Le recul des valeurs humaines
L’euphorie qui avait suivi la disparition du bloc de l’Est ne durera pas longtemps. Le système capitaliste triomphant étendit ses tentacules sur toute la planète. Même la Chine communiste, pour résister à la nouvelle reconquête capitaliste se dépêcha d’inoculer de fortes doses « bourgeoises » dans son système, officiellement encore socialiste. Comme au tout début de la conquête coloniale, le marché des produits manufacturés se mit à occuper tous les espaces. Les économies traditionnelles, en Afrique notamment, périclitent. Le système marchand, à caractère capitaliste, occupera pour la première fois l’ensemble de la surface du globe terrestre. Ce sera le prélude à la mondialisation.
En Afrique, les populations perdent leur indépendance alimentaire. Deux phénomènes seraient à l’origine d’une telle situation. D’abord ce que l’ex-chef d’Etat sénégalais, Léopold Sédar Senghor, appelait « la détérioration des termes » de l’échange. Celui-ci n’avait cessé de dénoncer la dégringolade des prix des produits agricoles et miniers africains notamment, et la montée exponentielle et continue des prix des produits manufacturés, importés du monde industrialisé. Les grandes sécheresses des années 1970 et 1980, ne feront qu’accentuer cette tendance.
Les populations du Sahel, désormais complètement démunies du point de vue de la production agricole, deviennent à la merci du marché mondial des céréales. Certains grands céréaliers mondiaux prônaient cyniquement de profiter de la sécheresse pour apprendre aux populations sinistrées du Sahel des habitudes alimentaires qui leur feraient oublier leurs anciens produits vivriers. Mission considérée comme accomplie aujourd’hui.
Le monde du travail commença à s’inquiéter. Les travailleurs risqueraient de perdre leurs grands acquis sociaux arrachés de hautes luttes et au prix de nombreux sacrifices. L’affaiblissement généralisé des partis et organisations de gauche, hier fortement présents, ne fera qu’accentuer cette inquiétude, libérant ainsi le champ à l’ascension des groupes et partis politiques se réclamant, désormais ouvertement, des doctrines fascistes et nazies. Dans le monde de la mondialisation, les valeurs tendent à s’inverser. Devant l’offensive du vice, la vertu résiste difficilement.
Voler et violer, détourner et mentir, frauder et falsifier, racisme et égoïsme… voilà quelques exemples de vices qui, hier honnis, se fraient aujourd’hui progressivement le chemin de l’acceptabilité morale et de la légitimation.
Leurs contraires sont de moins en moins usités puisque sonnant mal à l’oreille d’un interlocuteur qui se veut désormais « pragmatique et réaliste », comme le nouveau l’ex-président (toujours présent) Trump des Etats Unis. Celui-ci fut un pur produit de la nouvelle conception tronquée des valeurs humaines. La morale et les valeurs d’humanité et toutes références d’ordre spirituel ou éthique sont bafouées et de plus en plus rejetées par des classes de gouvernants prônant au grand jour des politiques d’extrême droite et d’exclusion. La planète est menacée par une exploitation effrénée de ses ressources. On se soucie peu des considérations humanitaires et écologiques. On est loin du temps où la mort d’un enfant palestinien, le petit Mohamed al Durah, en septembre 2000, dans les bras de son père, touché à mort par un tir israélien, ébranla la conscience universelle et provoqua une controverse inédite. Aujourd’hui tuer froidement et au même moment des dizaines de palestiniens désarmés ne soulève plus personne. Elle ne vaut même pas la peine d’être citée dans les « BreakingNews » des journaux télévisés du monde entier ou « à la une » de la presse écrite.
Le recul démocratique
Dans les pays sous-développés, après une courte transition de démocratisation de la scène politique, sous la pression des gouvernements occidentaux visant surtout à l’époque, à accélérer les vagues de changement en Europe de l’Est, on revient à la case départ: liquidation des mesures de démocratisation et retour aux régimes autoritaires. Ce retour se passe sans peur et désormais sans reproche du moment que plus personne ne se présente pour freiner les ambitions autoritaires des détenteurs du pouvoir.
