Le prix du carburant a accusé, il y a quelques jours une hausse conséquente. On ne s’y attendait pas, le ministre des Finances laissait entendre que le président de la République avait instruit de ne pas s’y résoudre. En tout cas, c’est fait et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette décision a brutalement accentué la précarité des gens. Surtout ceux qui sont obligés de sortir tous les jours très tôt de chez eux pour aller chercher de quoi chauffer la marmite. Parce que cette décision de faire valser l’étiquette à la pompe, les transporteurs l’ont évidemment aussitôt répercutée sur les tarifs des courses en taxi. Une nouvelle pilule qui passe très mal au sein de l’opinion. Les boulangers ajoutaient, dans la foulée, 20 MRO au prix de la baguette au détail, pour rétropédaler dès le lendemain, fait rare pour être souligné, suite à l’intervention, dit-on, de leur fédération qui s’était déjà signalée à leur attention, voici quelques mois en s’en souvient, en leur imposant une augmentation de 20 MRO ladite baguette au demi-gros.
La hausse du prix du gas-oil à la pompe est compréhensible : la guerre en Ukraine a enflammé les prix de l’énergie dans le Monde, perturbant le budget de l’État, objet en conséquence d’une récente rectification en vue de prendre en compte la nouvelle donne mondiale. On comprend que celui-ci subventionne les hydrocarbures à hauteur de 42 milliards MRU et, dans une certaine mesure, 29 MRU le litre de gas-oil et 21, 5 MRU le litre d’essence mais pourquoi ce silence devant la hausse du prix des courses en taxi ? Le moindre déplacement s’élève désormais à 200 MRO. Doublement brutal du budget « transport ». Tout un chacun en prend pour son grade. Les « débrouillards » surtout. Payé 1500 à 2000 MRO par jour, un manœuvre du bâtiment qui habite au 5ème ou 6ème arrondissement et dépensait 400 MRO par jour doit désormais se séparer de 800 pour aller et revenir de son boulot. Comptons 500 MRO pour son plat minimal de mi-journée : il s’en sort comment, pour nourrir sa famille ? Les plombiers, électriciens, maçons et éboueurs qui occupent les abords des rues de la Polyclinique en l’attente d’un client disent avoir pris un sacré coup. Interrogé, un taximan nous raconte qu’il comprend bien les clients, qu’il voudrait bien rester sur l’ancien tarif mais que « la profession est déglinguée, nous avons trop de concurrents », se plaint-il. Et certes, en Mauritanie toute sortes de personnes s’adonnent au transport des personnes. Les propriétaires de voitures privées ramassent des clients, au bord des routes à l’heure de pointe, pour, disent-ils, « faire face au prix du gas-oil ».
Le transport des personnes, signe même de la pagaille nationale
Bref, le transport urbain, voire interurbain, est mal organisé, l’autorité de régulation du secteur ne joue pas pleinement son rôle. On ne sait pas qui est taximan et qui ne l’est pas. La couleur des carrosseries qui devrait permettre de la distinguer n’est pas rigoureusement appliquée, certains chauffeurs ou propriétaires refusent de s’y plier pour ne pas avoir à payer de licence. Ceux qui s’y sont pliés le regrettent, « ça ne donne aucun avantage », constatent-ils amèrement. Le GSSR censé sécuriser les routes est dépassé, ils ferment les yeux sur nombre de pratiques illicites. C’est seulement en Mauritanie que n’importe qui peut se déplacer en taxi ; ailleurs ils sont rares à s’y autoriser, car il faut des moyens pour se l’offrir. Mais, a contrario de ceux-ci, les Mauritaniens ne disposent pas de bus de transport en commun. La société qui devrait les leur assurer ne répond pas à leur attente. Tous les quartiers ne sont pas desservis, ceux qui le sont le sont très mal, les arrêts et les horaires ne sont pas respectés. Bref, c’est la débrouille, presque le sauve-qui-peut…
Tout autre attitude chez nos voisins : publiques ou privées, les sociétés de transport sont légion, vous pouvez facilement vous déplacer en bus à toute heure. Les autocars desservent tous les quartiers. Chez nous, les véhicules de la SNTP ne sont pas tous en bon état – la mauvaise qualité des routes n’en est pas la moindre cause… – et, face à la concurrence des taxis, l’absence de parking et les embouteillages – pour ne pas dire le désordre dans les rues – la STPN a choisi de signer plutôt des contrats avec des entreprises pour transporter leur personnel. Une opportunité pour ceux qui se déplacent dans le long des routes qu’empruntent ces bus. Sur l’axe Madrid-PK, on voit beaucoup de citoyens les attendre avec les étudiants.
Avec une société de transport public viable, des bus de qualité, non pas des poubelles qui devraient jetées à la casse, on aurait pu améliorer la mobilité urbaine et, partant, le cadre de vie de la capitale. Comment, dans ce contexte, peut-on envisager un tramway à Nouakchott ? Les échangeurs en chantier peinent à sortir de terre. Celui de Hay Sakine vient de démontrer l’amateurisme des autorités, incapables de faire achever, depuis bientôt trois ans, le tronçon de cent kilomètres séparant Boutilimit d’Aleg. On cède avec complaisance des marchés aussi importants à des sociétés dépourvues de toute expertise en la matière… et l’on paie les pots cassés en donnant une mauvaise image du pays. Le ministre du Développement économique et des secteurs productifs a déploré l’incapacité de certaines structures à respecter les délais d’exécution des projets. La Mauritanie donne le sentiment aux bailleurs que nous sommes incapables d’absorber les nombreux investissements qu’ils nous octroient.
Jusqu’à quand ?
Face à la hausse des prix, plusieurs organisations de la Société civile dont « Kafana » (« Ça suffit » ou « On en a assez» ; ailleurs on dirait : « Y’en a marre »…) ont tenté de marcher pour protester. En divers quartiers de banlieue, des jeunes ont brûlé des pneus et perturbé la circulation. Les autorités ont réagi aussitôt en y déployant des forces de l’ordre. Elles sont encore visibles sur certains axes et rues. Dans cette foulée, le président a été hué, l’autre jour au Stade, et le chef de Kafana arrêté avec d’autres manifestants. La peur de la répression, donc, pour empêcher les citoyens de manifester leur juste ras le bol. Les démunis ne veulent prendre aucun risque, les partis politiques et les organisations de défense des consommateurs n’ont pas réussi à susciter une conscience collective et craignent eux aussi les gaz lacrymogènes. Les citoyens sont donc laissés à eux-mêmes. On a pu voir aussi, lors des dernières manifestations, combien certains commerçants sont prêts à prendre les armes pour protéger leurs biens, accusant les jeunes des banlieues de s’en prendre à eux plutôt qu’aux symboles de l’État. Dans une telle situation, les commerçants pourront toujours augmenter les prix et ne jamais les baisser, même si le contexte mondial s’améliore. L’État paraît toujours là pour les « sécuriser » face à une population qui crie et grogne, comme un chameau trop chargé de produits, mais finit toujours par se taire et trimer, docile. Jusqu’à quand ?
Dalay Lam