Radioscopie et enseignements d’une « Espérance déçue ». par le Professeur Boubacar N’Diaye

1 September, 2022 - 03:16

Il y a quelques (courtes) années, une (re)lecture opportune des mémoires du Père Fondateur de la Mauritanie m’avait amené à comparer, un peu futilement il est vrai, MoktarOuld Daddah, à deux de ses successeurs en treillis (voir, Re-lire Moktar : Le Marabout et ses Co(ns)lonels. Redux.http://lecalame.info/?q=node/6349).  C’était quand un certain Ould Abdel Aziz (qui se souvient encore de celui-là ?), au faîte de son pouvoir, sévissait et bien peu osaient mentionner ce qui était en cours alors : Une frénétique opération visant à faire main basse sur les richesses du pays, ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « Les affaires de la décennie ». Cette décennie qui a défiguré à jamais la Mauritanie de Moktar et compagnie.  Ces derniers n’en reconnaitraient ni le drapeau, ni l’hymne et même pas les patronymes d’une large partie de ses citoyens qui, désormais devront faire sans leur ‘Ould’ distinctif. Les circonstances d’alors m’avaient donc imposé de m’attarder sur le chapitre 14,si bien à propos pour une République se voulant avant tout « Islamique », intitulé « Nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et l’argent ».Je m’étais aussi lamenté que sans doute peu de Mauritaniens, même dans l’intelligentsia et la classe politique, se soient donné la peine de lire ce qui devrait être une lecture obligatoire pour tout Mauritanien qui veut comprendre la naissance dans la douleur de ce pays—et comparer les qualités de rigueur, d’intégrité et de dignité de Ould Daddah(ni un saint ni un prophète avais-je noté en passant) à celles de ses successeurs en Mufti. Comparer est toujours éminemment instructif !

Cet été, une autre lecture tout aussi opportune m’a amené à (re)lire, ici aussi, un autre livre qui devrait être lu par tous les Mauritaniens (certainement le peu de ‘francisants’ qu’il reste), en particulier tous ceux qui s’intéressent à la politique étrangère de ce pays, surtout celle qui a prévalu, menée tambour battant par l’auteur, sous l’éphémère ère démocratique.  Ce livre qui vient d’être réédité (gageons qu’il s’était vendu comme des petits pains, espérons-le en Mauritanie aussi !) est Mauritanie : L’Espérance déçue, 2006-2008 : Une démocratie sans lendemain (aux éditions L’Harmattan) de notre compatriote Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine. 

                                                               Compétence, intégrité, rien d’autre

Selon un témoignage fiable, feu Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, en digne héritier de Ould Daddah dont il fut le ministre, l’aurait nommé sans le connaitre, pourrait-on dire, sur la base seulement (pensez donc !) de sa réputation de compétence et d’intégrité intellectuelle avérées. Le Président Ould Cheikh Abdallahi n’a d’ailleurs pas manqué, entre autres, de souligner son appréciation de la rigueur intellectuelle de son ancien ministre, son professionnalisme, son « grand amour… pour [son] pays » et « la passion … de le servir pour faire prévaloir la liberté, la dignité et le bien-être de [ses] compatriotes ». Ce satisfecit appuyé, en dépit du fait que l’auteur est parfois assez critique des décisions que Ould Cheikh Abdallahi a été amené à prendre durant une présidence des plus courtes, qui fît face à des défis énormes, avec un Général Ould Abdel Aziz (et bien d’autres !) complotant dans son dos, armé qu’il était des pouvoirs et privilèges qu’il lui avait lui-même fournis !Diplomate de carrière—professionnel-- et se voulant seulement cela, les mêmes qualités que Ould Cheikh Abdallahi a décelées en lui avaient sans doute valu à Ould Mohamed Lemine d’être nommé par Ould Taya comme ambassadeur (après un parcours fécond et formateur dans les arcanes et édifices de la diplomatie multilatérale à New York et Genève, avec un carnet d’adresses étoffé et de solides amitiés à la clef). Une nomination faite sans qu’il n’ait jamais eu à participer à l’ubuesque « campagne du livre »,être « descendu » vers sa région d’origine pour faire de la figuration lors des « visitations » du colonel, ou s’être affiché par quelque « message de soutien » opportuniste au « guide éclairé » d’alors. A comparer (mais oui, cela est pédagogique !) à la nomination par Ould Abdel Aziz, après son coup, comme ministre des affaires étrangères, de son cousin qui, tout intellectuel de (relatif) renom qu’il fut, connaissait la Diplomatie comme Ould Abdel Aziz lui-même maitrisait la physique quantique. L’aversion primaire que celui-ci nourrit pour les intellectuels s’avéra bien plus dense que le sang en partage. Ledit cousin fut rapidement congédié, malgré ses efforts pour justifier précisément la mise à mort de cette ‘Espérance’ suscitée par la présidence de Ould Cheikh Abdallahi, paix à son âme !

