Le Calame: Les autorités bancaires viennent de retirer 2 récépissés à deux banques de la place, quelles réflexions vous inspirent ces deux affaires quant à notre système bancaire ?
Dr. Mohamed Mahmoud Ould Mah : Les faillites bancaires frauduleuses, la communication de fausses informations bancaires ou financières par des organismes spécialisés n’est pas propre à notre pays, ni non plus aux autres pays africains. C’est plutôt un phénomène récurrent dans les grands pays occidentaux, pourtant donneurs de leçons chaque fois qu’il s’est agi d’une prétendue absence de transparence ou de bonne gouvernance dans nos pays.
Mais ceci n’excuse pas cela. Au début des années 1980, dans le cadre de la politique d’ajustement structurel des institutions de Brettons Woods, qui tend, entre autre, ‘’à moins d’Etat’’, les Etats africains ont été invités à privatiser le secteur bancaire et celui des assurances. D’ailleurs le FMI avait fini par reconnaître que cette privatisation des banques avait été une décision prématurée. Les banques ont été rétrocédées à la faveur d’un gré à gré à la tête du client. Les différents régimes, qui se sont succédés par la suite ont continué à accorder des récépissés dans les mêmes conditions de laxisme et de clientélisme.
D’ailleurs certains récépissés n’ont pas encore trouvé un commencement d’exécution et continuent à flotter au-dessus du marché monétaire.
Quelle est, selon vous, la mission assignée à un système bancaire dans le développement d’un Etat moderne ?
Les banques sont des intermédiaires financiers, elles s’interposent entre ceux qu’on appelle les agents à surplus et les agents à déficit. Généralement, les ménages sont considérés comme des agents à surplus, car leur consommation est inférieure à leur revenu, la différence est un surplus qui serait épargné ou déposé à vue dans un compte bancaire. On parle alors, pour ces agents à surplus, de capacité de financement.
Par contre, les entreprises sont des agents à déficit, car leurs capitaux propres sont inférieurs à leur chiffre d’affaires ; elles éprouvent alors un besoin de financement. Les dépôts à vue ou à terme dans le système bancaire constituent un endettement de ce système bancaire qui le prête à son tour aux entreprises. On parle alors de : «Les dépôts font les crédits». Il est à noter qu’au plan national, les surplus des uns ne compensent que partiellement les déficits des autres ; on recourt alors à la création monétaire, en monétisant les créances, transformation par les banques de ces créances en monnaie fiduciaires, billets de banques.
Les dépôts à vue reposent sur la théorie des grands nombres, selon laquelle il est quasiment improbable que tous les déposants retirent en même temps leurs dépôts. Les dépôts à terme ne sont pas concernés, car le déposant a renoncé à la préférence pour la liquidité contre un taux d’intérêt qui est le prix de cette renonciation.
Il est à noter que cette analyse ne se retrouve pas dans beaucoup de pays en développement dont le nôtre, car les ménages qui ont une chance d’avoir un revenu, victimes de l’illusion monétaire, constatent finalement que le pouvoir d’achat de ce revenu est constamment laminé, déprécié par la hausse vertigineuse du niveau général des prix, et ne permet pas de dégager un surplus qui, quand il viendrait à exister, n’est pas forcément déposé dans une banque.
Chez nous, comme dans beaucoup de pays africains, la téléphonie mobile détourne du marché une part importante des revenus des ménages, quand ce n’est pas tous les revenus, ce qui explique la précarité de la vie menée par la majorité de notre population.
En effet, la croissance économique est tirée par la consommation : quand la demande (consommation) sur le marché augmente, l’offre augmente à son tour, car les offreurs vont mettre en marche de nouvelles capacités productives, ils recrutent alors des chômeurs, de nouveaux revenus sont alors générés et s’ajoutent à l’ensemble des revenus préexistants, la demande (consommation) augmente de nouveau, l’offre augmente à son tour et ainsi de suite.
Le taux mondial de téléphonie mobile est largement dépassé chez nous. Dans chaque famille, tous les membres ont leur portable. Les Mauritaniens ne consomment pas, ils téléphonent plutôt.
