Caractérisé par la conjugaison de plusieurs facteurs endogènes d’instabilité, le Sahel connaît aujourd’hui un nouveau contexte géopolitique particulier avec l’augmentation des attaques terroristes par suite du retrait des forces françaises du Mali. L’éventualité d’une percée des djihadistes avec l’extension de leur champ d’action reste très plausible.
Le soutien de la communauté internationale a été jusqu’ici en deçà des attentes. La guerre en Ukraine a montré que les occidentaux ont une morale à géométrie variable. Dès les premiers mois de la guerre en Ukraine, des dizaines milliards de dollars pleuvaient de tout bord, alors que pour le Sahel, ils n’arrivaient même pas à fournir une aide de deux milliards de dollars demandée par le G5 Sahel depuis sept ans.
Pour faire face à cette situation, nos pays se verront dans l’obligation d’augmenter leurs budgets de défense au détriment de tous les autres budgets y compris ceux de la santé et de l’éducation.
Cette situation exacerbe les inquiétudes sécuritaires des populations souffrant déjà de la pauvreté, des inégalités, du chômage et de l’injustice sociale.
A cette vulnérabilité sécuritaire, vient s’adjoindre, la volonté de l’occident exprimée dans le dernier sommet du G7 en Allemagne, de renforcer leur partenariat avec les pays en développement dans le cadre d’une concurrence ouverte avec la Chine. Un partenariat dont l’objectif est de partager avec nous nos ressources sans que l’on ne partage avec eux leur technologie.
Cette nouvelle stratégie de l’occident, qui vit des problèmes systémiques profonds, répond à leur besoin pressant d’amoindrir les effets d’une crise mettant en péril leur prospérité. Il devra sans aucun doute repenser son modèle de relations bilatérales habituelles avec les pays en développement en assouplissant ses ‘‘positions de principe’’ à l’égard des pseudo-démocraties, de l'autoritarisme, de la lutte contre la corruption et de la promotion des droits humains.
Priorité en contenu local
Ainsi, la pratique de la démocratie devra dans le futur chavirer face à un monde bipolaire opposé dans une dialectique de guerre froide. Déjà, l’IDEA (Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale) a annoncé le recul des démocraties dans le monde. Le nombre de démocraties, passe selon elle, de 104 en 2015 à 98 en 2020.
Le dernier sommet sur la démocratie en décembre dernier en a été la meilleure preuve. Sur les 110 pays invités à ce sommet par le Président Joe Biden, certains étaient déjà dans le viseur du département d’Etat Américain en raison des exécutions extrajudiciaires, comme le cas des Philippines par exemple.
Dans cette conjoncture où notre démocratie qui se retrouvait déjà dans une situation périlleuse, la mauvaise gouvernance devra continuer à être notre cheval de bataille.
L’un des facteurs prégnants de cette situation était l’état d’une intelligentsia complétement dépassée et naviguant à vue. Ainsi, durant la décennie de Aziz, l’exploitation de nos ressources naturelles s’est accentuée en se focalisant uniquement sur l’aspect production sans prendre en compte la totalité des chaînes de valeur, c’est-à-dire les différents segments de la filière industrielle allant de la production au produit fini.
Pour mieux illustrer cela, l’une de nos délégation savait été une fois ironisée par le président du Burkina Faso en disant : « voici une sardine péchée en Mauritanie, mise en conserve en Chine et vendue au Burkina Faso ».
Pour le pétrole de Chinguetti, c’est par maladresse, qu’un conseiller à la SOMIR avait empêché le recrutement en 2010 du personnel de la raffinerie de pétrole Nouadhibou par Woodside. Ils se sont par la suite tournés vers les asiatiques pour recruter le personnel d’exploitation de notre gisement de pétrole au moment où on avait nous même un personnel hautement qualifié en la matière.
Il est temps que nous ayons pitié de nous-même. S’il ne nous est pas possible de transformer nos richesses sur place, mettons au moins du « contenu local » dans leur exploitation pour conjurer la malédiction des ressources naturelles et aider à l’amélioration des conditions de vie de nos populations. Un « contenu local » que devraient imposer les pouvoirs publics aux entreprises multinationales en matière de quotas d'embauche de main-d'œuvre locale, des transferts de technologies et d’actions sociales.
Dans ce contexte, le Sénégal est entrain de parachever un dispositif législatif initié en 2019 lié au contenu local (loi n° 2019-04 du 01er février 2019). Il vise à imposer aux sociétés étrangères de mettre l’accent sur la formation des ressources humaines, le renforcement des petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que la réalisation de projets sociaux dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'eau potable et de l'électrification rurale, entre autres.
Pour notre cas, on peut certes copier le meilleur modèle du contenu local qui puisse exister dans le monde et le faire légiférer par les plus hautes instances de notre juridiction mais le véritable ‘‘challenge’’ sera sa mise en œuvre. En tout cas, si un contenu local n’est pas mis à profit assez rapidement, les conséquences d’une malédiction de nos richesses naturelles risquent de peser lourd sur notre stabilité et notre cohésion sociale.
El hadj SIDI BRAHIM
Ingénieur d’Etat en Raffinage-Pétrochimie
Ancien Directeur Technique de la Raffinerie de Nouadhibou