D’emblée, que l’on permette à l’éducateur que je suis de s'épater qu’un Wezir de notre République, en plus du don d’une si belle plume, d’une maitrise si impressionnante de son sujet, sache aussi passer allègrement d’une citation de Hans Morgenthau ou Raymond Aron à l’Imam El Hadrami, de là à mon ami, penseur moderne, Gilles Yabide WATHI à… la Boétie. Il se donne aussi le luxe d’excursions magistrales sur les normes protocolaires des cours impériales des empires byzantin ou ottoman ou encore de brèves leçons d’histoire, contemporaine ou ancienne, sur tel ou tel aspect des relations internationales, régionales ou de dynamiques politiques internes de plus d’un pays partenaire de la Mauritanie. Un raffinement d’intellectuel donc par quelque définition que l’on use. Que Ould Abdel Aziz, une fois au pouvoir, se soit acharné avec sa mesquinerie coutumière sur cet ancien ministre aux qualités décidément rarissimes parmi nos élites ne surprendra donc personne. 

Il n’est pas facile bien sûr de faire justice à un livre qui a accompli le tour de force de couvrir une multitude thèmes, d’aires géopolitiques, et d’ères historiques en à peu près 400 pages seulement.

Le livre est simplement fascinant.  Le plus blasé des lecteurs le lirait d’un trait. Il combine talent d’écrivain, mémoire prodigieuse, exégèses édifiantes des aspects les plus obscurs ou procéduraux des enjeux diplomatiques, rappels explicatifs d’articles de la convention de Vienne, et analyses lumineuses des stratégies, objectifs, et intérêts nationaux poursuivis (ou qui devraient l’être) par l’État mauritanien dans ses relations avec ses partenaires. Ould Mohamed Lemine ne se fait non plus économe d’anecdotes savoureuses. Celle du diplomate haut en couleurs et …blond de la Centrafrique qui remplace un de ses collègues qui, en déficit de tact diplomatique, osa aussi mettre en cause l’africanité de l’Algérie, ne manquera pas de faire sourire (pp. 74-76). D’autres anecdotes seraient même hilarantes si elles ne dénotaient le délabrement, en fait de la clochardisation pitoyable, de l’appareil diplomatique mauritanien sous le régime militaire(en fait celui de Ould Taya étant donné sa durée).Une de celles-ci relate l’accueil réservé par un Ministre des Affaires Étrangères, officier supérieur de son état)à la toute première promotion de diplomates du pays, qualifiant, avec un air qu’on imagine grave et dédaigneux, leur formation (plus de vingt ans après l’indépendance du pays !) d’« erreur » qu’il s’engagera à corriger (p. 291).À bien des égards donc, Mauritanie : L’Espérance déçue 2006-2008estaussi un documentaire captivant. Il peut être considéré une apte chronique spécialisée d’une certaine Mauritanie (celle que j’ai appelé La Mauritanie des Colonels), ses tares, intrigues de bazar, et pesanteurs sociopolitiques, pendant l’interlude démocratique (mais aussi immédiatement après), que même ses citoyens les plus avertis connaissent sans doute assez peu.

                                               ‘Syndrome de Stockholm’ diplomatique ?