Chaque petit potentat mettait en garde les prétendants dirigeants de la Communauté Internationale contre « toute ingérence » dans les affaires intérieures de « sa nation ». La nation dont il se prévalait fut dans la plupart des cas une création coloniale arbitraire, entièrement artificielle. Au nom d’un nationalisme béat, chaque despote se donne l’entière liberté de réprimer et de massacrer ses concitoyens comme bon lui semble. L’unique condition est d’être en parfaite harmonie avec les nouveaux maîtres du monde : les apôtres de la « Communauté Internationale ».
On proclama donc l’avènement de la mondialisation. Le terme demeure flou. Il manque de définition précise. On s’accorde à lui donner comme signification, encore vague, l’intégration systématique du monde dans une sorte de village planétaire unique.
Le phénomène de la mondialisation inquiète. Aux yeux des plus démunis, il semble servir principalement les intérêts de la grande bourgeoisie capitaliste. Aujourd’hui rares sont ceux qui contestent que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Aussi, tous s’accordent que ce genre de situations ne peut en aucune manière se perpétuer indéfiniment. Comme, hier, le capitalisme, avait engendré le socialisme, aujourd’hui, le phénomène de la mondialisation est en train de chercher lui son contraire: l’alter mondialisme. Aussitôt né, l’alter mondialisme se mit à remettre en cause le système capitaliste ; il se propose comme alternative. Pour y parvenir, il manque encore de consistance pour se donner une stratégie claire. Il rencontre de sérieuses difficultés pour sortir de l’adolescence, pour ne pas dire de l’enfance.
Le jeu des G7
Partant du constat que la mondialisation est par essence capitaliste, l’alter mondialisme, sans se référer directement au socialisme, s’en inspire fortement dans ses propositions de solutions aux multiples problèmes générés par la situation post-guerre froide. De grandes manifestations, souvent violentes, furent organisées devant les lieux de réunion du groupe des 7 ou G7, les 7 pays occidentaux plus le Japon, considérés jusqu’à récemment comme les plus riches du monde et cherchant désespérément à conserver leur monopole de richesse.
Pour les manifestants, les réunions de ces 7 pays, tous capitalistes, ont pour principal objet l’exploitation continue, sans pitié et à leur unique profit des richesses du monde entier. L’insouciance des 7 vis-vis du réchauffement climatique et de l’environnement est également dénoncée un peu partout. Le G7 rencontre depuis presque une décennie de nouveaux défis. L’émergence de quelques pays dont la richesse risquerait de les dépasser. Le cas des pays dits émergents, notamment la Chine et l’Inde. Ces deux pays asiatiques menacent de déplacer le centre de gravité du monde, de l’Occident Européen et anglo-saxon vers l’Asie. La Chine et l’Inde s’ajoutent au Japon et aux tigres asiatiques comme la Corée du Sud, Taïwan et Singapour.
La « Chine Nouvelle »
Mao Tse Toung, le fondateur de la République Populaire de Chine, avait toujours rêvé de placer son pays au sommet du monde. C’était ainsi qu’au tout début de la guerre de libération de la Chine contre le Japon, dans les années 20 du vingtième siècle, il présageait de voir la Chine apparaître exactement comme ce qu’elle est en voie de devenir aujourd’hui: une superpuissance menaçant d’arracher la première place aux autres.
Dans la conclusion à l’un de ses écrits, bien avant le triomphe de la révolution chinoise en 1949, intitulé « la démocratie nouvelle », il imaginait la Chine rêvée sous forme d’un grand paquebot flambant neuf, bravant les vagues dans la direction de son port d’attache. Puis, il termine sa conclusion comme suit: « voilà que les mâts du paquebot Chine Nouvelle pointent à l’horizon. Levons haut les mains pour saluer le paquebot Chine Nouvelle, le paquebot Chine Nouvelle est à nous ! ».