Il y a lieu de noter également que les sociétés de la téléphonie mobile encaissent des milliards d’ouguiyas. La part qu’elles ne sont pas autorisées à transférer, censée être dépensée sur place, est changée sur le marché libre, à un taux de change supérieur à celui du marché, contribuant ainsi à la dépréciation de l’ouguiya.
Il y a lieu également de relativiser, comme pour les agents à surplus, la théorie des agents à déficit, les entreprises.
Est-il utile de rappeler que tous les pays occidentaux se sont industrialisés en suivant un même processus, celui de la protection de leurs industries naissantes jusqu’à ce que celles-ci soient capables d’affronter la concurrence internationale, issue de la libéralisation des échanges internationaux. La mondialisation va priver des pays comme le nôtre de cette étape incontournable vers l’industrialisation, «richesse des nations» selon Adam Smith.
En effet, jusqu’à la fin des années 1970, notre pays, grâce à sa monnaie et à sa protection douanière, avait créé un grand nombre de petites et moyennes entreprises qui ont constitué une substitution aux importations. Ces petites et moyennes entreprises ont dû fermer leurs portes avec la mondialisation, faute pour nous de pouvoir concurrencer les produits du Nord ; principalement ceux de l’Europe du Sud, la France, l’Espagne, l’Italie. La mondialisation est une intégration économique à l’échelle du monde ; on ne peut plus protéger ses industries naissantes. Les nouveaux gendarmes du monde : FMI, BM et OMC sont là pour le rappeler chaque fois. On ne s’intègre qu’entre pays de même niveau de développement économique, sinon les géants dévorent les petits. J’ai toujours demandé à mes étudiants de se rappeler les règles régissant la boxe ; on boxe selon les catégories, un combat qui opposerait un poids lourd à un gringalet, un poids plume, n’intéresse personne, son issue est connue d’avance. L’intégration Européenne en est un exemple également, l’Allemagne et la Grèce ne peuvent pas s’intégrer. Nous sommes revenus à la case de départ, comme sous la colonisation : un marché d’écoulement des produits du Nord et un pourvoyeur de matières premières bon marché, car les grandes puissances coloniales, en délimitant leurs zones d’influence, à la conférence de Berlin, se sont ruées vers l’Afrique pour trois raisons :
- Chercher des matières premières bon marché pour leurs usines du Nord ;
- Chercher un marché d’écoulement pour les produits finis de ces mêmes usines ;
- C’est aussi l’occasion pour ces puissances de répandre leur « mission civilisatrice » et étendre la religion judéo-chrétienne.
Faute de pouvoir nous industrialiser et de concurrencer les produits du Nord, nous sommes devenus des consommateurs universels. Nos exportations sont réduites à celles de matières premières, poisson, fer, or dont les prix sont déterminés par les acheteurs eux-mêmes, dans des bourses du Nord. Quant à la « mission civilisatrice », on a substitué au curé portant sa soutane des sociétés multinationales : World Vision, Caritas …etc. chargées d’ailleurs de distribuer le Programme Alimentaire Mondial, une façon de leur faciliter la tâche.
Que signifie l’exclusion d’une banque de la chambre de compensation ?
Laissant de côté la monnaie électronique et la monnaie divisionnaire, les pièces métalliques, il reste deux moyens de paiement : la monnaie fiduciaire, billets de banques et la monnaie scripturale, les chèques. Ces deux moyens de paiement, grâce à leur pouvoir libératoire, permettent d’acquérir un bien, profiter d’un service ou de se libérer d’une dette. Chaque banque rassemble l’ensemble des chèques tirés sur les autres banques et les présente à la compensation. Chaque banque est tenue d’avoir un compte créditeur à la Banque Centrale. A la fin de la séance, la banque débitrice s’acquitte de son passif, en utilisant son compte créditeur à la BCM. Une banque dont le compte à la BCM n’est pas créditeur est exclue de la compensation.
On constate que la Banque Centrale a mis du temps, avant de retirer les récépissés des deux banques. Peut-on avoir une idée des moyens dont la BCM dispose pour assurer le contrôle bancaire ?