Une fois de plus, cependant, un évènement concomitant avec ma relecture du livre m’amène à me concentrer sur certains quelques passages du livre qui y sont pertinentes. Cet évènement c’est la récente déclaration, sans doute un ‘glissement freudien’, si l’on veut être charitable, du chef religieux marocain Ahmed Raissouni. M. Raissouni est, parait-il, rien moins que président de l'Union internationale des oulémas musulmans (UIOM). Dans un pays dont le souverain est ‘commandeur des croyants’, il est donc aussi un homme politique pur-sang. Il s’est sans nul doute délecté à nous rappeler les thèses et desseins chimériques de son compatriote Allal al Fassi et sa cohorte qui ont dominé les premières années de l’accession de la Mauritanie à la souveraineté internationale. Soit, mais ses élucubrations sont aussi une invitation bienvenue à revisiter ce qui a rendu possible le triomphe de la Mauritanie de Moktar sur de l’expansionnisme marocain, ce que, opportunément, Mauritanie : L’Espérance déçue 2006-2008 nous permet.                                                   

En son chapitre 2, « l’accession de la Mauritanie à l’Organisation des Nations Unies », Ould Mohamed Lemine relate dans un style digne d’un roman à suspense les péripéties qui ont entouré l’admission de notre pays au sein de l’Organisations des Nation Unies. Il y met en exergue les manœuvres diplomatiques, et même manigances, de ceux qui s’y sont obstinément opposés et les efforts soutenus de ceux qui se sont démenés, pour arracher la Mauritanie embryonnaire à la détermination du Maroc de l’annexer. 

Sa conclusion (qui reflète celle de Moktar), la voici : « Dans ce combat crucial, le soutien sans failles et la solidarité agissante manifestés par les États membres de l’Union Africaine et Malgache constituent une dette d’une valeur inestimable que notre pays ne doit jamais oublier et pour laquelle nous devons être éternellement reconnaissants. Si nous sommes aujourd’hui ce que nous sommes c’est grâce à ce soutien » (p.57).Seule la Tunisie « qui occupe une place particulière dans nos cœurs et dans notre Histoire » comme le souligna Moktar, a ramé à contre-courant d’un monde arabe en rang serré et uni derrière le Maroc, certains avec un acharnement exceptionnel, pour empêcher l’entrée de notre pays aux Nations Unies. Même si beaucoup d’eau a, depuis, coulé sous les ponts, les mauritaniens ne devraient jamais oublier la dette qu’elle doit à l’écrasante majorité des États africains alors indépendants qui, en dépit des défis multiples inhérents à leur statut de nouveaux arrivants sur la scène internationale n’ont ménagé aucun effort pour que la Mauritanie, comme tous les territoires sous domination coloniale, s’autodétermine. Si la Guinée, la Ghana et le Mali du fait de leur appartenance au « Groupe de Casablanca » n’ont pas fait partie de ceux qui l’ont soutenu (le Mali du fait d’un contentieux territorial séparé légué par les manœuvres du colonisateur), même ceux-ci sont rapidement revenus à la raison, surtout après la création de l’OUA.  Ce ne fut pas le cas des États arabes alors indépendants. Pour la plupart, il a fallu attendre plus d’une décennie pour accepter la souveraineté de la Mauritanie.  Ceux qui n’ont jamais cru que certains milieux ‘Istiqlaliens’ au Maroc aient réellement renoncé à faire de la Mauritanie une province marocaine un jour, ne seront pas surpris des rêveries de M. Raissouni.  Ils ne seront pas surpris non plus de lire qu’un ancien Premier Ministre (et ancien Ministre des Affaires Étrangères) du Maroc, Abdellatif Filali, en présence de deux de ses anciens collègues, « regretta pratiquement, lors d’une conférence organisée à l’occasion de la publication de ses mémoires (…) le fait que Maroc n’ait pas envahi notre pays au lendemain de son indépendance » (p.90).Ceci plus d’une génération après avoir formellement reconnu, enfin, la souveraineté de la Mauritanie, et l’avoir ensuite entraînée dans l’aventure de conquête du Sahara Occidental au bout de laquelle notre pays fut le grand perdant et continue, à ce jour, d’en payer le prix fort. L’on ne peut que se demander quelle aurait pu être le sort d’une Mauritanie, reconnue du bout des lèvres seulement par Rabat, avec des milliers de soldats marocains stationnant sur son territoire, avec un régime aux abois, si le coup d’état du 10 juillet 1978 n’avait pas brouillé les cartes.  Ou si la tentative de coup d’état de Kader et compagnie en 1981 n’avait pas échoué.

