« La France n'a pas le choix », reconnaissait le président français lors d'une récente tournée au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau,« si elle veut continuer à conserver une certaine influence sur le continent africain ». Cette lucidité aurait-elle tiré la leçon de soixante années d’aléas post-coloniaux où engoncée entre interventions politiques et militaires, la patrie des droits de l’Homme n’aura guère fait avancer, c’est « le mieux » qu’on puisse dire, la situation des peuples africains ?
Le fait est que « l’ordre » toujours en cours du Monde confine l’Afrique, plus extensivement le « Tiers(Trois-quarts)-Monde », en pourvoyeurs de matières premières et de consommation des sous-produits industrialisés ailleurs à partir de celles-ci. Une organisation que la France – à tout le moins son État, ses banquiers et ses industriels – se sera obstinément appliquée à mettre en place du 17ème au 21ème siècle, en compétition effrénée avec l’Angleterre puis les USA et l’URSS. D’autres nations moins directement impliquées dans cet inique agencement et donc moins remarquée dans la colonisation de l’Afrique – le Japon, la Turquie et surtout la Chine – se sont beaucoup employées, ces dernières décennies, à paraître de plus intéressants partenaires. Avec des visions autrement équilibrées des rapports internationaux ?
Une telle attitude requerrait une vraie volonté de transformation sociétale à l’échelle planétaire. En dépit de l’accumulation des problèmes sociaux et environnementaux, on en semble hélas encore loin. La macro-économie persiste dans sa dictature, ravageant toujours plus les équilibres du Vivant. « Il faut parier sur le soft power », proclamait déjà Macron à Ouagadougou en 2017, « privilégier le dialogue avec la Société civile et la jeunesse africaines plutôt qu'avec ses dirigeants ». Cinq ans plus tard et à défaut d’avoir efficacement contribué à développer une réelle autonomie de la Société civile en Afrique – mais aussi dans l’Hexagone… – l’État français se retrouverait-il réduit à ne promouvoir que des concerts de rap à Nouakchott ou à Douala ?
Relations réductrices
La vérité est que les options prises depuis près de trois siècles et singulièrement aiguisées avec l’avènement de la révolution industrielle ont fomenté des relations très réductrices entre groupuscules français et africains. Elles sont tenaces. Les uns prospectant et négociant au plus bas prix possible l’exploitation des ressources du continent noir, les autres chargés d’en faire avaler la pilule à ses peuples – plus ou moins 90% des gens – et rémunérés suffisamment en conséquence pour imposer à ceux-ci les diktats de telles rapines légalisées. Et tandis que 50% des populations industrialisées peinent à vivre, c’est à survivre que sont contraintes 75% de celles dites sous-développées.
Le Monde attend une vraie révolution. Et, de préférence, sans les outrances de celle de 1789 qui entendit inaugurer des droits populaires en massacrant tant de gens (quatre cent mille en moins de dix ans, pas vraiment une bagatelle…). Celle qu’espèrent les trois-quarts du Monde – plus probablement les neuf dixièmes, si l’on y intègre les masses populaires des pays industrialisées – doit engager des politiques liant équitablement les gestions écologique, sociale et économique de la planète. Trustée par des entités surpuissantes à mille milles des réalités triviales du local et des gens, la dialectique public-privé s’en est révélée incapable, les désordres sociaux et environnementaux en témoignent journellement.
Ce qu’il s’agit de développer, c’est un domaine civil strictement consacré au respect des équilibres du vivant et dûment soutenu à cette fin par des revenus perpétués dans le temps, à distance des contraintes du marché (1). En y engageant conjointement son État et la crème de son secteur privé, la France saurait-elle s’y distinguer, deux cent trente-trois ans après la prise de position de sa 1ère République ? Elle serait alors en mesure d’accomplir le pas réellement décisif pour régler les « non-dits » et les « incompréhensions » liés à la colonisation qui « nourrissent la défiance » – reconnaît monsieur Macron –envers mon pays natal, celui de mes aïeux dont j’aimerais tant voir honorer la culture par mes enfants et nombreux amis mauritaniens.
Ian Mansour de Grange
Note
1 – voir http://lecalame.info/?q=search/node/propriété%20et%20développement%20durable