Le Calame : L’Assemblée nationale a adopté le projet de loi portant réforme de l’Éducation nationale contre lequel votre organisation s’opposait. Quelle place réserve-t-elles aux autres langues nationales pulaar, soninké et wolof ?
Doro Guèye : Merci pour l’attention que vous accordez à notre personne et à notre organisation OLAN. Mes encouragements à tous les lecteurs de notre grand journal, Le Calame. Pour revenir à la question, j'ai envie de répondre : « pas grand-chose ». La loi dit que les langues seront intégrées dans le système éducatif et l’on verra le retour de l'ILN (Institut des langues nationales). Mais des incohérences et des zones d'ombre demeurent. À se pencher sérieusement sur cette loi, particulièrement en son article 65 et sur l'annexe du document, on ne peut pas ne pas croire à la très mauvaise intention réservée à nos langues nationales. Se suffire de leur introduction ne leur règle nullement la question de l'équité, de la justice et de la promotion digne. Je rappelle que l’anglais, par exemple, a toujours été enseigné dans nos écoles. Nous, nous voulons que nos langues dépassent ce statut. C'est bien possible qu'elles aient le même statut que l’arabe, c’est-à-dire celui des langues enseignées et d'enseignement, autrement dit : officielles. Nous craignons que « l'expérimentation » n'y soit soulignée que de façon à y mettre un terme à un moment donné. Il n’y a aucune précision dans le temps et cette phase d’essai est de surcroît conditionnée à des « évaluations » dont l'issue peut encore nous être fatale. Nous avons la mauvaise expérience de l’arrêt brutal de la précédente« expérimentation » qui fut, en dépit de ses très bons résultats, tout simplement balayée d’un revers de main par le gouvernement du moment. Alors, qu'est ce qui nous garantit, dans la loi actuelle, que l'issue ne sera pas la même ? Rien du tout. Tout est flou et confus, contraire à la clarté que devrait manifester une loi. D'ailleurs, nous n’avons besoin aujourd'hui d'aucune expérimentation, car nous l’avons déjà vécue très positivement.
- Au cours de l’adoption de cette loi, vous avez tenu devant le Parlement un sit-in qui a été réprimé, l’une de vos membres qui s’était infiltrée dans l’hémicycle a été sévèrement agressée par un vigile, ce qui n’a pas manqué de susciter un grand tollé au sein de l’opinion ; vous, votre épouse et d’autres membres d’OLAN ont été molestés et blessés par les forces de l’ordre. Comment vous portez-vous aujourd’hui ? Quelle lecture faites-vous de ces incidents ?
- Oui, nous avons été sévèrement réprimés, le lundi 25 Juillet, devant l’institution censée défendre la liberté de s'exprimer librement. Nous étions là pacifiques, comme en tous les sit-in passés. Jamais nous n’avons causé, je le rappelle, le moindre incident, de quelque nature qu’il soit. Nous sommes pacifistes et voulons juste manifester, parce qu'il y a dans notre pays des choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Qu’y a-t-il d’illicite ou d’illégal en cela ? Les premiers policiers arrivés se sont immédiatement mis à arracher et déchirer nos affiches, slogans et banderoles par lesquels nous proclamons nos revendications. Puis une pluie de matraques et de coups de rangers s’est tant abattue sur nous que certains de nos camarades se sont évanouis (y compris moi-même). À l’heure où je te parle, nos camarades blessés continuent à se soigner mais nous ne comptons pas en rester là, s'il plaît à Dieu. Souzy Boye et Salimata Ba sont les membres d'OLAN qui s’étaient introduites dans l'Hémicycle. Elles ont été sauvagement maltraitées, Salimata sérieusement blessée au cou par le vigile – le monde entier a été témoin de cette agression – sa nuque est actuellement immobilisée, elle poursuit ses soins. Mais, je le répète, on n’en restera pas là, s'il plait à Allah.
- Au lendemain de la publication de l’avant-projet de loi, les associations pour la promotion des langues pulaar, soninké, et wolof avaient relevé des contradictions, interpelé le ministre et lui ont envoyé leurs observations. Celles-ci n’ont-elles pas été prises en compte dans la version définitive?
- En fin de comptes, rien d'important des amendements proposés par les associations culturelles pulaar, soninké, wolof et OLAN même, n'a été retenu. En somme, le gouvernement a fait passer son projet tel qu’il le voulait, il ne restait que la manière. Comme je l’ai toujours dit, on ne cherchait qu’à et comment faire avaler la pilule.
- Le texte évoque une phase expérimentale de quelques années avant la généralisation et donc l’introduction de ces langues dans le système éducatif. Est-ce à dire que l’expérimentation des années 80, jugée très concluante par des experts internationaux, a été jetée aux oubliettes ? Trouvez-vous nécessaire cette nouvelle phase d’essais ?
- J’ai presque déjà répondu à cette question mais je le répète : nos langues n'ont besoin d'aucune expérimentation, elles l'ont déjà connue. Il suffit d’une bonne volonté de l’État. Nous devrons croire à nous-mêmes. On ne peut être meilleur qu'à travers ce que nous avons de plus important, nos langues, nos cultures. Et sans l’officialisation de nos langues, on fera tout ce qu'on voudra mais cela restera du cinéma. Nous demandons à Son Excellence le Chef de l'État de bien revoir le contenu de cette fameuse loi, avant toute promulgation ; au mieux, la renvoyer à une révision totale par les acteurs professionnels de bonne foi car il en va de l'avenir de notre cher pays. Oui pour l'officialisation de toutes nos langues nationales ! Non à la promulgation de cette loi d'orientation !
Propos recueillis par Dalay Lam