Une autre connexion qui pourrait être faite entre la déclaration de M. Raissouni et ce livre et à propos de laquelle le lecteur ne manquera de se poser des questions est ce qui a bien pu être discuté au cours du « tête à tête » entre le roi du Maroc et le Général Ould Abdel Aziz (p. 80) dont les attaches avec le royaume ne sont un secret pour personne. Celui-ci, alors Chef d’État-Major Particulier du Président Ould Cheikh Abdallahi et toujours Commandant du BASEP (véritable armée dans l’armée et instrument du coup d’état du 3 Août 2005) qui, selon l’observation pertinente de Ould Mohamed Lemine, semblait, en fait, avoir l’État mauritanien sous son contrôle (p.355).  Le Général était au Maroc porteur d’un message présidentiel ayant trait à la sécurité du pays et ce, à quelques mois seulement du coup d’État du 6 Août 2008. Curieusement, le « cas » du Ministre des Affaires Étrangère mauritanien (l’auteur du livre), soupçonné à tort de sympathies pro-Sahraoui, aurait été discuté, si l’on en croit un reportage (non sans arrières pensées) qui avait été fait de ce tête à tête (p. 80).

Il ressortira d’une lecture attentive de la portion du chapitre 3 intitulée « Ancrage maghrébin » (pp. 63-107, soit 44 pages) que, à l’exception, encore une fois de la Tunisie, nos partenaires dans cette sphère géoculturelle (à laquelle on pourrait d’ailleurs ajouter l’Égypt) ont eu une tendance marquée à traiter la Mauritanie comme quantité négligeable. Notons que ce ne fut jamais le cas, bien au contraire, de la part des États de l’Afrique Sub-Saharienne, à laquelle, en comparaison, une dizaine de pages seulement ont été consacrées (pp. (107-117) ; parce qu’il n’y avait pas tant à discuter après tout de nos relations avec tout le reste du continent !(Un autre héritage douteux de Ould Taya, pourrait-on ajouter). Il est indéniable que la carence de notre diplomatie, des décennies durant, est en partie responsable de cette situation. Page après page, l’auteur en détaille méthodiquement la déliquescence et sa détermination d’y remédier en la mettant sur des bases rationnelles pour surmonter l’indigence intellectuelle, éthique et organisationnelle de l’appareil dont il a hérité. L’auteur le reconnait :La diplomatie mauritanienne était dans un « état lamentable », navigant à vue « depuis 1978, sans politique étrangère claire et cohérente… pas consultée lorsqu’elle est présente, ni attendue lorsqu’elle est absente… »(p. 29).

Cependant, une certaine attitude qui semble être dans l’ADN politico-culturel de nos amis maghrébins et le complexe de supériorité qui en résulte à notre égard est aussi et surtout à blâmer dans leur manière condescendante de nous traiter. L’on pourrait en extrapoler ce qui s’apparente à un « Syndrome de Stockholm diplomatique » où, dans notre cas, au lieu du kidnapping comme élément constitutif et nécessaire au développement du syndrome, la victime s’est volontairement offerte à ses tourmenteurs.  Il apparait que depuis 1987, Ould Taya mijotait déjà son quasi divorce d’avec ceux à qui nous devons en grande partie l’imposition de notre souveraineté internationale. En 2004, quelque temps après avoir claqué la porte de la CEDEAO, il renoncera définitivement à la fameuse stratégie en politique étrangère, à la fois organique, imaginative, et vertueuse, de ‘trait d’union’ de ‘passerelle’ entre le monde Négro-Africain et le monde Arabo-berbère chère au Père Fondateur de la Mauritanie, pour nous jeter dans les bras plutôt dédaigneux de nos voisins du Nord—au mépris évident de nos intérêts nationaux. Il est à l’honneur de Ould Mohamed Lemine, alors diplomate fraichement émoulu d’avoir donné un avis défavorable à cette initiative lorsqu’il lui fut demandé d’en étudier les possibilités et retombées en 1987 (p. 209).  Les dysfonctionnements et la paralysie insidieuse pour lesquels l’Union du Maghreb Arabe (UMA) est fameuse, le traitement parfois humiliant que nous subissons de la part de nos frères maghrébins et les exercices d’équilibrisme exténuant auquel nous forcent les tensions permanentes entre le Maroc et l’Algérie (et la RASD) (sans oublier les frasques du Guide Libyen jusqu’en 2011) depuis 2005 ont amplement validé la pertinence de l’analyse et le flair qui ont sous-tendu sa conclusion que Ould Taya, de toute évidence, ignora royalement.

