Dans les pays arabes, le mérite est souvent un critère secondaire pour postuler à un poste, accéder à une fonction publique ou bénéficier d'une promotion… sans parler du bourrage des urnes lors d'élections- à tous les niveaux – et de recours qui restent presque toujours lettre morte.
Dans les pays arabes, la séparation des pouvoirs n'existe que dans les textes. Dans la pratique, tout procède du chef de l'Etat. Le parlement et la justice sont à son entière dévotion. Ainsi le législatif et le judiciaire ont été transformés en auxiliaires de l'exécutif.
On est bien loin de la séparation des pouvoirs telle que préconisée par John Locke et Montesquieu, les théoriciens des institutions modernes. Dans son livre De l'esprit des lois, Montesquieu écrit: "Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il faut donc que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir". En d'autres termes, chacun des trois pouvoirs: exécutif, législatif et judiciaire, a un champ d'action bien précis et aucun de ces trois pouvoirs ne doit empiéter sur le domaine des deux autres. Sinon, on aboutit à une confusion des pouvoirs qui porte un nom: le despotisme.
Une justice confisquée ou à sens unique est, naturellement, incompatible avec la lettre et l'esprit de l'islam. Il va sans dire que la responsabilité de cette dramatique situation incombe, d'abord et surtout, à celui auquel Dieu a confié la conduite de son peuple: le chef de l'Etat.
A propos de cet exercice unilatéral du pouvoir, on pourra égrener toute une litanie de griefs à l'endroit des gouvernants arabes. Des griefs en rapport direct avec des agissements contraires aux enseignements du Coran et de la Sounna. On peut ainsi parler des détournements des deniers publics. Beaucoup de chefs d'Etats arabes accèdent à la magistrature suprême sans fortune personnelle significative. Parfois même sans aucune fortune. Pourtant, dès les deux ou trois premières années de leur mandat, ils deviennent souvent, comme par enchantement, richissimes. La technique est simple: instauration d'un système de vases communicants entre leur patrimoine personnel et celui de l'Etat. Ainsi, pendant que la majorité du peuple croupit dans la misère et le dénuement, leurs comptes bancaires et ceux de leurs proches à l'étranger ne cessent de se garnir.
Cet argent mal acquis est placé sur des comptes numérotés dans des paradis fiscaux bien choisis. Le montant de ces sommes colossales, toujours en augmentation constante, donne le tournis. Sans oublier leur patrimoine foncier tant à l'intérieur qu'à l'étranger, patrimoine qui, lui aussi, dépasse tout entendement.
Le contexte historique
Pratique courante chez les gouvernants arabes, la gabegie est une autre manière de dilapider l'argent public. La gabegie, il faut le rappeler est, dans le cas d'espèce, un gaspillage provenant d'une gestion défectueuse et malhonnête des ressources de l'Etat. Ainsi, les moyens de l'Etat sont mis au service de réalisations de prestige sans grand intérêt pour les populations ou à la disposition d'intérêts particuliers.
On peut ainsi citer, entre autres, le financement des campagnes électorales aux frais du contribuable, le pillage du patrimoine immobilier de l'Etat, les marchés concédés, en l'absence d'appel d'offre, à des proches, l'achat à l'étranger de biens d'équipement et autres, essentiellement dans le but de percevoir des dessous de tables, le racket éhonté de sociétés pétrolières, minières ou autres pour l'obtention de licence ou d'agrément pour la prospection, l'exploitation ou la distribution…
En résumé, outre une justice confisquée ou à sens unique, outre les détournements de deniers publics et la gabegie - pour ne citer que cela -, les gouvernants arabes, pour conserver ou conquérir le pouvoir, s'adonnent à des actions encore plus répréhensibles comme la guerre entre musulmans. C'est le cas notamment en Irak, au Yémen, en Libye… où des guerres fratricides font quotidiennement des centaines de morts. Ces massacres de masse de musulmans innocents, expressément interdits par le Coran et la Sounna, sont le summum de l'inconscience et de l'inhumanité des gouvernants arabes.