Ce n’était pas par hasard que la première agence d’information chinoise s’était choisie comme nom: « Agence Chine Nouvelle ». Si je retiens encore cette image de Mao Tse Toung, c’était parce que, nous autres, révolutionnaires de Mauritanie de l’époque, on était absolument jaloux et pressés d’accueillir dans un port national notre propre bateau, le paquebot « Mauritanie Nouvelle ».
Jusqu’ à aujourd’hui nous gardons toujours l’espoir, les mains toujours levées, pour saluer l’événement rêvé: l’arrivée au port de Nouakchott ou de Nouadhibou (et éventuellement de Jleyfti) du paquebot: « Mauritanie Nouvelle ». Il se pourrait aussi que Bah Ould Salek, le fondateur de l’hebdomadaire « Mauritanie Nouvelles » s’était à son tour inspiré d’un rêve pareil.
Quand l’Inde manque de révolution culturelle
Bien que la consécration de cette « Chine Nouvelle » sur le terrain, fût en fin de compte l’œuvre de TengSiao Ping, il est indéniable que Mao Tse Toung avait posé les fondements sans lesquels l’édifice Chine Nouvelle n’aurait jamais pu voir le jour. C’était ainsi que la révolution Culturelle menée à la fin des années 60, tant décriée par la propagande occidentale, avait sûrement contribué à déblayer le terrain devant le phénomène de l’émergence de la Chine Nouvelle.
Il se pourrait que ça soit vrai, tout au moins en partie, les flots de reproches et critiques adressés à la façon dont cette révolution culturelle en Chine populaire fut menée. Malheureusement, nous disposons de peu de moyens indépendants pour vérifier la véracité de telles allégations noyées à l’époque dans un océan de propagande idéologique plus qu’intéressée durant la guerre froide. D’ailleurs la question se pose et ne cesse d’être posée: peut-il y avoir réellement une révolution digne de ce nom sans dégâts quelconques, dégâts généralement importants, dégâts collatéraux comme on se plait à dire aujourd’hui ?
« La révolution », disait Mao Tse Toung « n’est pas un diner de gala... … c’est un acte de violence par lequel une classe renverse une autre ». Concernant la révolution française, Robespierre aurait pu dire la même chose, Giap du Viet Nam et les dirigeants de la révolution algérienne également et bien d’autres, affirmeraient sans hésiter la même chose.
Seuls les coups de palais, comme les coups d’Etat, se passent des fois sans effusion de sang, mais aussi sans changer fondamentalement grand-chose aux conditions du moment. Personnellement, mon sentiment profond, est que la révolution culturelle, en ébranlant les fondements socioculturels millénaires du monde chinois, avait déblayé le terrain pour les grandes transformations en cours aujourd’hui en Chine Populaire. Je tends à croire également que cet ébranlement sociétal manque grandement aujourd’hui à l’Inde pour atténuer l’impact des lourdeurs médiévales qui handicapent actuellement les changements indispensables dans cet immense pays.
Le Parti communiste chinois hante l’occident
L’ascension fulgurante de la Chine contemporaine pose un autre sérieux problème au monde occidental. En effet, cette Chine, désormais superpuissance, traine encore avec elle ses valeurs communistes. Le parti communiste chinois demeure la locomotive des changements en cours dans ce vaste pays abritant près du quart de l’humanité.
Trois décennies après la disparition du système soviétique cette réalité chinoise continue à brouiller les esprits des grands théoriciens du capitalisme. Du côté occidental, on misait toujours sur le retard certain de la Chine Populaire en matière de démocratie pluraliste et de droits de l’homme pour « prier » le temps de provoquer une faille quelconque dans « la muraille de Chine ». Aujourd’hui, à l’ouest, on se démène dans les problèmes provoqués par des vagues continues de migrants venus du sud affamé. On néglige naïvement que des séismes sociaux en Asie, en Chine notamment, pourraient entrainer une hécatombe humanitaire sous forme d’un torrent irrésistible dont les flots humains, pour ne pas dire humanitaires, risqueraient de submerger systématiquement l’occident et l’enterrer pour l’éternité.
(A suivre)