l’exploitation de certaines espèces délaissées, la préservation du milieu et le renforcement de la surveillance. Mais surtout, l’amélioration de la gouvernance du secteur. Or, c’est au niveau de ce dernier facteur, que le bât blesse puisque de lui dépendra l’efficacité de tout le dispositif. Ici comme ailleurs, sans prêter un minimum d’importance à ce volet, tous les efforts resteront vains.

Face à l’impossibilité ces dernières années, pour bon nombre de citoyens de pouvoir acquérir le moindre morceau de poisson, devenu hors de prix, une société de distribution (SNDP) a été créée pour faciliter l’approvisionnement de la population en cette denrée devenue si rare. Confrontés aux affres de la pandémie Covid 19, au renchérissement des prix et à la mauvaise exécution des projets, les citoyens démunis ne savent plus à quel saint se vouer. À travers la SNDP, ils trouvent à manger un jour… faute de pouvoir manger pour toujours. Vendue à un prix subventionné et censée profiter aux plus vulnérables asphyxiés, entre autres, par la rareté de ce produit, la quantité de poisson congelé bon marché atteint aujourd’hui environ dix mille tonnes sur tout le territoire national. Une petite bouffée d’oxygène qui reste très en deçà des besoins énormes des nécessiteux. La société fait du reste face, du reste, à d’énormes difficultés liées notamment aux conditions d’hygiène.

Une gestion efficace et transparente de la pêche en général et artisanale en particulier, aurait pourtant pu contribuer à résoudre les problèmes du chômage endémique et de pauvreté. Là encore, durant des décennies, le gâchis accumulé est énorme à tel point que les connaisseurs du secteur affirment que la pêche traditionnelle n’est plus rentable aujourd’hui.

Des débats enflammés se sont multipliés ces dernières années, autour de la surexploitation par des opérateurs étrangers de nos ressources halieutiques – d’aucuns évoquent un pillage éhonté - au sujet de revendications d’employés du secteur, mais aussi sur la nécessité de corriger le tir et de changer de cap pendant qu’il est encore temps. Un secteur qui, à l’évidence, ne va pas bien, à l’image d’un poisson…hors de l’eau.

On ne peut s’empêcher, au demeurant, d’être effaré devant tant de difficultés auxquelles est confronté un secteur qui aurait pu constituer une locomotive de l’économie nationale. Difficultés généralisées qui touchent bien évidemment d’autres segments étroitement liés à l’exploitation de la ressource proprement dite. Il en va ainsi de la société des Chantiers navals qui, selon des médias locaux, se débat dans des problèmes financiers sérieux. Mais elle n'est sans doute pas la seule. Piètre consolation.

Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur la situation de telle ou telle entreprise publique, et analyser divers secteurs de l’économie nationale en essayant de relever les points faibles mais également en identifiant les points forts.

 

Ishaq Ould Ahmed

Consultant et expert financier agréé auprès des tribunaux mauritaniens