Tout au long de cet ouvrage, nous étudierons, sous plusieurs aspects, le calamiteux mode de gouvernance de ces dirigeants arabes. Un mode de gouvernance qui révèle leur véritable nature: il s'agit de régimes pour la plupart, dictatoriaux sous le paravent d'un grossier habillage démocratique.
Nous passerons donc en revue, dans un chapitre préliminaire, sous forme de rappel, le contexte historique.
Dans ce chapitre préliminaire, on verra qu'après la mort du Prophète, les califes bien guidés vont instaurer à Médine un système de gouvernance unique en son genre dans toute l'histoire de l'humanité. Un système de gouvernance où la justice, la quiétude, le bonheur et l'épanouissement de l'homme sont au centre des occupations et des préoccupations des nouveaux gouvernants. Des gouvernants pétris de piété et de dévotion qui, redoutant le courroux divin, ont appliqué à la lettre, - en serviteurs dévoués -, les enseignements du Coran et de la Sounna. Nonobstant les notions de temps et d'espace, ils ont laissé pour la postérité un merveilleux exemple de ce que devrait être la relation idéale entre gouvernants et gouvernés.
Appuyée sur les solides fondements de cet Etat islamique naissant, la Oumma connaîtra son âge d'or avec un rayonnement sans égal des arts, des sciences et de la culture. Le monde islamique deviendra ainsi pendant longtemps le berceau de la civilisation mondiale à telle enseigne que l'Occident chrétien qui vivait dans une sorte de "barbarie et d'ignorance qui suivirent la décadence de l'empire romain", envoyait les siens pour s'instruire en terre d'islam.
Malheureusement, les musulmans se sont par la suite écartés du précieux cap tracé par le Prophète et ses successeurs. La zizanie, la division, le relâchement dans la pratique religieuse et les guerres fratricides en feront une proie facile pour les ennemis de la Oumma.
L'heure du déclin puis de la décadence a sonné. Les mises en garde prémonitoires de l'Envoyé d'Allah n'ont pas été observées. Les portes de l'asservissement et de la main mise étrangère sur Dar el islam sont désormais grandes ouvertes. La colonisation est là avec son pesant joug et ses affres. La Oumma va être dépecée. Les peuples humiliés. Médine, Damas, Baghdad… ne sont plus qu'un lointain souvenir. Les regards sont désormais tournés vers Londres, Paris…
Avec les vagues d'indépendances qui suivirent la fin de cette colonisation, de nouveaux gouvernants arabes vont accéder au pouvoir. Le mode de gouvernance qu'ils adopteront sera l'un des pires de toute l'histoire de la Oumma. C'est ce que nous verrons dans un deuxième chapitre. Nous traiterons alors de cette propension non contenue pour la dictature qui habite les gouvernants arabes de la période postcoloniale.
Nous mettrons aussi en exergue certains fléaux comme la corruption ou la gabegie qui gangrènent la vie politique dans les Etats arabes. En somme, nous passerons en revue un mode de gouvernance souvent en porte-à-faux avec les préceptes de la religion musulmane.
Dans un troisième chapitre, nous verrons que dans leur quasi-totalité, les gouvernants arabes sont devenus des affidés de l'Occident. Cet Occident les a transformés en gardiens avilis et zélés de ses intérêts au détriment de ceux de leur peuple.
Suivisme servile
Ces gouvernants ont, de surcroît, copié le mode de vie et les institutions des anciennes métropoles. Pour la pérennité de leurs régimes et pour rester dans les bonnes grâces de leurs protecteurs, ils ont greffé des corps étrangers sur des sociétés musulmanes qui finiront, tôt ou tard, par les rejeter.
Dans un quatrième chapitre, nous montrerons que ce suivisme servile les a contraints, au-delà d'un discours patriotique de façade, à faire table rase des intérêts supérieurs de la Oumma. L'infamie du drame palestinien en est la triste illustration.
Après avoir renoncé à la création d'un foyer juif en Ouganda, des puissances occidentales, à l'initiative de la Grande-Bretagne et avec la complicité de l'ONU, ont implanté en plein cœur du monde arabe, un Etat juif.
Depuis, le peuple palestinien martyr endure, au quotidien, des atrocités d'un autre âge. Ce peuple, au-delà d'une solidarité arabe de façade qui se manifeste, ici ou là, pour se donner bonne conscience, livre seul, avec les moyens du bord, dans la privation et le dénuement, une résistance héroïque contre l'envahisseur étranger.
Dans ce conflit, un point de non-retour a été atteint. Le troisième lieu saint de l'islam a été occupé. La mosquée d'Al-Qods a été profanée, incendiée. Jérusalem est en voie de totale judaïsation…
Face à ce terrible gâchis, une question se pose, d'entrée de jeu: Que font les gouvernants arabes?
Au-delà des paravents fallacieux – un enfumage bien connu –, la réponse à cette question est claire. Elle tient en un mot: démission.
Démission, non pas dans le sens premier du mot – ce qui aurait été fort louable – mais démission dans le sens figuré du terme, c'est-à-dire, l'attitude détestable d'une personne qui ne veut pas ou ne peut pas remplir sa mission.
Pire, dans cette vile entreprise, certains gouvernants arabes jouent, dans l'ombre, le rôle de supplétifs d'Israël. D'autres, impuissants, regardent ailleurs. Mais tous sont tétanisés à l'idée de provoquer le courroux de l'Occident chrétien.
Sauver Al Qods et libérer la Palestine ou privilégier la pérennité de leur régime et voir se dérouler devant eux le tapis rouge à Paris, Londres ou Washington, leur choix semble avoir été vite fait.
Pourtant, chacun a en tête le miraculeux voyage nocturne du Prophète, entre La Mecque et Jérusalem, relaté dans le Coran:
"Gloire à Celui qui, lors d'un voyage nocturne, a emmené Son serviteur de la Mosquée Sacrée (de La Mecque) vers la Mosquée d'Al Qods dont Nous avons béni les alentours!"[1]
Pour garder cette mainmise sur la Oumma, tant au niveau des ressources naturelles que dans le domaine géopolitique, les Occidentaux, en connivence avec certains dirigeants musulmans, on fait appel à une vieille recette coloniale: diviser pour régner.
Ils ont ainsi attisé, en sous main, avec beaucoup de doigté et de cynisme, la fracture qui existe entre les deux branches antagonistes de l'islam: la Sounna et la Chiiâ.
Dans cette espèce de guerre froide, les moyens de chaque camp sont alors mobilisés. Et pour préparer le terrain psychologique, on envoie, en première ligne, les oulémas du pouvoir dont les fetwas, souvent alambiquées, ne sont pas toujours en accord avec l'orthodoxie religieuse.
Nous verrons que ce schisme entre musulmans a été ravivé, à dessein, par des officines spécialisées en vue de sceller la désunion de la Oumma.
Sur fond de considérations géopolitiques et géostratégiques fumeuses, on explique, sur le ton de la confidence, avec une sincérité feinte, à chacun de ces frères ennemis que l'autre constitue un danger pour sa survie et qu'il doit être combattu en tant que tel.
Toutefois, il faut bien noter que cet état conflictuel qui menace l'unité et la cohésion de Dar el islam n'est pas fortuit. Loin s'en faut. Il est le résultat de la conjugaison de plusieurs facteurs: déclin du monde musulman, colonisation, guerres fratricides, absence de démocratisation…
Ce triste constat a créé une situation de fragilité et, partant, de dépendance des pays musulmans vis-à-vis de l'Occident, sur fond d'un sous-développement chronique.
C'est dire qu'au-delà des considérations religieuses, les nuages de la discorde qui s'amoncellent dans le ciel de la Oumma sont dus principalement à cet état de sous-développement, entretenu par l'exploitation par les gouvernants, à des fins politiques, de la fracture entre les deux branches antagonistes de l'islam.
Pourtant, certains oulémas sounnites de renom comme Youssef Al Qaradaoui relativisent la portée religieuse de ce schisme et soutiennent que l'unité et la cohésion de la Oumma islamique doivent passer avant ce qu'ils considèrent, somme toute, comme des querelles secondaires. C'est ce que nous aborderons dans un cinquième chapitre.
(A suivre)
[1]. Sourate Le Voyage nocturne, Verset 1.
[1]. Sourate Le Voyage nocturne, Verset 1.