Toujours sur ce chapitre, enfin, il ne sera pas fortuit de rappeler ici une réalité qui a pré-daté la sortie de M. Raissouni et ses effets (le déclenchement de mauvais souvenirs) mais qui néanmoins existe bien, même si on en parle peu.  Les Sub-Sahariens qui vivent ou qui visitent la Mauritanie sont trop souvent victimes de ce qui, sous d’autres cieux où le racisme anti-noir est une donnée omniprésente (et concédée par les sociétés en question), est appelé le « délit de faciès ». Ce phénomène (qui n’existait absolument pas avant 1978) n’épargnerait même pas, selon certains incidents reportés ici et là, les noirs Mauritaniens. Qui s’en étonnerait, étant donné notre histoire récente (et certaines idéologies qui l’ont influencée)? Tous les mauritaniens qui se sont à juste titre offusqués des mots insultants de M. Rainoussi ne peuvent pas ne pas les situer dans leurs contextes historique mais aussi immédiat de notre lutte, qui n’est apparemment pas parachevée, de faire échec une fois et pour toutes aux velléités encore tenaces chez certains de nos frères marocains à nous vassaliser.

Au-delà de toute autre considération qu’il n’est pas utile de rappeler, tous ceux qui sont investis d’une parcelle des attributions et pouvoirs de l’État, en fait tout citoyen mauritanien, se doivent de se rappeler que les ressortissants des pays de l’Afrique Sub-Saharienne viennent d’États auxquels nous devons tant. Faire honneur à l’Histoire de notre pays (et recadrer M. Rainoussi) implique traiter leurs citoyens correctement--dignement.  Les Rainoussi de ce monde nous rappellent que nous pourrions peut-être bien avoir besoin du soutien des mêmes états de nouveau pour survivre et prospérer.

                                                                               Le mot de la fin

Finalement, certains lecteurs du livre ne manqueront pas de se demander comment un cadre d’une telle qualité, embrassant des principes si louables et si rares dans notre classe politico-intellectuelle a pu servir, pendant toute sa carrière, le régime de Ould Taya étant donné l’écho assourdissant du tintamarre des casseroles que celui-ci a trainées (violations massives des droits de l’Homme, relations diplomatiques ‘honteuses’ avec Israël, et j’en passe) ? Sans répondre à cette question per se, la ‘réponse’ de l’auteur est diffuse à travers le livre : Le diplomate professionnel, pourrait-on extrapoler, se pince le nez (comme on dit chez nous), se concentre sur son service à l’État Mauritanien et non à un régime ou à un homme. Il s’en tient strictement, dans les limites de sa déontologie, aux orientations fixées par le gouvernement du moment qui incarne l’État. Voilà tout ! Il ne serait pas exagéré alors de présumer que le diplomate Ould Mohamed Lemine a du faire violence à son nez assez souvent. 

Le témoignage(en annexe du livre) qu’un de ses prédécesseur sa publié en 2012 mérite d’être lu : Ce livre, a-t-il écrit,

« retrace le parcours exemplaire d’un diplomate chevronné qui, guetté par les sollicitations, les dérives et pressions dévastatrices d’un environnement ravagé par le népotisme et l’injustice, est resté honnête, professionnel et digne.  L’ayant connu comme ministre, et comme ambassadeur, je témoigne de son mépris pour la chose « politicienne », son courage, son esprit d’indépendance, et méthode, sa prodigieuse mémoire et sa forte capacité de synthèse… »

 

Quel hommage ! Et pourtant, Ould Mohamed Lemine était alors et est encore vivant, et bien portant !

A ma connaissance, il n’y a pas de tradition de « serviteurs », de « grands commis »de l’État mauritanien qui écrivent pour la postérité ou pour partager avec leurs contemporains leurs expériences professionnelles et les possibles leçons à en tirer afin que cet État soit mieux servi par leurs successeurs. Il est à espérer que le bel exemple que Ould Mohamed Lemine donne ici soit suivi par d’autres.

 

 

                                                                                                                              Professeur Boubacar N’Diaye