Nouakchott à l’heure des plaques commémoratives. par Moussa Hormat-Allah

21 July, 2022 - 00:58

Des plaques commémoratives ont fleuri dans les rues de Tevragh Zeina, un peu comme l’éclosion des pâquerettes avec le printemps. Une révolution dans un paysage urbain où on était habitué à une lugubre série de chiffres estampés sur les murs pour reconnaître les rues. Des adresses qui sont restées, malgré tout, parfaitement anonymes car rares sont les mauritaniens qui pouvaient, de mémoire, citer le numéro de la rue de leur domicile. C’est dire que cette initiative de la Commune de Tevragh Zeina est la bienvenue même si, pour certains, elle est tardive.

Il est vrai que mettre une capitale qui compte près d’un million et demi d’habitants aux standards urbains des grandes villes est une tâche énorme. Doit-on pour autant taire les approximations et les imperfections qui sous-entendent cette initiative fort louable ?

D’emblée, il faut avouer à la décharge des services de la municipalité, que baptiser des rues n’est pas, une fois de plus chose aisée, car cela obéit à des critères bien précis qui doivent être en accord avec la mémoire collective.

L’intérêt premier de ces dénominations doit être de consolider davantage le ciment de l’unité nationale et d’entretenir, pour la postérité, la mémoire des figures emblématiques qui ont rendu de précieux services à la Nation. Sans oublier, naturellement, les évènements mémorables qui ont forgé l’histoire du pays.

Il s’agit donc d’un travail à la fois prenant et complexe que seuls des spécialistes – par définition objectifs – pourront mener à bien. Car on ne peut pas sur un coin de table, au pied levé, décerner, parfois abusivement, des satisfécits post mortem et décréterqui doit ou non avoir son nom placardé sur les rues de la capitale. Il s’agit d’un panthéon où ne sont admis que les hommes ou les femmes qui ont fait don de leur vie pour la Nation où qui, à un moment donné, ont contribué à son rayonnement ou fait preuve d’un courage ou d’un dévouement à son service.

 

 

Une hiérarchisation nécessaire

Dans cet esprit, les dénominations inscrites sur les plaques d’identification des rues devront, tout naturellement, obéir à une hiérarchisation. En effet, le pire serait de banaliser cette opération en plaçant n’importe qui n’importe où.

Comme c’est l’usage de par le monde, une partie des plaques commémoratives dans nos villes sera réservée aux noms de personnalités ou de faits marquants dans les pays étrangers, notamment ceux du monde arabo-musulman. S’agissant de la Mauritanie et des plaques nationales, la hiérarchisation des dénominations doit être clarifiée.

Ainsi figureront en bonne place, dans les beaux quartiers, outre les noms de Compagnons du Prophète, les noms des fondateurs du pays depuis les Almoravides. Puis, ceux des résistants qui ont combattu, armes à la main, le colonisateur. Ensuite les noms des différentes régions du pays, ceux des départements, des villes et villages de toute la Mauritanie. Suivront les noms des militaires, tombés sur le champ d’honneur qui se sont distingués lors des combats, les hommes politiques, les artistes, les journalistes, les médecins, les ingénieurs, les hommes d’affaires, les sportifs, etc. En un mot tous ceux qui auront marqué de leur empreinte la scène nationale.

C’est pourquoi, il faut éviter cette fâcheuse propension qui consiste à vouloir sanctifier à tour de bras, parfois, pour des raisons qui n’ont rien à avoir avec le mérite du défunt.

Pour conclure, quelques remarques : un séjour dans une métropole à l’étranger permet de faire le constat suivant : Toutes les plaques commémoratives placardées sur les rues comportent des inscriptions bien  précises :

- Un nom

- Deux dates, séparées par un trait d’union (naissance et décès de cette personne)

- Qualité ou profession (homme politique, artiste, militaire…)

- Le numéro de l’arrondissement en question.

Certains de ces précieux renseignements ne figurent pas sur nos plaques commémoratives. Pire encore, nous avons en Mauritanie un problème quasi insurmontable : celui de la multiplicité des homonymes. Des milliers de gens portent les mêmes noms et prénoms. A part quelques initiés, la quasi-totalité de nos compatriotes sont incapables d’identifier sur une plaque la personne en question, tant les noms des uns et des autres se ressemblent.

On peut se demander si l’opération des plaques commémoratives dans la commune de Tevragh Zeina a atteint l’objectif fixé ou si, au contraire, elle doit être revue à la lumière des approximations et des imperfections citées plus haut ? La question est posée.

Encore un dernier mot. L’auteur de ces lignes a été profondément choqué, quand il a vu une petite ruelle à la lisière des beaux quartiers de Tevragh Zeina portant le nom d’Abou Bakr Seddiq. Voir le nom d’un homme parmi les plus illustres que l’humanité ait jamais connus, relégué, de surcroît, dans un pays musulman, à une place qui ne sied pas – loin s’en faut – à sa mémoire est particulièrement affligeant.

 

 

 

                                                                               Moussa Hormat-Allah

 

                                    Professeur d’université Lauréat du Prix Chinguitt