Quand on dit d’un pays que son système bancaire «est en banque», cela veut dire que la Banque Centrale de ce pays tient les banques en laisse ; cela veut dire que les banques n’ont pas beaucoup de liberté d’action. Le système bancaire dans notre pays «est en banque». On peut dire, en exagérant bien sûr, que les banques sont des guichets de la Banque Centrale. Normalement, dans une telle situation, les manquements aux règles de gestion des banques devraient être plutôt rares.
La Banque Centrale possède un arsenal de moyens de contrôle :
- Des rations de gestion. Ce sont des rapports d’éléments d’actif et de passif en quelque sorte des indicateurs, des témoins qui clignotent comme dans un tableau de bord. Un important ratio est celui qui détermine la masse des crédits à ne pas dépasser, ce ratio est déterminé par le montant des capitaux propres et de la quasi monnaie d’une banque. La quasi monnaie ou near money, est constitué par les actifs qui n’ont pas une liquidité parfaite, comme celle de la monnaie Banque Centrale (billets) ; ce sont essentiellement les dépôts à terme. On peut citer un autre ratio très important, celui de la solvabilité d’une banque, tout comme le ratio de trésorerie …etc. Nous avons parlé de la théorie de grands nombres qui rend improbable le retrait de tous les dépôts en même temps. Le contrôle doit s’assurer que la banque a un nombre suffisant de déposants et que les comptes de ces déposants sont régulièrement nivelés, mouvementés. Si non il faut les fermer, les ‘’stériliser’’. Il doit y avoir des instructions de la Banque Centrale dans ce sens.
- La Banque Centrale peut mettre en jeu des politiques dictées par la conjoncture ; ces politiques peuvent permettre d’accroitre le crédit ou de le restreindre par exemple. En général, les banques escomptent les effets de commerce en faveur des entreprises ou des clients, moyennant un taux d’intérêt en vigueur. Si la BCM veut favoriser le crédit, la liquidité des banques, elle accepte de réescompter, pour les banques leurs effets de commerce, moyennant le paiement d’un taux de réescompte. La Banque Centrale permet ainsi aux banques de se refinancer auprès d’elle. Par contre, si la Banque Centrale constate qu’il y a lieu de ne pas favoriser le crédit ou de le restreindre, elle pratique alors la politique contraire. Elle remet aux banques les effets qu’elle avait réescomptés auprès d’elle contre monnaie. Cette politique est appelée ‘’Open market’’, cela veut dire que le marché monétaire s’ouvre à la Banque Centrale.
La question que tout le monde se pose (et à laquelle le pouvoir doit répondre) : comment les grandes sociétés de l’Etat (Snim, Port autonome de Nouakchott, CNSS, CAMEC etc ...) qui possèdent les épargnes les plus importantes ont-elles pu déposer des sommes, par centaines de millions , voire milliards , dans l’une de ces deux banques sans l’autorisation de ceux qui nous dirigent d’une main de fer face à des dirigeants de sociétés dont la frilosité est de notoriété publique.
L’une de ces sociétés aurait déposé plus d’un milliard d’Ouguiyas au mois de juillet alors que la banque bénéficiaire du dépôt était déjà exclue depuis mars de la compensation.
Dans ces deux banques, la vertu de la théorie des grands nombres, dont nous avons parlé plus haut, n’a joué que du coté des dépôts ; par contre, du coté des retraits, le nombre des bénéficiaires de crédits se réduit à une seule personne, celle qui possède la majorité du capital de l’établissement, un capital qui attend toujours d’être libéré.
Il n’ya pas de doute que les cadres du contrôle bancaire étaient déjà au courant de toutes ces irrégularités, mais l’intrusion de la politique chez nous les empêche toujours de sévir sans le feu vert de leurs supérieurs.
D’autre part, l’année écoulée a vu les trésoreries générales de Nouadhibou, de Sélibaby, d’Akjoujt, d’Aïoun notamment, faire l’objet de détournements importants ; certaines caisses ont été emportées à l’étranger.
Ne sommes-nous pas en droit de constater que l’éradication des « mouffcidines » et la fin de la gabegie ne sont pas pour demain.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh