Lors de l’une de mes visites à mon ami Khalihinna, ce dernier m’informa du projet en gestation chez les amis de DFI. Je compris immédiatement qu’il s’agissait d’un projet d’une gravité extrême. Les amis en question hésitaient à m’y associer de crainte que je refuse d’y adhérer. J’avais aussi compris que tout indiquait qu’ils manigançaient un travail de sape dans la base de ce qui restait encore du mouvement MND. On comprendra aisément la suite de ce que « les amis DFI» envisageront par la suite.
Je piquai une crise de colère. Je décidai d’agir à temps. Pour moi, bien que je n’en fasse plus partie, le MND jusque-là ou plus exactement ce qui en restait, comme dernier rempart de l’unité nationale dans toute sa diversité, devrait être préservé à tout prix et le plus longtemps possible pour l’intérêt suprême de la nation Mauritanienne. Louleid Weddad, un haut responsable du régime de Maouiya avait exprimé le même point de vue aux amis de DFI, me révélera l’un d’eux plus tard.
Mon ami Khallihinna m’exprima le même point de vue. Il me disait que les amis DFI ne lui avaient pas tout expliqué. Pour le faire monter encore plus contre leur initiative, je lui avais concocté une explication fallacieuse. Je lui avais « révélé» que les initiateurs de DFI avaient dressé une liste de personnes à contacter, personnes jugées susceptibles d’adhérer à leur initiative.
« Liste des esprits faibles » :c’était le nom donné à leur liste expliquai-je au brave Khallihinna. Je lui avais affirmé que son nom figurait en troisième position dans cette liste. Ce qui le mit en colère. Il me répliqua que dans les conditions normales, il se considérait généralement comme complètement aplati, jusqu’au moment où quelqu’un vint lui proposer des projets de basculement à droite.
Immédiatement un réflexe le projeta dans des positions d’extrême gauche. Il décida de nouveau de m’accompagner. Il m’informa d’un rendez-vous qu’il avait avec les amis de DFI. On décida d’y aller ensemble.
C’était encore une fois chez le doyen Ould Moud, au quartier dit Carrefour, au même lieu que le rendez-vous pris avec Messaoud il y’avait déjà plusieurs années. Arrivés sur le lieu, les amis étaient surpris de mon arrivée avec Khallihina. Mon ami, le cadre universitaire était absent.
Une certaine inquiétude se lisait sur leurs visages. Sorti de sa torpeur, l’un d’eux s’adressa à moi en introduisant ses propos par: « Bienvenue à notre ami tel… » La gorge étranglée de colère, je répliquai par une brève réponse: « Si amitié il y a encore ! ». Ma réponse redoubla leur inquiétude.
Ils se mirent à chercher un subterfuge pour reporter leur réunion. Je décidai de forcer sa tenue. Comme le maître des lieux, Mohamed Mahmoud O Moud, était encore absent, ils avaient prétexté l’absence de la clef pour ouvrir la maison. Je dénichai la clef chez le boutiquier du coin. En même temps, j’avais acheté le nécessaire de thé à la menthe et tagine (arachides plus du pain beurré) à la même boutique. Mon objectif était d’arrêter net l’action de sape entreprise par mes «amis DFI» au niveau de la base de mes amis du MND.
Atmosphère électrique
Le face-à-face commença dans une atmosphère électrique. Le groupe d’amis DFI demanda à celui qui semblait être leur chef de file de présenter ce qu’ils avaient appelé leur « Nouvelle Lecture » de la situation politique dans le pays. C’était un garçon doté d’une extrême intelligence maraboutique. Dans son plaidoyer, il avait présenté un tableau noir de l’opposition, de l’UFD-EN en particulier, ménageant délibérément le régime et son parti au pouvoir le PRDS. Dans ma réponse, j’avais d’abord protesté contre le fait de m’avoir écarté complètement de la « nouvelle initiative » alors que ses auteurs habitaient pratiquement chez moi.
Ensuite je lui avais fait remarquer que si j’avais bien compris, il nous avait amplement exposé ce qu’il avait appelé « les côtés sombres de l’opposition et ce qu’il avait qualifié des côtés plus que positifs du régime et de son parti ». Puis je lui avais demandé « que nous serons encore plus éclairés quand il poussera son analyse en nous présentant ce qui seraient les bons côtés de l’opposition et les mauvais côtés du pouvoir et de son instrument politique le PRDS ».
Il s’affola. Une pluie d’invectives à mon adresse suivra de la part de plusieurs « amis DFI ». Quelques invités, d’apparence innocents, restèrent bouche-bée. Ils ne savaient plus à quel saint se vouer. La réunion se termina en queue de poisson. Mon objectif fut atteint. Les amis de DFI publièrent le lendemain une déclaration dans laquelle ils annonçaient qu’ils quittaient l’opposition et rejoindre armes et bagages le pouvoir de Maouiya Ould Sid Ahmed Taya. Leur action de sape du MND s’arrêta net comme je l’avais souhaité et programmé.
En réalité, mon souci premier n’était pas de reprocher aux initiateurs de DFI de quitter l’opposition ou de rejoindre le pouvoir. Il était aussi loin de moi de leur en vouloir dans leur critique du MND. Non ! Absolument non ! Tout ça ne me concernait point. Pour moi, c’était leur plein droit de prendre la position qui leur convenait dans le débat publique qui se déroulait sur l’ensemble des questions d’intérêt national depuis le début du processus démocratique dans notre pays. Aussi, je leur reconnais leur plein droit de changer de parti ou de camp politique comme bon leur semble. Ce qui me révoltait véritablement, c’était uniquement leur façon d’agir: s’en prendre à une sensibilité politique uniquement dans le but d’en tirer profit auprès des gouvernants du pays.
Concernant les amis MND proprement dits, en dépit de tout ce que je peux leur reprocher, je m’étais toujours abstenu de faire état de la moindre critique à leur adresse. Pour moi, la raison en était très simple. Ces anciens compagnons de lutte avaient suffisamment de détracteurs qui ne cessaient de les noircir de tous les maux.
Et comme je demeurais absolument convaincu que leur apport national dépassait encore de loin tout rôle négatif possible de leur part, j’ai toujours évité sciemment de me présenter comme un marchand d’idées saugrenues ou de positions politiques en vue de leur nuire en contrepartie de « cadeaux politiques » de l’autre côté de la barrière. C’était, peut-être, ce qui explique que je n’avais jamais bénéficié de « cadeaux » pareils.
Le crash du Carrefour
Malgré ce qui précède, j’avais gardé de bons rapports avec mes amis DFI. DFI, ce genre de sigles, qui résonnait comme s’il était appelé à durer, ne dépasse pas souvent le temps d’une courte transition, juste le temps de changer de camp. Personnellement, je n’ai jamais cédé à ce genre de mise en scène.
Le crash du carrefour n’avait pas entamé mes relations avec les membres du groupe de DFI. Pour l’essentiel, j’avais gardé de bons rapports avec mes amis dans les deux camps, celui du pouvoir et celui de l’opposition. Ma nouvelle position d’indépendant m’offrait l’occasion de prendre du recul par rapport aux événements. Avec le temps, je me rendais compte, qu’à quelques exceptions près, presque tous, individus et sensibilités politiques, de l’opposition et de la majorité, étaient le produit du même moule.
Depuis le début, les meneurs de l’opposition se composaient principalement de notabilités connues dans les hautes sphères des différents régimes qui avaient présidé aux destinées de ce pays. En les observant de près, on comprenait facilement les raisons de leur présence dans les rangs de l’opposition. Parmi elles, des figures qui se comportaient avant comme s’ils avaient déjà juré de ne plus s’opposer à aucun régime en place. Après chaque changement au sommet de l’Etat, ils se tracassaient pour s’accrocher aux nouveaux détenteurs du pouvoir.
Le problème des uns et des autres serait, qu’à un moment donné, toutes les portes du nouveau système furent fermées devant eux. L’unique solution qui s’offrait à eux était de continuer à s’agiter au niveau de l’opposition dans l’hypothétique espoir d’attirer l’attention et la pitié du chef suprême en place. Au temps du régime de Maouiya, ce genre de manœuvres leur réussissait souvent. Ce qui ne sera nullement le cas après, surtout durant la décennie d’Aziz. Pourtant nombreux parmi eux ne cessaient de mener la même danse. Malheureusement pour eux, Aziz, le nouveau locataire de la maison brune pendant sa fameuse décennie, semblait insensible aux réjouissances et aux jeux de séduction politique.
Au niveau du pouvoir, le terrain demeurait toujours entièrement occupé par des clans et des parvenus de tous bords. Aucun membre de cette si « chanceuse » élite, administrative, militaire et affairiste, n’était disposé à céder sa place à quelqu’un d’autre, fusse-t-il un cousin germain.
Donc, prenant en compte l’ensemble des facteurs cités ci-dessus, je conclus, qu’en réalité, à quelques rares exceptions, il n’existait aucune différence notable entre le monde qui s’agitait au niveau de l’opposition et celui qui campait au niveau du pouvoir. L’unique différence palpable serait que, à quelques exceptions, les uns, souvent malgré eux, furent coincés par les événements dans une position d’opposition, et les autres s’accrochent à un régime dont ils réussissent à tirer profit.
Ce serait en grande partie, ce genre de situations, qui serait à l’origine de l’instabilité chronique chez nous et dans de nombreux pays semblables. On pourrait l’expliquer par la confrontation entre deux « factions » de la même « tribu »: une faction au pouvoir et qui tient à garder pour elle tous ses avantages et une faction, ayant connu à un moment ou un autre ses délices, cherchait désespérément à les récupérer.
Chaque camp mobilisait tout pour parvenir à ses fins. Une dose de patriotisme, chez les uns et les autres, plus ou moins importante, n’était pas à exclure. Ce serait un stimulant de plus pour plus de mobilisation des rangs des sympathisants de chaque partie en vue d’atteindre des objectifs généralement bien calculés.
(À suivre)